Oui (sous certaines conditions qui sont en réalité toujours remplies) il est bien légal que les services de restauration scolaire (cantines) se trouvent exonérés de TVA.
La Haute Assemblée commence par rappeler le droit applicable : article 13 de la directive 2006/112/CE du 28 novembre 2006 ; paragraphe 5 de l’article 4 de la directive 77/388/CEE du 17 mai 1977, telles qu’interprétés par la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE), notamment dans son arrêt C-174/14 du 29 octobre 2015…
Voir aussi : CE, 23 décembre 2010, Commune de Saint-Jorioz, n° 307856, rec. p. 527 ; CE, avis, 12 avril 2019, Centre hospitalier de Vire, n° 427540 ; Rappr. CJCE, grande chambre, 16 septembre 2008, Isle of Wight Council et autres, aff. C-288/07, Rec. 2008 p. I-7203 ; CJUE, 19 janvier 2017, National Roads Authority, aff. C-344/15, OJ C 70, 6.3.2017, p. 3-4.
Il en résulte que le non-assujettissement à la taxe sur la valeur ajoutée (TVA), prévu en faveur des personnes morales de droit public énumérées au paragraphe 1 de l’article 13 de la directive du 28 novembre 2006, et qui déroge à la règle générale de l’assujettissement de toute activité de nature économique, est subordonné à deux conditions cumulatives tenant :
- d’une part, à ce que l’activité soit exercée par un organisme agissant en tant qu’autorité publique.Cette condition est remplie, selon la jurisprudence de la CJUE, lorsque l’activité en cause est exercée dans le cadre du régime juridique particulier aux personnes morales de droit public. Ainsi, l’activité en cause doit être exercée dans des conditions juridiques différentes de celles des opérateurs économiques privés, notamment, lorsque sont mises en oeuvre des prérogatives de puissance publique, lorsque l’activité est accomplie en raison d’une obligation légale ou dans le cadre d’un monopole ou encore lorsqu’elle relève par nature des attributions d’une personne publique. Cette condition peut également, si la législation de l’Etat membre le prévoit, être regardée comme remplie lorsque l’activité exercée est exonérée en application, notamment, de l’article 132 de la directive du 28 novembre 2006. Si cette condition n’est pas remplie, la personne morale de droit public est nécessairement assujettie à la TVA à raison de cette activité économique, sans préjudice des éventuelles exonérations applicables.
- et, d’autre part, à ce que le non-assujettissement ne conduise pas à des distorsions de concurrence d’une certaine importance.Ces distorsions de concurrence mentionnées au paragraphe 1 de l’article 13 de la directive du 28 novembre 2006, tel qu’interprété par la CJUE (notamment CJCE, 6 février 1997, Marktgemeinde Welden, aff. C-247/95 (pt 19), ECR 1997 I-00779), s’apprécient, précise le Conseil d’Etat:
– à la fois au regard de l’activité en cause
– et des conditions d’exploitation de cette activité.
L’existence de telles distorsions ne saurait, dès lors, résulter de la seule constatation que des prestations réalisées par un organisme de droit public sont identiques à celles réalisées par un opérateur privé, sans examen de l’état de la concurrence réelle, ou à défaut potentielle, sur le marché en cause.
Cette grille d’analyse étant rappelée et, même, précisée, le Conseil d’Etat l’applique aux cas de la restauration scolaire, que de manière charmante et désuète mais qui parfois suffit à être crucifié dans le monde scolaire de la communauté éducative, la Haute Assemblée persiste à appeler « cantines ».
Celle-ci note qu’il résulte de l’article 256 B du code général des impôts (CGI) que la France a fait usage de la possibilité, ouverte par le dernier alinéa de l’article 13 de la directive du 28 novembre 2006, de regarder comme des activités effectuées en tant qu’autorités publiques les services éducatifs des personnes morales de droit public.
Ces prestations doivent s’entendre, à la lumière des dispositions de la directive que cet article a pour objet de transposer, des prestations d’éducation de l’enfance ou de la jeunesse et d’enseignement scolaire ou universitaire ainsi que des prestations de services et livraisons de biens étroitement liés à celles-ci, lorsqu’elles sont effectuées par les personnes morales de droit public ayant pour objet l’enseignement.
Or, il résulte bien de l’article L. 2121-30 du code général des collectivités territoriales (CGCT), reproduit par l’article L. 212-1 du code de l’éducation, que la commune dispose de compétences d’organisation du service public éducatif lui conférant la qualité d’organisme de droit public ayant pour objet l’enseignement. La commune intervient bien donc comme une une autorité publique au sens de ce régime.
Par ailleurs, la fourniture de repas à la pause méridienne dans des cantines situées au sein même des établissements scolaires et pour le seul bénéfice de leurs élèves, qui ne constitue pas une fin en soi mais le moyen pour les élèves de bénéficier dans les meilleures conditions de la prestation d’enseignement rendue par ces établissements, a la nature d’un accessoire indispensable de celle-ci et, par suite, d’une prestation étroitement liée à l’enseignement scolaire. Dès lors, l’activité communale de fourniture de repas dans les cantines scolaires doit être regardée comme relevant des services éducatifs rendus par une personne morale de droit public au sens de l’article 256 B du CGI, interprété conformément à l’article 13, au i) de l’article 132 et à l’article 134 de la directive du 28 novembre 2006 dont il assure la transposition.
Oui mais, comme on l’a vu, cela ne suffit pas. Encore faut-il qu’il y ait NON distorsion de concurrence.
Or, les distorsions de concurrence mentionnées au paragraphe 1 de l’article 13 de la directive du 28 novembre 2006, tel qu’interprété par la CJUE, s’apprécient à la fois au regard de l’activité en cause et des conditions d’exploitation de cette activité.
L’existence de telles distorsions ne saurait, dès lors, résulter de la seule constatation que des prestations réalisées par un organisme de droit public sont identiques à celles réalisées par un opérateur privé, sans examen de l’état de la concurrence réelle, ou à défaut potentielle, sur le marché en cause.
Eu égard aux articles R. 531-52 et R. 531-53 du code de l’éducation, la satisfaction des besoins de restauration des enfants des écoles dans des conditions de prix comparables ne serait susceptible d’être assurée par un opérateur privé de manière profitable sans que les recettes issues de l’exploitation soient complétées par une subvention publique.
Dans ces conditions, un opérateur privé exerçant cette activité ne saurait être empêché d’entrer sur le marché en cause ou y subir un désavantage du seul fait de son assujettissement à la TVA qui lui permet, à la différence d’un opérateur public placé hors du champ de celle-ci, d’obtenir le remboursement de l’excédent de la taxe ayant grevé ses charges sur celle dont il est redevable à raison de ses recettes.
Par suite, et sans qu’ait d’incidence à cet égard la circonstance que celle-ci s’en trouverait elle-même désavantagée, le non assujettissement d’une commune à la TVA à raison d’une activité de fourniture de repas dans les cantines scolaires ne saurait être regardée comme entraînant des distorsions dans les conditions de la concurrence, au sens et pour l’application de l’article 256 B du CGI, lu à la lumière des dispositions de la directive du 28 novembre 2006 qu’il a pour objet de transposer.
Comme cela correspond tant à nos préconisations opérationnelles depuis 20 ans qu’à la pratique de presque 100 % des services de restauration scolaire… nous voici rassérénés. Et pour les autres services de restaurations collectives publiques, où ces conditions sont parfois un peu moins aisément remplies, au moins maintenant disposons-nous d’un mode d’emploi clair et net.
Source : CE, 28 mai 2021, n°441739, à publier en intégral au rec.
NB : voir l’arrêt du même jour n° 442378, et dans le même sens, en matière de piscines publiques et autres centres aquatiques : Le Conseil d’Etat sécurise (sous conditions) la large exonération de TVA des centres aquatiques publics (piscines)