Mi-février, le Ministère de l’Intérieur a diffusé une intéressante étude de l’Inspection générale de l’Administration (IGA), sous la plume de Corinne DESFORGES, de François PHILIZOT et d’Adélie POMMIER, intitulée « La coopération transfrontalière des collectivités territoriales ».
Voici ce texte :
En voici la synthèse officielle :
« La coopération transfrontalière entre collectivités territoriales s’est développée dans toute l’Europe, comme en France, depuis une quarantaine d’années. Vécue comme un outil de la construction européenne, répondant au surplus aux besoins quotidiens de nombreux habitants et territoires (22 départements ayant des frontières terrestres en métropole, 7,6 millions d’habitants dans les arrondissements concernés), elle s’appuie sur des cadres juridiques diversifiés. Ceux-ci sont issus soit d’accords multilatéraux (Conseil de l’Europe, Union européenne), soit de démarches bilatérales entre la France et les Etats voisins. Les collectivités territoriales françaises se sont largement emparées de ces instruments, à des échelles qui vont de la région à la commune, en passant notamment par les établissements publics de coopération intercommunale (EPCI), dessinant aujourd’hui un paysage à la fois riche, contrasté et parfois complexe. Les initiatives se déploient dans presque tous les domaines de l’action des collectivités territoriales, en fonction des priorités émergeant d’un territoire à l’autre. Le mouvement général est celui d’une densification de ces actions, non sans à-coups cependant, et en rencontrant des difficultés récurrentes pour traduire les objectifs en réalisations concrètes, en raison principalement des différences institutionnelles qui subsistent ; la crise sanitaire a d’ailleurs rappelé, parfois douloureusement, la force des droits nationaux tout en confirmant des dynamiques locales de solidarité. L’observation détaillée des démarches de coopération transfrontalière montre, en outre, qu’il est impossible d’établir une séparation totalement étanche entre le domaine de l’Etat et celui des collectivités territoriales. En pratique, les entreprises que ces dernières conduisent appellent un appui ou un accompagnement de l’Etat, dans des proportions et des conditions évidemment variables, mais de façon continue et structurée, ne serait-ce que pour poser les cadres diplomatiques indispensables. La réussite des projets de coopération transfrontalière repose donc sur la bonne articulation entre les interventions de l’Etat et des collectivités territoriales. Face à la grande diversité des contextes, inhérente aux réalités de la géographie physique et humaine comme aux différences entre les institutions des pays voisins, il faut donc renoncer à construire un ? jardin à la française @ parfaitement dessiné, mais bien plutôt s’adapter à chaque territoire. Les outils juridiques existants sont d’une richesse qui permet cette approche pragmatique, sans qu’il soit besoin d’en créer de nouveaux. C’est bien plutôt par un travail de méthode que doivent être recherchées les améliorations permettant de traduire les ambitions partagées. Le paysage actuel manque en effet trop souvent de cohérence, y compris dans des espaces où la coopération transfrontalière semble installée de longue date. Cet effort de coordination est d’autant plus nécessaire que la complexité technique de nombreux projets appelle pour aboutir précision et constance, chez l’ensemble des acteurs impliqués. L’Etat doit répondre lui aussi à cette exigence. Il importe également d’utiliser au mieux l’apport des institutions européennes. La Commission soutient de longue date de nombreux projets, dans le cadre de la politique régionale, via les programmes INTERREG. Elle joue un rôle tout à fait positif dans la mise en place d’outils de partage d’expérience ou de conseil. Elle est attentive aux dispositifs juridiques mobilisables. Sous ce dernier angle toutefois, il est préférable de compter sur les dynamiques interétatiques pour lever les obstacles concrets, plutôt que de créer des instruments communautaires contraignants.
L’objectif partagé est donc de densifier les démarches de coopération transfrontalière. Cela appelle un effort de coordination au niveau national, relevant au premier chef de l’Etat, mais permettant aussi de mieux structurer l’échange avec les collectivités transfrontalières. Dans la sphère de l’Etat, force est de constater qu’il n’existe pas aujourd’hui un vrai pilotage interministériel des questions transfrontalières, nonobstant l’existence d’un poste dédié d’ambassadeur au sein du ministère des affaires étrangères. Il est indispensable, sous la direction de ce département ministériel et de celui en charge des collectivités territoriales, de mettre en place un cadre interministériel léger, mais officialisé, permettant de suivre cette matière. La direction de l’Union européenne (DUE) du ministère des affaires étrangères et celle des affaires européennes et internationales (DAEI) du ministère chargé de l’intérieur pourront assurer conjointement cette animation, les thèmes traités impliquant un grand nombre de services. Il est nécessaire, en outre, de parfaire le dispositif national d’information et d’appui technique offert aux collectivités territoriales. Celui-ci repose largement sur la mission opérationnelle transfrontalière (MOT), association créée il y a un quart de siècle à l’initiative de l’Etat et dont celui-ci est membre et principal financeur. Il convient cependant d’inscrire dans une vision pluriannuelle les orientations partagées entre la MOT, à laquelle adhèrent de nombreuses collectivités territoriales, et l’Etat, pour qu’elle joue encore mieux son rôle de source d’information et de lieu de dialogue. Aux échelons déconcentrés et décentralisés, c’est aussi un effort de méthode et d’organisation qui s’impose. Dans la sphère de l’Etat, le premier enjeu est de mieux armer le corps préfectoral et les services déconcentrés pour faire face aux questions transfrontalières, en mettant en place les formations adaptées et en diffusant mieux l’information, pour lui permettre de s’investir dans cette matière souvent essentielle pour les équilibres territoriaux. Cela permettra de systématiser le suivi sur chaque frontière, dans l’esprit de ce qui est en place sur la frontière franco-allemande depuis le traité d’Aix-La-Chapelle. Il est également indispensable de mieux utiliser le réseau des conseillers diplomatiques, mis en place auprès des préfets de régions. Ceux-ci, si leur animation et leur positionnement sont améliorés, sont à même d’apporter à l’action locale la culture des échanges internationaux et des relations diplomatiques qui fait souvent défaut, en facilitant au surplus les relations avec nos postes à l’étranger. Leur rattachement à la DUE serait une mesure opportune, en cohérence avec son rôle de pilotage national. Enfin, il est nécessaire de contribuer à une meilleure structuration des démarches des collectivités territoriales. Cela passe par un effort de formation des élus comme des fonctionnaires territoriaux, nécessaire pour appréhender la complexité des démarches transfrontalières. Cela suppose aussi une attention accrue à l’articulation des initiatives et projets, les cadres contractuels de droit commun entre Etat et collectivités territoriales pouvant fournir un point d’appui utile pour aller dans ce sens. L’ensemble de ces orientations cherche à valoriser un cadre juridique déjà extrêmement riche, par un effort d’organisation et de clarification à tous les niveaux impliqués. Elles tiennent compte de la diversité des champs de la coopération transfrontalière, reflet naturel de celle des contextes locaux, pour tirer le meilleur parti des opportunités offertes par le brassage des populations et les solidarités tissées de part et d’autres des frontières.»
… Pour avoir pratiqué souvent le sujet, je ne puis que souscrire à ce souci de ne pas empiler encore des outils malcommodes et méconnus, mais bien de les valoriser, simplifier, voire unifier.
Et en voici les 12 recommandations, la 1e allant justement en ce sens :
- Recommandation n°1 : Utiliser au mieux les outils existants, plutôt que de chercher à en créer de nouveaux, ou à les fondre dans un cadre unifié.
- Recommandation n°2 : Etendre à chaque frontière un dispositif de coordination comparable à celui mis en place pour le franco-allemand, sous la présidence d’un préfet de région.
- Recommandation n°3 : Dans le cadre de l’Union européenne, promouvoir un rôle d’impulsion pour l’échelon européen, en laissant aux Etats-membres la responsabilité de la résolution des questions juridiques d’enjeu local
- Recommandation n°4 : Systématiser, sous le pilotage des ministres chargés des affaires étrangères et des collectivités territoriales, le suivi des questions de coopération transfrontalière, en organisant en particulier au moins une réunion interministérielle annuelle.
- Recommandation n°5 : En parallèle de la modification souhaitée des statuts de la MOT, inscrire ses relations avec l’Etat dans une convention-cadre pluriannuelle précisant les objectifs poursuivis et les missions confiées
- Recommandation n°6 : Avant toute affectation en département frontalier, prévoir une formation des préfets et sous-préfets (SDRF ou IHEMI) aux spécificités du travail avec des états ou des collectivités étrangères ; préparer à cette fin un dossier relatif aux enjeux internationaux.
- Recommandation n°7 : Prévoir une réunion annuelle des préfets de département et chefs de service déconcentrés, sous la présidence du préfet de région, sur les sujets frontaliers en y associant la ou les ambassades de France concernées, permettant de construire dialogue avec les autorités étrangères comme avec les collectivités territoriales.
- Recommandation n°8 : Demander aux préfets concernés un retour d’expérience sur les enseignements de la crise sanitaire sur les dynamiques transfrontalières.
- Recommandation n°9 : Rattacher les conseillers diplomatiques à la direction de l’Union européenne et valoriser leur fonction dans la gestion de carrière
- Recommandation n°10 : Préciser les priorités de l’action des CDPR, région par région, et adapter en conséquence leur positionnement.
- Recommandation n°11 : Prévoir une formation des élus et fonctionnaires territoriaux au fait frontalier (CNFPT) et systématiser les échanges d’expérience annuels et de bonnes pratiques entre élus frontaliers, en s’appuyant sur les ressources de la MOT et en lien avec les grands réseaux de collectivités territoriales
- Recommandation n°12 : Encourager la clarification progressive du rôle des différents intervenants, en s’appuyant sur les dispositifs contractuels, contrats de plan et contrats territoriaux de relance et de transition écologique
Vous devez être connecté pour poster un commentaire.