En urbanisme, la protection des monuments historiques peut s’appliquer au delà de leurs abords

Consacré à la protection du patrimoine national, le code du patrimoine contient plusieurs dispositions protégeant les abords des monuments historiques (dont notamment l’obligation de consulter l’architecte des Bâtiments de France lors de l’instruction des demandes d’autorisation d’urbanisme).

Le périmètre de ces abords peut être délimité spécifiquement autour d’un monument historique.

A défaut, l’article L 621-30 du Code du patrimoine définit les abords de la façon suivante :

 “En l’absence de périmètre délimité, la protection au titre des abords s’applique à tout immeuble, bâti ou non bâti, visible du monument historique ou visible en même temps que lui et situé à moins de cinq cents mètres de celui-ci.”

Si un immeuble est situé à plus de cinq cent mètres d’un monument historique, son propriétaire n’est donc pas soumis aux règles protectrices des abords.

Mais s’il demande un permis de construire pour implanter une construction, son projet doit prévoir une insertion suffisante dans son environnement afin de respecter l’article R. 111-27 du Code de l’urbanisme, lequel dispose :

“Le projet peut être refusé ou n’être accepté que sous réserve de l’observation de prescriptions spéciales si les constructions, par leur situation, leur architecture, leurs dimensions ou l’aspect extérieur des bâtiments ou ouvrages à édifier ou à modifier, sont de nature à porter atteinte au caractère ou à l’intérêt des lieux avoisinants, aux sites, aux paysages naturels ou urbains ainsi qu’à la conservation des perspectives monumentales”.

Se pose alors la question de savoir si, lorsqu’une demande de permis est examinée à l’aune de l’article R. 111-27 du Code de l’urbanisme, l’autorité compétente peut tenir compte de la co-visibilité du projet avec un monument historique, alors même que le premier est situé à plus de cinq cent mètres du second.

C’est une réponse affirmative que le Conseil d’Etat vient d’apporter à cette interrogation.

Selon la haute juridiction, l’appréciation du projet par rapport aux dispositions de l’article R. 111-27 du Code de l’urbanisme doit être uniquement effectuée en fonction des critères prévus par cette disposition  :

“Il résulte de ces dispositions que, si les constructions projetées portent atteinte au caractère ou à l’intérêt des lieux avoisinants, aux sites, aux paysages naturels ou urbains ou encore à la conservation des perspectives monumentales, l’autorité administrative compétente peut refuser de délivrer le permis de construire sollicité ou l’assortir de prescriptions spéciales. Pour rechercher l’existence d’une atteinte de nature à fonder le refus de permis de construire ou les prescriptions spéciales accompagnant la délivrance de ce permis, il lui appartient d’apprécier, dans un premier temps, la qualité du site sur lequel la construction est projetée et d’évaluer, dans un second temps, l’impact que cette construction, compte tenu de sa nature et de ses effets, pourrait avoir sur le site. Les dispositions de cet article excluent qu’il soit procédé, dans le second temps du raisonnement, à une balance d’intérêts divers en présence, autres que ceux mentionnés par cet article et, le cas échéant, par le plan local d’urbanisme de la commune”.

Cela permet donc aux services instructeurs de tenir compte de la co-visibilité du projet avec un élément remarquable situé dans son environnement, même s’ils sont éloignés l’un de l’autre par une distance supérieure à cinq cent mètres :

“Pour apprécier aussi bien la qualité du site que l’impact de la construction projetée sur ce site, il appartient à l’autorité administrative, sous le contrôle du juge, de prendre en compte l’ensemble des éléments pertinents et notamment, le cas échéant, la covisibilité du projet avec des bâtiments remarquables, quelle que soit la protection dont ils bénéficient par ailleurs au titre d’autres législations”.

Le juge d’appel est donc censuré pour avoir considéré qu’un refus de permis de construire motivé par l’insuffisance de l’insertion du projet dans son environnement ne pouvait être édicté en raison de la co-visibilité du projet avec un monument historique, dès lors que le premier était situé à plus de cinq mètres du dernier :

“Il résulte de ce qui précède qu’en jugeant que le critère de covisibilité avec des monuments historiques ne pouvait être utilement invoqué pour caractériser une atteinte contraire à l’article R. 111-27 du code de l’urbanisme en raison de l’implantation du projet en dehors du périmètre de protection résultant des articles L. 621-30 et L. 621-31 du code du patrimoine, la cour administrative d’appel a commis une erreur de droit”.

Tout porteur de projet doit donc veiller à ce que l’insertion de sa construction dans son environnement prenne en compte l’existence des monuments historiques situés aux alentours et qui sont en situation de co-visibilité, et ce même si, juridiquement, le lieu d’implantation n’est pas situé dans le périmètre des abords.

 

Ref. : CE, 22 septembre 2022, Ministre de la transition écologique, req., n° 455658. Pour lire l’arrêt, cliquer ici