En 2021, le Conseil d’Etat avait rappelé que les services publics de restauration scolaire (cantines) ou de centres aquatiques (piscines) étaient souvent exonérés de TVA. Le même raisonnement, dans la lignée de décisions antérieures à hauteur d’appel, vient d’être étendu aux prestations des EHPAD publics, non sans limites toutefois.
Il y a exonération de TVA s’il y a :
- d’une part, une activité exercée par un organisme agissant en tant qu’autorité publique.
Sur ce premier point, le Conseil d’Etat pose que l’ensemble des prestations hôtelières exercées par un établissement d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (EHPAD) public doivent être regardées comme étant exercées par un organisme agissant en tant qu’autorité publique. - et, d’autre part, un non-assujettissement qui ne conduit pas à des distorsions de concurrence d’une certaine importance.
Sur ce second point, le Conseil d’Etat estime que le fait qu’un EHPAD public est habilité à recevoir des bénéficiaires de l’aide sociale à l’hébergement pour la totalité des places qu’il offre est une sorte de présomption quasi-irréfragable de ce que ce second critère est rempli sans que le juge n’ait à à examiner si le non-assujettissement de l’EHPAD à la TVA était susceptible de le désavantager ni à prendre en compte le nombre de résidents effectivement bénéficiaires de l’aide sociale à l’hébergement.
A la base, existe un principe de non assujettissement des personnes morales de droit public agissant en tant qu’autorités publiques (art. 256 B du CGI). Mais avec des dérogations… des exceptions.
La Haute Assemblée commence par rappeler, en 2023 comme elle l’avait fait en 2021, le droit applicable : article 13 de la directive 2006/112/CE du 28 novembre 2006 ; paragraphe 5 de l’article 4 de la directive 77/388/CEE du 17 mai 1977, telles qu’interprétés par la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE), notamment dans son arrêt C-174/14 du 29 octobre 2015…
Voir aussi : CE, 23 décembre 2010, Commune de Saint-Jorioz, n° 307856, rec. p. 527 ; CE, avis, 12 avril 2019, Centre hospitalier de Vire, n° 427540 ; Rappr. CJCE, grande chambre, 16 septembre 2008, Isle of Wight Council et autres, aff. C-288/07, Rec. 2008 p. I-7203 ; CJUE, 19 janvier 2017, National Roads Authority, aff. C-344/15, OJ C 70, 6.3.2017, p. 3-4.
Il en résulte que le non-assujettissement à la taxe sur la valeur ajoutée (TVA), prévu en faveur des personnes morales de droit public énumérées au paragraphe 1 de l’article 13 de la directive du 28 novembre 2006, et qui déroge à la règle générale de l’assujettissement de toute activité de nature économique, est subordonné à deux conditions cumulatives tenant :
- d’une part, à ce que l’activité soit exercée par un organisme agissant en tant qu’autorité publique.Cette condition est remplie, selon la jurisprudence de la CJUE, lorsque l’activité en cause est exercée dans le cadre du régime juridique particulier aux personnes morales de droit public. Ainsi, l’activité en cause doit être exercée dans des conditions juridiques différentes de celles des opérateurs économiques privés, notamment, lorsque sont mises en oeuvre des prérogatives de puissance publique, lorsque l’activité est accomplie en raison d’une obligation légale ou dans le cadre d’un monopole ou encore lorsqu’elle relève par nature des attributions d’une personne publique. Cette condition peut également, si la législation de l’Etat membre le prévoit, être regardée comme remplie lorsque l’activité exercée est exonérée en application, notamment, de l’article 132 de la directive du 28 novembre 2006. Si cette condition n’est pas remplie, la personne morale de droit public est nécessairement assujettie à la TVA à raison de cette activité économique, sans préjudice des éventuelles exonérations applicables.
- et, d’autre part, à ce que le non-assujettissement ne conduise pas à des distorsions de concurrence d’une certaine importance.Ces distorsions de concurrence mentionnées au paragraphe 1 de l’article 13 de la directive du 28 novembre 2006, tel qu’interprété par la CJUE (notamment CJCE, 6 février 1997, Marktgemeinde Welden, aff. C-247/95 (pt 19), ECR 1997 I-00779), s’apprécient, précise le Conseil d’Etat:
– à la fois au regard de l’activité en cause
– et des conditions d’exploitation de cette activité.
L’existence de telles distorsions ne saurait, dès lors, résulter de la seule constatation que des prestations réalisées par un organisme de droit public sont identiques à celles réalisées par un opérateur privé, sans examen de l’état de la concurrence réelle, ou à défaut potentielle, sur le marché en cause.
Cette grille d’analyse étant rappelée et, même, précisée, le Conseil d’Etat l’avait appliquée :
- aux cas de la restauration scolaire, que de manière charmante et désuète mais qui parfois suffit à être crucifié dans le monde
scolairede la communauté éducative, la Haute Assemblée persiste à appeler « cantines ».Cette activité communale de fourniture de repas dans les cantines scolaires doit être regardée comme relevant des services éducatifs rendus par une personne morale de droit public au sens de l’article 256 B du CGI, interprété conformément à l’article 13, au i) de l’article 132 et à l’article 134 de la directive du 28 novembre 2006 dont il assure la transposition.
Oui mais, comme on l’a vu, cela ne suffit pas. Encore faut-il qu’il y ait NON distorsion de concurrence.
Or, l’arrêt de 2021 conduit à ce que rares soient constatées de telles distorsions.
Source : CE, 28 mai 2021, n°441739, à publier en intégral au rec. Et surtout, pour plus de détails, voir ici notre article d’alors : Le Conseil d’Etat confirme les bases de la large exonération de TVA en restauration scolaire - aux piscines publiques et autres centres aquatiques municipaux ou intercommunaux (CE, 28 mai 2021, n° 442378, à publier en intégral au rec. ; Source : Conseil d’État, 9 décembre 2021, n° 439617, à mentionner aux tables du recueil Lebon). Voir surtout (car sur ce point, vraiment, le diable se niche dans les détails) :
Or, les EPHAD publics, avec leurs prestations complémentaires, se trouvent dans la même situation, voire plus encore.
D’ailleurs, nous avions en février 2022 commenté un intéressant arrêt de la CAA de Nantes à ce sujet :
Cette CAA avait posé que l’exonération de TVA impliquait que soient réunis deux éléments :
- d’une part, que l’activité soit exercée par un organisme agissant en tant qu’autorité publique.Sur ce premier critère, l’affaire était assez simple puisque l’EHPAD en question, géré par un centre hospitalier (celui de Vire) n’avait QUE des places habilitées à l’aide sociale. Il était difficile de ne pas y voir un établissement à caractère social et le juge a estimé qu’il en résulte que son activité d’hébergement doit être regardée comme exercée par un organisme agissant en tant qu’autorité publique.
- et, d’autre part, que le non-assujettissement ne conduise pas à des distorsions de concurrence d’une certaine importance.Là encore, le fait que l’intégralité des places dont dispose cet EHPAD géré par le centre hospitalier de Vire était habilitées au dispositif d’aide sociale à l’hébergement, alors que, pour les établissements privés, qu’ils soient à but lucratif ou non, les lits habilités à l’aide sociale ne représentent qu’une faible part du nombre total de lits, et l’EHPAD ne pouvant, contrairement aux autres établissements privés, fixer librement ses tarifs d’hébergement, les établissements privés existants, qui proposent des prestations supérieures à celles des établissements publics, et à des prix nettement supérieurs, ne sont pas en concurrence directe avec cet établissement public. La CAA a donc posé qu’en l’absence de preuve de ce qu’un opérateur privé serait empêché d’entrer sur ce marché spécifique ou pourrait y subir un désavantage du seul fait de son assujettissement à la taxe sur la valeur ajoutée, le non-assujettissement à la taxe sur la valeur ajoutée de l’activité de l’EHPAD géré par le centre hospitalier de Vire ne génère pas de distorsion de concurrence d’une certaine importance.
Voici cet arrêt :
C’est un raisonnement comparable qui vient d’être tenu par le Conseil d’Etat :
- En premier lieu, la condition selon laquelle l’activité économique est réalisée par l’organisme public en tant qu’autorité publique est remplie, selon la jurisprudence de la Cour de justice, lorsque l’activité en cause est exercée dans le cadre du régime juridique particulier aux personnes morales de droit public. Ainsi, l’activité en cause doit être exercée dans des conditions juridiques différentes de celles des opérateurs économiques privés, notamment, lorsque sont mises en oeuvre des prérogatives de puissance publique, lorsque l’activité est accomplie en raison d’une obligation légale ou dans le cadre d’un monopole ou encore lorsqu’elle relève par nature des attributions d’une personne publique. Cette condition peut également, si la législation de l’État membre le prévoit, être regardée comme remplie lorsque l’activité exercée est exonérée en application, notamment, de l’article 132 de la directive du Conseil du 28 novembre 2006. Si cette condition n’est pas remplie, la personne morale de droit public est nécessairement assujettie à la taxe sur la valeur ajoutée à raison de cette activité économique, sans préjudice des éventuelles exonérations applicables.
- En second lieu, par un arrêt C-288/07 du 16 septembre 2008, la Cour de justice a dit pour droit que les distorsions de concurrence d’une certaine importance auxquelles conduirait le non-assujettissement des organismes de droit public agissant en tant qu’autorités publiques doivent être évaluées par rapport à l’activité en cause, en tant que telle, indépendamment de la question de savoir si ces organismes font face ou non à une concurrence au niveau du marché local sur lequel ils accomplissent cette activité, ainsi que par rapport non seulement à la concurrence actuelle, mais également à la concurrence potentielle, pour autant que la possibilité pour un opérateur privé d’entrer sur le marché pertinent soit réelle, et non purement hypothétique. Par un arrêt C-344/15 du 19 janvier 2017, la Cour de justice a précisé que les distorsions de concurrence d’une certaine importance doivent être évaluées en tenant compte des circonstances économiques et que la seule présence d’opérateurs privés sur un marché, sans la prise en compte des éléments de fait, des indices objectifs et de l’analyse de ce marché, ne saurait démontrer ni l’existence d’une concurrence actuelle ou potentielle ni celle d’une distorsion de concurrence d’une certaine importance. Les distorsions de concurrence mentionnées au paragraphe 1 de l’article 13 de la directive du Conseil du 28 novembre 2006 s’apprécient à la fois au regard de l’activité en cause et des conditions d’exploitation de cette activité. L’existence de telles distorsions ne saurait, dès lors, résulter de la seule constatation que des prestations réalisées par un organisme de droit public sont identiques à celles réalisées par un opérateur privé, sans examen de l’état de la concurrence réelle, ou à défaut potentielle, sur le marché en cause.
On retrouve donc, avec quelques précisions supplémentaires, les deux éléments cumulatifs des arrêts de 2021 en matière de restauration scolaire ou de centres aquatiques. Fort bien.
Mais abordons l’application qui en est faite par le Conseil d’Etat dans le cas, donc, des EHPAD publics.
La Haute Assemblée confirme qu’il faut y voir une activité effectuée en tant qu’autorité publique et que, par suite, l’ensemble des prestations hôtelières exercées par un établissement d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (EHPAD) public doivent être regardées comme étant exercées par un organisme agissant en tant qu’autorité publique.
D’autre part, eu égard au caractère social des EHPAD publics, qui sont habilités à accueillir entièrement ou principalement des personnes âgées à faibles ressources et qui, par suite, sont soumis en principe à une tarification administrée de leurs prestations relatives à l’hébergement de celles-ci, un opérateur privé exerçant cette activité à titre lucratif, libre de choisir sa clientèle et, par suite, de fixer ses tarifs en conséquence, ne saurait être empêché d’entrer sur le marché en cause ou y subir un désavantage du seul fait de son assujettissement à la TVA qui lui permet, à la différence d’un opérateur public placé hors du champ de celle-ci, d’obtenir le remboursement de l’excédent de la taxe ayant grevé ses charges sur celle dont il est redevable à raison de ses recettes.
Par ailleurs, note le Conseil d’Etat, cette même activité exercée sans but lucratif par un opérateur privé est exonérée de la TVA en vertu du b du 1° du 7 de l’article 261 du CGI.
Par suite, une cour administrative d’appel dont l’arrêt était soumis à la censure du Conseil d’Etat n’avait pas commis d’erreur de droit en jugeant que le non-assujettissement à la TVA d’un EHPAD public, dont il n’était pas contesté qu’il était habilité à recevoir des bénéficiaires de l’aide sociale à l’hébergement pour la totalité des places qu’il offre, n’était pas susceptible de générer de distorsion dans les conditions de la concurrence au sens et pour l’application de l’article 256 B du CGI, lu à la lumière des dispositions de la directive du 28 novembre 2006 qu’il a pour objet de transposer.
A cet égard, la cour n’avait ni à examiner si le non-assujettissement de l’EHPAD à la TVA était susceptible de le désavantager ni à prendre en compte le nombre de résidents effectivement bénéficiaires de l’aide sociale à l’hébergement. Ce qui fait que l’ouverture aux bénéficiaires de l’aide sociale glisse vers une présomption, quasiment irréfragable, d’exonération de TVA (sauf autre élément contraire ; un EPHAD public qui aurait des prestations quasiment VIP sur certains lits ou des zonages différenciés serait évidemment sans doute traité autrement).
Voici cette décision :
Conseil d’État, 7 avril 2023, n° 463222, aux tables du recueil Lebon
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