Retraites : le Conseil constitutionnel confirme son interprétation restrictive de la notion de « réforme » à l’article 11 de la Constitution

Dans une nouvelle tentative de proposition de référendum d’initiative partagée (RIP) en matière de retraite, où il s’agissait de proposer de rebrousser chemin par rapport au texte de la « loi retraites » n° 2023-270 du 14 avril 2023, le Conseil constitutionnel confirme son interprétation logique, mais restrictive, de la notion de « réforme » à l’article 11 de la Constitution. 

Cette proposition de RIP avait été transmise au Conseil constitutionnel le 13 avril, la veille de l’adoption de la loi. Sa censure était donc plus que probable (puisqu’à la date de saisine du Conseil cette proposition de RIP ne modifiait pas le droit existant — au 13 avril la retraite était à 62 ans ! ) et que les maigres tentatives pour dire que le droit en était modifié (sur les taux de cotisations sociales) ne correspondaient pas au standard posé, sur ce point précis, par la décision n° 2022-3 RIP du 25 octobre 2022).

Ensuite, un RIP ne peut revenir sur une loi votée depuis moins d’un an (art. 11 de la Constitution).

DONC un 3e RIP (comme celui concocté à l’Assemblée Nationale par le groupe LIOT) contre la réforme des retraites ne peut que soit changer complètement de braquet (et encore, le sujet ne doit pas pouvoir être requalifié en abrogation de la réforme) soit… attendre un an.

  • I. Rappel du droit et point tel qu’il pouvait être brossé avant la décision de ce jour 
  • II. Sans surprise, ce jour, le Conseil constitutionnel confirme qu’un RIP ne peut servir à s’opposer à une réforme en cours non encore publiée à la date de saisine du Conseil constitutionnel… ce qui laisse une place, toute petite, peut-être, pour une 3e tentative de RIP qui, lui, serait soit très différent soit postérieur d’un an à la publication de la loi du 14 avril 2023
  • III. Voici la nouvelle décision 

 

I. Rappel du droit et point tel qu’il pouvait être brossé avant la décision de ce jour

 

Aux termes de l’article 11 de la Constitution, le référendum d’initiative partagée impose que soient réunies autour d’une proposition de loi les conditions suivantes :

  1. • une initiative d’un 1/5e des membres du Parlement
  2. • un soutien par 1/10e des électeurs (sur 9 mois)
  3. • un texte qui ne peut avoir pour objet l’abrogation d’une disposition législative promulguée depuis moins d’un an et qui ne peut porter sur le même sujet qu’un référendum refusé par les français dans les deux dernières années
  4. • un texte qui doit porter « sur l’organisation des pouvoirs publics, sur des réformes relatives à la politique économique, sociale ou environnementale de la nation et aux services publics qui y concourent, ou tendant à autoriser la ratification d’un traité qui, sans être contraire à la Constitution, aurait des incidences sur le fonctionnement des institutions.»

Si ces conditions sont réunies,  proposition est adressée au Parlement, qui est chargé d’en faire l’examen.
A défaut d’examen de la proposition de loi par les deux chambres (Assemblée nationale et Sénat) dans un délai de 6 mois, le président de la République est tenu de soumettre la proposition de loi au référendum.

Le Conseil constitutionnel :

 

Voici une vidéo de 13 mn 15 à ce sujet, présentée par mes soins avant une interview de :

  • Mme Marthe Fatin-Rouge Stefanini, Directrice de recherches au CNRS, Aix Marseille Université, Université de Toulon, CNRS, DICE, ILF
    Dernières publications : M. Fatin-Rouge Stefanini,  » Le RIP : d’illusions en désillusions », Le Monde, 20 avril 2023. M. Fatin-Rouge Stefanini, « Les initiatives populaires indirectes », in R. Magni-Berton et L. Morel, Démocratie directe, Bruylant-Larcier 2022, pp. 149-159. M. Fatin-Rouge Stefanini, « Démocratiser la confection de la loi sans bouleverser le système représentatif », in J. Padovani et M. Patin-Heitzmann, La participation des citoyens à la confection de la loi, Mare &Martin, 2022, pp. 105-131. M. Fatin-Rouge Stefanini, « Du droit de pétition à l’initiative populaire en France : un glissement progressif mais limité », in Varia,  Constitutions, peuples et territoires, Mélanges en l’honneur d’André Roux, Dalloz, 2022, pp. 181-191. https://shs.hal.science/halshs-03890736
  • M. Didier Maus,
    Président émérite de l’Association française de droit constitutionnel

 

https://youtu.be/XemEPfla_Yc?t=395

 

 

Il s’agit d’un extrait de notre chronique vidéo hebdomadaire, « les 10′ juridiques », faite en partenariat entre Weka et le cabinet Landot & associés : http://www.weka.fr

 

II. Sans surprise, ce jour, le Conseil constitutionnel confirme qu’un RIP ne peut servir à s’opposer à une réforme en cours non encore publiée à la date de saisine du Conseil constitutionnel… ce qui laisse une place, toute petite, peut-être, pour une 3e tentative de RIP qui, lui, serait soit très différent soit postérieur d’un an à la publication de la loi du 14 avril 2023

 

Après l’échec du projet de RIP préalable à la publication de la loi, vint celui d’un RIP postérieur à la loi.

Le Conseil constitutionnel, sans surprise, s’en est tenu à la même position, sans estimer que le fait que le RIP était postérieur à la publication de la loi pouvait conduire à y voir une réforme par rapport au droit positif.

Le Conseil constitutionnel juge en effet que ne porte pas sur une réforme relative à la politique sociale de la nation, au sens de l’article 11 de la Constitution, la proposition de loi visant à interdire un âge légal de départ à la retraite supérieur à 62 ans

Cette proposition de RIP avait été transmise au Conseil constitutionnel le 13 avril, la veille de l’adoption de la loi. Sa censure était donc plus que probable (puisqu’à la date de saisine du Conseil elle ne modifiait pas le droit existant et que les maigres tentatives pour dire que le droit en était modifié ne correspondaient pas au standard posé par la décision n° 2022-3 RIP du 25 octobre 2022).

Cette proposition de loi est la cinquième à avoir été soumise au Conseil constitutionnel dans le cadre de la procédure dite du « référendum d’initiative partagée », instituée par la loi constitutionnelle du 23 juillet 2008. Cette procédure est régie par les troisième à sixième alinéas de l’article 11 de la Constitution et précisée par la loi organique n° 2013-1114 du 6 décembre 2013 portant application de l’article 11 de la Constitution.

Ainsi que le Conseil constitutionnel l’a jugé par sa décision n° 2013-681 DC du 5 décembre 2013 relative à cette loi organique, le constituant a entendu, par cette procédure, rendre possible, à l’initiative d’un cinquième des membres du Parlement, l’organisation d’un référendum sur une proposition de loi soutenue par un dixième des électeurs. Il a ainsi réservé aux membres du Parlement le pouvoir d’initiative d’une telle proposition de loi et reconnu à tous les électeurs inscrits sur les listes électorales le droit d’apporter ensuite leur soutien à cette proposition.

Dans le cas où cette proposition recueille le soutien d’un dixième de ces électeurs, le constituant a enfin entendu que le Président de la République soumette au référendum la proposition de loi si elle n’a pas été examinée par l’Assemblée nationale et le Sénat dans un délai fixé à six mois par la loi organique.

Dans le cadre ainsi défini, le constituant a confié au Conseil constitutionnel la mission, d’une part, de contrôler la conformité à la Constitution de la proposition de loi et, d’autre part, de veiller au respect des conditions prévues par le troisième alinéa de l’article 11 de la Constitution pour l’organisation d’un tel référendum.

Il appartenait donc au Conseil constitutionnel, suivant les termes de l’article 45-2 de l’ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel, de vérifier, en premier lieu, que la proposition de loi a été présentée par au moins un cinquième des membres du Parlement, en deuxième lieu, que son objet respecte les conditions posées aux troisième et sixième alinéas de l’article 11 de la Constitution et, si ces conditions étaient satisfaites, qu’aucune disposition de la proposition de loi n’est contraire à la Constitution.

Par sa décision de ce jour, le Conseil constitutionnel a vérifié le respect de ces exigences constitutionnelles et organiques.

En premier lieu, le Conseil a constaté que la proposition de loi a été présentée par plus d’un cinquième des membres du Parlement à la date d’enregistrement de sa saisine.

En second lieu, il a examiné si, à cette même date, l’objet de la proposition de loi respectait les conditions posées aux troisième et sixième alinéas de l’article 11 de la Constitution. Comme le rappelle la décision, le troisième alinéa de l’article 11 de la Constitution renvoie à « l’objet mentionné au premier alinéa » de ce même article qui prévoit que « Le Président de la République, sur proposition du Gouvernement pendant la durée des sessions ou sur proposition conjointe des deux assemblées, publiées au Journal officiel, peut soumettre au référendum tout projet de loi portant sur l’organisation des pouvoirs publics, sur des réformes relatives à la politique économique, sociale ou environnementale de la nation et aux services publics qui y concourent, ou tendant à autoriser la ratification d’un traité qui, sans être contraire à la Constitution, aurait des incidences sur le fonctionnement des institutions ».

À cette aune, le Conseil constitutionnel avait déjà eu à se prononcer sur ce qu’est une « réforme » au sens de l’article 11 de la Constitution, à la lumière des travaux préparatoires de la loi constitutionnelle du 4 août 1995 qui est à l’origine de l’extension du champ de l’article 11 aux « réformes relatives à la politique économique ou sociale de la nation et aux services public qui y concourent ». Il avait ainsi considéré, dans sa décision n° 2019-1 RIP du 9 mai 2019, que constituait une réforme de la politique économique de la nation une proposition qui visait à ériger en service public national l’exploitation d’Aéroports de Paris. En revanche, dans sa décision n° 2022-3 RIP du 25 octobre 2022, il avait jugé que ne présentait pas ce caractère une proposition qui visait uniquement à abonder le budget de l’État en augmentant le niveau de l’imposition existante des bénéfices de certaines sociétés. Par sa décision n° 2023-4 RIP du 14 avril 2023, il avait jugé qu’il en allait de même de la proposition de loi visant à affirmer que l’âge légal de départ à la retraite ne peut être fixé au-delà de 62 ans.

En l’espèce, le Conseil constitutionnel a constaté que la proposition de loi qui lui était soumise avait pour objet de fixer l’âge légal de départ à la retraite et d’augmenter la contribution des revenus du capital au financement du système de retraite par répartition.

– D’une part, par un raisonnement identique à celui de sa décision n° 2023-4 RIP du 14 avril 2023, il a relevé que cette proposition de loi réécrit l’article L. 161-17-2 du code de la sécurité sociale afin de prévoir que l’âge d’ouverture du droit à une pension de retraite mentionné au premier alinéa de l’article L. 351-1 du même code applicable aux assurés du régime général, à l’article L. 732-18 du code rural et de la pêche maritime applicable aux assurés du régime des personnes non salariées des professions agricoles, ainsi qu’au 1 ° du paragraphe I de l’article L. 24 et au 1 ° de l’article L. 25 du code des pensions civiles et militaires de retraite applicables aux fonctionnaires civils, ne peut être supérieur à soixante-deux ans.

Or, à la date à laquelle le Conseil constitutionnel a été saisi de cette proposition de loi, l’article L. 161-17-2 du code de la sécurité sociale dispose déjà que l’âge d’ouverture du droit à une pension de retraite mentionné à ces mêmes dispositions est fixé à soixante-deux ans. À la date d’enregistrement de la saisine, l’interdiction de fixer l’âge légal de départ à la retraite au-delà de soixante-deux ans n’emporte donc pas de changement de l’état du droit.

En outre, le législateur peut toujours modifier, compléter ou abroger des dispositions législatives antérieures, qu’elles résultent d’une loi votée par le Parlement ou d’une loi adoptée par voie de référendum. Ainsi, ni la circonstance que les dispositions de cette proposition de loi seraient adoptées par voie de référendum ni le fait qu’elles fixeraient un plafond contraignant pour le législateur ne permettent davantage de considérer qu’elles apportent un changement de l’état du droit.

– D’autre part, par un raisonnement analogue à celui de sa décision n° 2022-3 RIP du 25 octobre 2022, le Conseil constitutionnel a relevé que cette proposition de loi prévoit d’augmenter de 9,2 % à 19,2 % le taux d’imposition à la contribution sociale généralisée des revenus du patrimoine mentionnés au e du paragraphe I de l’article L. 136-6 du code de la sécurité sociale et des produits de placement mentionnés au 1 ° du paragraphe I de l’article L. 136-7 du même code ainsi que d’affecter le produit de cette contribution sur ces revenus et produits à la branche vieillesse et veuvage du régime général de la sécurité sociale. Elle a ainsi pour seul effet d’abonder le budget d’une branche de la sécurité sociale en augmentant le taux applicable à une fraction de l’assiette d’une imposition existante dont le produit est déjà en partie affecté au financement du régime général de la sécurité sociale.

– De l’ensemble de ces motifs, le Conseil constitutionnel a déduit que la proposition de loi ne porte pas, au sens de l’article 11 de la Constitution, sur une réforme relative à la politique sociale.

Après avoir constaté que la proposition de loi ne porte sur aucun des autres objets mentionnés au premier alinéa de l’article 11 de la Constitution, le Conseil constitutionnel juge donc qu’elle ne satisfait pas aux conditions fixées par le troisième alinéa de ce même article et le 2 ° de l’article 45-2 de l’ordonnance du 7 novembre 1958.

Cela laisse une place, toute petite, peut-être, pour une 3e tentative de RIP qui, lui, serait soit très différent… soit postérieur d’un an à la publication de la loi du 14 avril 2023 (puisqu’un RIP ne peut servir à revenir sur une loi adoptée depuis moins d’un an).

 

III. Voici cette décision

 

Décision n° 2023-5 RIP du 3 mai 2023, Proposition de loi visant à interdire un âge légal de départ à la retraite supérieur à 62 ans, Non conformité

 

 

Crédits photographiques : Conseil constitutionnel