Des référés-suspension à répétition OUI. Des pourvois en cassation à répétition contre les ordonnances de rejet qui en résultent NON (seule la dernière cartouche de ce mitraillage parviendra, désormais, au Conseil d’Etat)

Légende : requérant déposant des recours les uns après les autres sans aucune compassion pour le juge ni pour la partie défenderesse

Les référés suspension à répétition conduisent, à hauteur de cassation, à des non-lieux : seul un éventuel pourvoi contre la dernière ordonnance sera recevable devant le Conseil d’Etat. C’est ce que vient de décider, par un arrêt de Section, la Haute Assemblée (revenant ainsi sur une  jurisprudence antérieure, en sens contraire, de 2015).

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Un requérant peut-il être quérulent ? Peut-il mitrailler, à répétition, de référés tout au long d’une procédure ?

Réponse : OUI. Un requérant a le droit d’être joueur, très joueur, à répétition.

On le savait déjà pour le référé précontractuel, tant que le contrat n’est pas signé (CE, 8 décembre 2020, n° 440704, aux tables du recueil Lebon ; voir ici notre article et une petite vidéo).

Et cela est classique aussi en référé suspension : « tant qu’je gagne, je joue » faisait dire Coluche à un de ses personnages (voir ici). Là, ça marche en sens inverse pour les requérants persistants qui, tant qu’ils perdent des référés, en tentent d’autres.

Comme le pose le Conseil d’Etat :

« Si les ordonnances par lesquelles le juge des référés fait usage de ses pouvoirs de juge de l’urgence sont exécutoires et, en vertu de l’autorité qui s’attache aux décisions de justice, obligatoires, elles sont, compte tenu de leur caractère provisoire, dépourvues de l’autorité de chose jugée. Il en résulte que la circonstance que le juge des référés a rejeté une première demande de suspension présentée sur le fondement de l’article L. 521-1 du code de justice administrative (CJA) ne fait pas obstacle à ce que le même requérant saisisse ce juge d’une nouvelle demande ayant le même objet, notamment en soulevant des moyens ou en faisant valoir des éléments nouveaux, alors même qu’ils auraient pu lui être soumis dès sa première saisine.»
Résumé des tables de CE, 29 juin 2020, SCI Eaux Douces, n° 435502, rec. T. pp. 897-898-1052, repris depuis : voir ici cet arrêt et le commentaire de mon associé N. Polubocsko, portant plutôt sur d’autres aspects de cette décision. 

Une affaire grenobloise illustrait cette insistance de certains requérants.

M. H… a demandé au juge des référés du tribunal administratif de Grenoble d’ordonner, sur le fondement de l’article L. 521-1 du code de justice administrative, la suspension de l’exécution d’un arrêté interruptif de travaux d’un maire.

Par une ordonnance n° 2300511 du 1er mars 2023, prise sur le fondement de l’article L. 522-3 du code de justice administrative, le juge des référés du tribunal administratif de Grenoble a rejeté sa demande.

Sauf que c’était la 3e fois que ce juge des référés de la Haute Assemblée rejetait les requêtes à répétition de ce requérant quérulent. 

En effet, M. B…, à la date de l’ordonnance n° 2300511 du 1er mars 2023, attaquée, avait saisi à trois reprises, les 29 septembre 2022, 23 novembre 2022 et 27 janvier 2023, le juge des référés du tribunal administratif de Grenoble, sur le fondement de l’article L. 521-1 du code de justice administrative, de demandes tendant à la suspension de l’exécution de cet arrêté, qui ont toutes été rejetées.

Postérieurement à ce pourvoi, M. B… a présenté une quatrième demande de suspension de l’arrêté litigieux sur le fondement de l’article L. 521-1 du code de justice administrative, également rejetée par une nouvelle ordonnance rendue le 28 avril 2023 par le juge des référés du tribunal administratif de Grenoble.

Ces salves contentieuses à répétition n’étaient pas sans poser quelques questions.

La question qui se posait alors au Conseil d’Etat était la suivante : lorsqu’un juge des référés de tribunal administratif a été saisi par un même requérant de demandes réitérées de suspension d’une même décision administrative, sur le fondement de l’article L. 521-1 du CJA, et qu’il les a à chaque fois rejetées pour défaut d’urgence, l’intervention d’une nouvelle décision de rejet prive-t-elle d’objet le pourvoi en cassation dirigé contre une précédente ordonnance de rejet ?

Le cas échéant, faut-il tenir compte du motif de rejet de la demande de suspension, comme l’a fait le juge dans le passé (CE, 8 juillet 2015, SARL Pompes Funèbres Lexovienne, n° 385043, T. p. 815), qui a jugé que lorsqu’une ordonnance du juge des référés du tribunal administratif, saisi sur le fondement de l’article L. 521-1 du CJA, rejette une demande pour défaut d’intérêt pour agir du requérant, la circonstance que, par une ordonnance postérieure, devenue définitive, le même juge ait rejeté pour défaut d’urgence une nouvelle demande ayant le même objet n’est pas de nature à priver d’objet le pourvoi formé par le requérant contre la première ordonnance ?

A ces questions, le Conseil d’Etat décide de répondre que les requêtes à répétition, c’est bel et bon, mais qu’on ne va pas non plus à hauteur de cassation les juger toutes à la suite (entraînant donc un abandon de la jurisprudence SARL Pompes Funèbres Lexovienne, précitée, de 2015).

Donc il décide que, pour citer le résumé de la base Ariane qui préfigure celui des tables du rec. :

« Dans le cas où le demandeur, après le rejet d’une demande de suspension présentée sur le fondement de l’article L. 521-1 du CJA, fait usage de cette faculté en saisissant à nouveau le juge des référés de conclusions ayant le même objet et se pourvoit également en cassation contre la première ordonnance ayant rejeté sa demande, l’intervention, postérieurement à l’introduction de ce pourvoi, d’une nouvelle ordonnance rejetant la nouvelle demande rend, eu égard à la nature de la procédure de référé, sans objet les conclusions dirigées contre la première ordonnance, alors même que la seconde n’est pas devenue définitive. »

Source :

Conseil d’État, Section, 22 septembre 2023, n° 472210, publié au recueil Lebon

Légende : requérant déposant des recours les uns après les autres sans aucune compassion pour le juge ni pour la partie défenderesse