Le TA de Toulouse a rendu un jugement dont il ressort que le point de départ d’une action en récupération d’un indu de RSA par un département est la date à laquelle l’organisme chargé du service du RSA (CAF ou MSA) transmet la créance au président du conseil départemental.
Tant que l’organisme chargé du service de la prestation procède à la récupération de l’indu par retenues sur des prestations à échoir, la prescription est interrompue (L. 262-45 CASF).
Il n’y a donc pas de prescription sur ce point tant que l’organisme chargé du service de la prestation procède réellement à la récupération de l’indu par retenues sur des prestations à échoir (art. L. 262-45 du CASF et art. D. 553-4 du code de la sécurité sociale).
Voici cette décision :
TRIBUNAL ADMINISTRATIF DE TOULOUSE
N° 2003830
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Mme CD. ___________
M. Alain Daguerre de Hureaux Magistrat désigné ___________
Mme Françoise Perrin Rapporteure publique ___________
Audience du 9 mars 2022 Décision du 23 mars 2022 ___________
04-02-06
C+ RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
Le tribunal administratif de Toulouse Le magistrat désigné, Vu la procédure suivante :
Par une requête enregistrée le 2 août 2020, Mme CD., représentée par Me Barousse, doit être regardée comme demandant au tribunal :
1) d’annuler la ou les décisions du conseil départemental de Tarn-et-Garonne mettant à sa charge un indu de revenu de solidarité active (RSA) ;
2) d’annuler la décision implicite, prise sur recours du 9 décembre 2019, par laquelle le département de Tarn- et-Garonne a refusé d’annuler les trois avis des sommes à payer du 30 octobre 2019 émis par le département pour le recouvrement de trois indus de revenu de solidarité active d’un montant de 4 780,72 euros pour la période d’octobre 2006 à mai 2009, de 3 210,18 euros pour la période de juillet 2009 à février 2010 et de 2 949,74 euros pour la période de septembre 2014 à juin 2016 ;
3) de mettre à la charge du département de Tarn-et-Garonne la somme de 3 000 euros sur le fondement de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
– l’action en recouvrement des indus de revenu de solidarité active est prescrite en application de l’article L. 262-45 du code de l’action sociale et des familles ;
– les décisions mettant à sa charge les indus en litige ne sont pas motivées ;
– les indus de revenu de solidarité active mis à sa charge ne sont pas fondés.
Par un mémoire en défense enregistré le 5 mars 2021, le département de Tarn-et-Garonne conclut au rejet de la requête.
Il fait valoir que :
– les conclusions dirigées contre les décisions, non produites, mettant à la charge de la requérante un indu de RSA sont irrecevables en application de l’article R. 412-1 du code de justice administrative ;
– l’action en recouvrement n’est pas prescrite ;
– les autres moyens de la requête ne sont pas fondés.
Un mémoire a été enregistré pour Mme CD. le 24 février 2022 et n’a pas été communiqué. Vu les autres pièces du dossier.
Vu:
– le code de l’action sociale et des familles ;
– le code civil ;
– la loi n° 2008-561 du 17 juin 2008 ;
– le code des relations entre le public et l’administration ; – le code de justice administrative.
En application de l’article R. 222-13 du code de justice administrative, la présidente du tribunal a désigné M. Daguerre de Hureaux pour statuer sur les litiges visés audit article.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l’audience.
Au cours de l’audience publique, le rapport de M. Daguerre de Hureaux et les conclusions de Mme Françoise Perrin, rapporteure publique, ont été entendus puis, les parties n’étant ni présentes ni représentées, la clôture de l’instruction a été prononcée en application de l’article R. 772-9 du code de justice administrative.
Considérant ce qui suit :
1. Mme CD. a été bénéficiaire du revenu minimum d’insertion (RMI) puis du revenu de solidarité active auprès de la caisse d’allocations familiales de Tarn-et-Garonne de 2004 à 2019. Mme CD. exploitait une agence immobilière jusqu’à sa radiation du registre du commerce en août 2004. Toutefois, à la suite d’une enquête des services de l’URSSAF, il a été constaté que l’intéressée avait poursuivi cette même activité, sous couvert d’une société de droit britannique constituée le 28 octobre 2004, sans la déclarer à la caisse d’allocations familiales. Après avoir réintégré les sommes perçues par Mme CD. dans les ressources prises en compte pour la détermination de ses droits au RSA, par décision du 9 décembre 2009, la CAF a notifié à l’intéressée, pour la période d’octobre 2006 à juin 2009, un indu d’un montant de 13 454,03 euros. Par décisions des 3 août 2016 et 8 août 2017, la CAF de Tarn-et-Garonne a également notifié à Mme CD., pour la période de juillet 2009 à février 2010, un indu d’un montant de 3 210,18 euros et pour la période de septembre 2014 à février 2017, un indu d’un montant initial de 4 877,94 euros. Ces dettes ont fait l’objet de retenues sur prestations à échoir servies à Mme CD. de 45 euros à compter de janvier 2010, de 47 euros à compter de février 2013, et de 48 euros à compter d’octobre 2017. Mme CD. ne percevant plus de prestations de la CAF, ces dettes ont été transférées au département de Tarn-et Garonne fin août 2019 et ce dernier a émis le 30 octobre 2019, trois avis des sommes à payer pour le recouvrement du solde de trois indus de RMI et de RSA et d’aide exceptionnelle de fin d’année correspondant à 4 780,72 euros pour la période d’octobre 2006 à mai 2009, à 3 210,18 euros pour la période de juillet 2009 à février 2010 et à 2 949,74 euros pour la période de septembre 2014 à juin 2016. Par un courrier du 9 décembre 2019 adressé au président du conseil départemental de Tarn-et-Garonne, Mme CD. a demandé l’annulation de ces titres. Par la présente requête, la requérante demande au tribunal d’annuler la ou les décisions du conseil départemental de Tarn-et-Garonne mettant à sa charge un indu de revenu de solidarité active (RSA) et la décision implicite de rejet prise sur recours gracieux du 9 décembre 2019.
Sur l’étendue du litige :
2. Il est toujours loisible à la personne intéressée, sauf à ce que des dispositions spéciales en disposent autrement, de former à l’encontre d’une décision administrative un recours gracieux devant l’auteur de cet acte et de ne former un recours contentieux que lorsque le recours gracieux a été rejeté. L’exercice du recours gracieux n’ayant d’autre objet que d’inviter l’auteur de la décision à reconsidérer sa position, un recours contentieux consécutif au rejet d’un recours gracieux doit nécessairement être regardé comme étant dirigé, non pas tant contre le rejet du recours gracieux dont les vices propres ne peuvent être utilement contestés, que contre la décision initialement prise par l’autorité administrative. Il appartient, en conséquence, au juge administratif, s’il est saisi dans le délai de recours contentieux qui a recommencé de courir à compter de la notification du rejet du recours gracieux, de conclusions dirigées formellement contre le seul rejet du recours gracieux, d’interpréter les conclusions qui lui sont soumises comme étant aussi dirigées contre la décision administrative initiale. Par suite, les conclusions de Mme CD. dirigées contre la décision implicite née le 9 février 2020 par laquelle le président du conseil départemental de Tarn-et- Garonne a rejeté son recours gracieux, doivent être regardées comme tendant également à l’annulation des trois avis des sommes à payer émis le 30 octobre 2019 par le président du conseil départemental de Tarn-et-Garonne.
Sur la fin de non-recevoir opposée en défense aux conclusions dirigées contre la ou les décisions mettant à sa charge un indu de RSA :
3. Aux termes de l’article R. 412-1 du code de justice administrative: «La requête doit, à peine d’irrecevabilité, être accompagnée, sauf impossibilité justifiée, de l’acte attaqué (…) ».
4. Le département de Tarn-et-Garonne oppose une fin de non-recevoir aux conclusions dirigées contre « la ou les décisions du conseil départemental de Tarn-et-Garonne mettant à sa charge un indu de revenu de solidarité active(RSA)». Mme CD., qui indique ne pas les avoir conservées, ne justifie pas d’une impossibilité à les produire. Par suite, les conclusions de sa requête dirigées contre ces décisions sont irrecevables et doivent être rejetées comme telles.
Sur les conclusions à fin d’annulation des avis de sommes à payer émis le 30 octobre 2019, ensemble, la décision implicite de rejet de son recours formé le 9 décembre 2019 :
En ce qui concerne l’exception de prescription :
5. Aux termes de l’article L. 262-45 du code de l’action sociale et des familles : « L’action en vue du paiement du revenu de solidarité active se prescrit par deux ans. Cette prescription est également applicable, sauf en cas de fraude ou de fausse déclaration, à l’action intentée par l’organisme chargé du service du revenu de solidarité active ou le département (…) en recouvrement des sommes indûment payées. / La prescription est interrompue par une des causes prévues par le code civil. L’interruption de la prescription peut, en outre, résulter de l’envoi d’une lettre recommandée avec demande d’avis de réception, quels qu’en aient été les modes de délivrance. / La prescription est interrompue tant que l’organisme débiteur des prestations familiales se trouve dans l’impossibilité de recouvrer l’indu concerné en raison de la mise en œuvre d’une procédure de recouvrement d’indus relevant des articles L. 553-2, L. 821-5-1 ou L. 845-3 du code de la sécurité sociale, L. 262-46 du code de l’action sociale et des familles ou L. 823-9 du code de la construction et de l’habitation. ». Aux termes de l’article L. 262-46 du même code, dans sa version en vigueur à compter du 1er juin 2009 : « Tout paiement indu de revenu de solidarité active est récupéré par l’organisme chargé du service de celui-ci ainsi que, dans les conditions définies au présent article, par les collectivités débitrices du revenu de solidarité active. (…) / A défaut, l’organisme mentionné au premier alinéa peut également, dans des conditions fixées par décret, procéder à la récupération de l’indu par retenues sur les échéances à venir dues au titre des prestations familiales, de l’allocation logement et de la prime d’activité (…). Après la mise en œuvre de la procédure de recouvrement sur prestations à échoir, l’organisme chargé du service du revenu de solidarité active transmet (…) les créances du département au président du conseil départemental (…) ». Enfin, aux termes de l’article D. 553-4 du code de la sécurité sociale : « (…) En cas d’indus multiples, une seule retenue mensuelle est opérée sur les prestations à échoir. Cette retenue contribue au remboursement du montant de chaque indu, par ordre d’ancienneté, jusqu’à l’extinction de chacune des créances. En cas d’indus constatés à la même date, l’indu dont le montant est le plus faible est recouvré en priorité. ».
6. Aux termes de l’article 2262 du code civil, dans sa rédaction antérieure à l’entrée en vigueur de la loi du 17 juin 2008 portant réforme de la prescription en matière civile : « Toutes les actions, tant réelles que personnelles, sont prescrites par trente ans (…) ». En outre, le point de départ de la prescription de l’action en récupération de l’indu doit être reporté à la date où l’administration a eu connaissance de la fraude commise par l’allocataire. La loi du 17 juin 2008 a réduit la durée de la prescription civile de droit commun pour prévoir, à l’article 2224 du code civil, que : « Les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d’un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l’exercer ». Enfin, aux termes du II de l’article 26 de la loi du 17 juin 2008 : « Les dispositions de la présente loi qui réduisent la durée de la prescription s’appliquent aux prescriptions à compter du jour de l’entrée en vigueur de la présente loi, sans que la durée totale puisse excéder la durée prévue par la loi antérieure ».
7. En premier lieu, Mme CD. soutient que la prescription biennale, prévue par l’article L. 262-45 du code de l’action sociale et des familles, de l’action en recouvrement des indus de revenu de solidarité active en litige, qui portent sur une période allant d’octobre 2006 à juin 2016, était acquise. Il résulte de l’instruction que les indus litigieux proviennent de ce que Mme CD. n’a pas déclaré à la caisse d’allocations familiales les revenus tirés de son activité au cours de la période en cause. Eu égard à la nature des ressources ainsi omises, à la présentation des formulaires de déclaration trimestrielle des ressources et au caractère réitéré de l’omission, Mme CD. ne pouvait de bonne foi ignorer qu’elle était tenue de déclarer ces ressources, ce d’autant qu’après avoir cessé d’exploiter une agence immobilière, radiée du registre du commerce en août 2004, elle a repris une activité de même nature à compter d’octobre 2004, cette fois sous couvert d’une société de droit britannique, dont elle n’a pas déclaré les revenus. La requérante doit donc être regardée comme ayant fait de fausses déclarations, lesquelles font obstacle à ce qu’elle puisse se prévaloir de la prescription biennale prévue par les dispositions de l’article L. 262-45 du code de l’action sociale et des familles et lui rendent opposable la prescription quinquennale prévue par les dispositions de l’article 2224 du code civil.
8. En deuxième lieu, en ce qui concerne le premier indu, il résulte des pièces versées à la procédure que Mme CD. a été destinataire d’un courrier du 9 décembre 2009 de la CAF de Tarn-et-Garonne mettant à sa charge un indu de revenu minimum d’insertion et de RSA de 13 454,03 euros pour la période d’octobre 2006 à juin 2009, le conseil général de Tarn-et-Garonne ayant alors évalué ses revenus à la somme de 15 000 euros par an. La CAF a procédé, ainsi qu’il résulte des courriers des 21 janvier 2010, 11 janvier 2013, et 30 août 2019, à des retenues sur prestations jusqu’en mai 2019, et a transmis la créance au département de Tarn-et- Garonne en août 2019, dont le solde s’élevait alors à 4 780,72 euros, après réduction de la créance de Mme CD., le département du Tarn-et-Garonne ayant considéré que les années 2006 et 2007 étaient prescrites. Par suite, en vertu des dispositions précitées au point 5, qui prévoient l’interruption de la prescription pendant toute la période au cours de laquelle l’organisme gestionnaire procède à des retenues sur prestations à échoir, Mme CD. n’est pas fondée à soutenir que la créance mise à sa charge par le titre exécutoire d’un montant de 4 780,72 euros était prescrite.
9. En troisième lieu, en ce qui concerne l’indu d’un montant de 3210,18 euros portant sur la période de juillet 2009 à février 2010, mis à sa charge par une décision de la CAF du 3 août 2016, la créance a été transmise une première fois au département de Tarn-et-Garonne le 31 décembre 2016, ainsi que Mme CD. en a été informé par courrier du même jour. La CAF a procédé à un rappel de créance le 29 mars 2019. Dès lors qu’en vertu des dispositions de l’article D. 553-4 du code de l’action sociale et des familles, les retenues effectuées sur les prestations servies sont affectées prioritairement aux indus les plus anciens, l’interruption de prescription qu’elles provoquent vaut nécessairement pour les indus plus récents. Par suite, Mme CD. n’est pas davantage fondée à soutenir que la créance de 3 210,18 euros aurait été prescrite à la date d’émission du titre contesté.
10. En quatrième lieu, le dernier indu, qui porte sur la période de septembre 2014 à juin 2016, notifié le 8 août 2017, a fait l’objet de diverses retenues sur prestations à échoir ou rappels de droits, ainsi qu’en attestent les courriers de la CAF du 14 août 2017 et 21 septembre 2017, et a été transmis au département de Tarn-et-Garonne par la CAF, ensemble avec le deuxième indu, fin août 2019, ainsi que Mme CD. en a été informé par courrier du 30 août 2019. Par suite, et pour les mêmes raisons que celles exposées au point 9, les retenues opérées par la CAF ont ainsi interrompu le délai de prescription de l’action en recouvrement, conformément aux dispositions de l’article L. 262-46 du code de l’action sociale et des familles. Par suite, l’exception de prescription soulevée par Mme CD. soulevée à l’encontre de cette créance doit également être écartée.
En ce qui concerne le bien-fondé des indus :
11. Si la requérante soutient qu’elle remplissait les conditions lui permettant de bénéficier du revenu de solidarité active au cours de la période en litige, son moyen n’est pas assorti de précisions suffisantes pour permettre au tribunal d’en apprécier le bien-fondé.
12. Il résulte de tout ce qui précède que les conclusions à fin d’annulation présentées par la requérante doivent être rejetées.
Sur les conclusions tendant au bénéfice des frais de procès :
13. Les dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge du département de Tarn-et-Garonne, qui n’est pas la partie perdante dans la présente instance, la somme de 3 000 euros demandée par Mme CD..
DECIDE:
Article 1er : La requête de Mme CD. est rejetée.
Article 2 : La présente décision sera notifiée à Mme CD. et au département de Tarn-et-Garonne. Rendue publique par mise à disposition au greffe le 23 mars 2022.
Le magistrat désigné, La greffière,
Alain Daguerre de Hureaux Sandrine Furbeyre
La République mande et ordonne au préfet de Tarn-et-Garonne en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l’exécution de la présente décision.
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