Lorsqu’une société de courses définit les conditions d’attribution et de répartition des primes aux éleveurs de chevaux placés lors des courses plates et d’obstacles, celle-ci adopte un acte administratif qui relève du juge administratif, même si la société de courses est une association de droit privé (gérant certes un service public avec des prérogatives de puissance publique).
C’est ce que vient de trancher le Conseil d’Etat, dans la droite ligne d’une décision précédente de 2018, en application d’une loi de 2010…
Une décision sans surprise donc, mais qui constitue la fin d’une révolution, si l’on se souvient il y a peu encore qu’en ces domaines le juge refusait même de voir la moindre once de mission de service public.
Reprenons tout ceci à son départ.
Le monde des sociétés de course et des hippodromes correspond à un entrelacs juridique de haut vol.
Magie des mystères juridiques, un casino sera un service public, un théâtre pourra l’être, voire un cinéma sous certaines conditions, ainsi qu’un centre hippique… mais longtemps cet honneur était refusé aux sociétés de courses à qui l’on déniait d’entrer dans le paddock très fermé des personnes privées chargées de l’organisation d’un service public (au contraire des ordres professionnels ou des fédérations sportives, par exemple).
Encore en 1999 le Conseil d’Etat considérait-il que :
« par les dispositions précitées […], le gouvernement n’a pas entendu confier auxdites sociétés, qui ont le caractère de personnes morales de droit privé soumises au contrôle de la puissance publique dans les conditions fixées par les textes législatifs et les règlements pris pour leur application, une mission de service public ; qu’ainsi les décisions prises par lesdites sociétés n’ont pas le caractère d’actes administratifs ; »
Conseil d’Etat,., 24 février 1999, Wildenstein, n° 185113 , aux tables du recueil (voir ici sur Revue générale du droit on line, 1999, numéro 12825).
Puis vint la loi n° 2010-476 du 12 mai 2010 (modifiant la vénérable loi du 2 juin 1891, voir notamment son article 2) disposant notamment que les sociétés-mères de courses de chevaux sont investies de missions de service public. Un service public d’ailleurs aux contours un brin alambiqués dans la formulation législative :
On notera qu’à compter de « à la formation »… on peut se demander si les suites de la phrase continuent de décrire une mission de service public, ou si ce sont d’autres activités d’intérêt général à laquelle serait déniée la qualité de mission de service public. Une formulation « et de la formation » eût rattaché cette dernière et tout le reste de la phrase à l’expression « service public », mais ce n’est pas ce qu’a choisi le législateur, par choix ou (mais nous n’osons le supposer) par négligence dans sa rédaction. Le plus probable nous semble être que la notion de service public en cause s’étend à l’amélioration de l’espèce équine et à la promotion de l’élevage… Mais l’interprétation inverse, certes échevelée, pourrait ne pas semble être un obstacle infranchissable pour un Conseiller d’Etat soucieux de faire prévaloir une interprétation plus large.
NB : il s’agissait, en tous cas, pour l’Etat d’acquérir quelques éléments de maîtrise en ce domaine, comme dans d’autres connexes, ainsi qu’il l’a été excellemment démontré in « Le droit public des jeux émergence et mutations d’une forme originale de maîtrise étatique » par M. Simon George, in Pouvoirs 2011/4 (n° 139), pages 77 à 89.
Imaginons maintenant la casaque juridique aux couleurs à tout le moins bigarrée que doit arborer un responsable d’affaires juridiques d’une société de courses :
- sa structure est de droit privé. Notamment, France Galop reste sous le statut d’association à but non lucratif
- elle s’adonne, ce qui est logique dans son cas, à l’exercice d’actes de commerce qui font que ceux-ci pourront relever du tribunal de commerce et du code du commerce (Cour de cassation, Chambre commerciale, 1 juin 2022, 21-12.785)
- et puis donc, parfois, à rebours de ce qu’était l’état du droit avant 2010 donc, le juge administratif sera compétent quand s’exercent des prérogatives de puissance publique dans l’exercice de cette mission de service public (CE, 12 octobre 2018, M. et société d’entraînement Mathieu Boutin, n° 410998, rec. T. pp. 506-611-929, s’agissant de la compétence du juge administratif pour connaître des recours formés contre les actes des sociétés-mères de chevaux procédant de l’exercice des prérogatives de puissance publique).
NB : à comparer avec les fédérations sportives, voir ici.
Dans ce cadre, c’est sans surprise que le Conseil d’Etat, par une décision à publier aux tables du rec., vient de :
- confirmer quela juridiction administrative est compétente pour connaître des actes procédant de l’exercice des prérogatives de puissance publique qui leur ont été conférées pour l’accomplissement de ces missions (confirmation sans surprise de la jurisprudence précitée du 12 octobre 2018, M. et société d’entraînement Mathieu Boutin, donc).
- poser que constitue un tel acte, la définition, en application du décret n° 2010-476 du 2 novembre 2010 et du cahier des charges qui lui est annexé, des conditions d’attribution et de répartition des primes aux éleveurs de chevaux placés lors des courses plates et d’obstacles.
Avec, au finish, en l’espèce, une censure très, très partielle :
« 6. Il résulte des dispositions énoncées aux points 1 et 2 que l’association France Galop est, en qualité de société mère des courses au galop, chargée d’une mission de service public d’amélioration de l’espèce équine et de promotion de l’élevage et qu’elle est, à ce titre, compétente pour verser, dans un but de soutien au secteur de l’élevage, des primes aux éleveurs de chevaux placés, selon des modalités qu’elle définit dans les conditions prévues à l’article 12 du décret du 5 mai 1997. Dans ces conditions, le moyen tiré de ce que l’association serait tenue de verser des primes à tous les éleveurs de chevaux placés ne peut qu’être écarté.
« 7. Il ressort des pièces du dossier que l’instauration par les dispositions contestées d’un critère portant sur l’âge du cheval pour l’attribution de la prime aux éleveurs tient compte de l’évolution des performances des chevaux en fonction de leur âge, la sélection aux fins de reproduction intervenant le plus souvent avant six ans pour les courses plates et avant dix ans pour les courses d’obstacles. Il s’ensuit que la différence de traitement instituée par les dispositions contestées en fonction de l’âge du cheval est fondée sur un critère objectif en rapport direct avec les missions de service public d’amélioration de l’espèce équine et de promotion de l’élevage confiées à l’association France Galop. Dès lors, elle ne méconnaît pas le principe d’égalité. En revanche, il ne ressort pas des pièces du dossier que l’attribution des mêmes primes sans condition d’âge pour les chevaux participant à certaines courses, alors même que celles-ci seraient plus compétitives, reposerait sur une différence de situation objective en rapport avec l’objet de la mesure ou qu’elle serait justifiée par des raisons d’intérêt général.
« 8. Il résulte de ce qui précède que les requérants ne sont fondés à demander l’annulation pour excès de pouvoir des dispositions attaquées qu’en tant qu’elles comportent les mots, s’agissant des courses plates : ” sauf dans les courses de Groupe et Groupe-PA où elle est attribuée quel que soit l’âge “, et, s’agissant des courses d’obstacles : ” sauf dans les courses de Groupe et les 3 CrossCountry suivants : Prix Gaston Bataille à Pau ; Prix Anjou-Loire Challenge au Lion d’Angers ; Prix Louis de Guebriant à Craon où elle est attribuée quel que soit l’âge “.»
Source :
Conseil d’État, 10 février 2023, n° 468238, aux tables du recueil Lebon
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