Les contrôles d’identité discriminatoires, ça existe, et ce n’est pas isolé, sans être systémique, constate le Conseil d’Etat. Mais ce n’est pas une raison pour demander au juge administratif ce qui relève SOIT du juge judiciaire SOIT d’une réflexion législative et réglementaire globale. Autrement dit, un requérant ne doit pas confondre recours contentieux et programme politique détaillé

Le Conseil d’Etat constate que les contrôles d’identité discriminatoires sont avérés, non isolés, sans être non plus « systémiques ».

Mais en connaître de leur régularité relève du juge judiciaire.

Le Conseil d’Etat peut certes agir pour formuler des injonctions au Gouvernement, mais avec des limites qui, en l’espèce, ont été allègrement franchies par les requérants car le juge administratif ne va pas non plus se transformer en législateur ni même en pouvoir réglementaire, pour imposer des mesures précises réformant en entier un domaine important de notre cadre juridique, juste parce que des requérants ont confondu requête et programme politique.

Ceci dit, le Conseil d’Etat n’a pas non plus pris la perche qui lui était tendue dans la requête pouvant glisser vers des demandes plus limitées…  

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Au total, donc, selon le Conseil d’Etat, les contrôles d’identité discriminatoire :

  • 1/ existent
  • 2/ ne sont pas isolés
  • 3/ ne sont pas non plus « systémiques » ou « généralisés »
  • 4/ mais il ne relève pas du juge administratif :
    • NI de connaître de « l’appréciation de la régularité des contrôles d’identité opérés sur le territoire [, laquelle] relève de la compétence de l’autorité judiciaire »
    • NI d’imposer aux pouvoirs publics de prendre des mesures qui, elles, sont systémiques. Les requérants demandaient au juge administratif d’imposer toute une batterie de mesures précises qui, si le juge y avait donné suite, eussent conduit le Conseil d’Etat à se transformer en législateur et en pouvoir réglementaire… Cela ne fait pas toujours peur au Conseil d’Etat de franchir de telles barrières, mais tout de même pas à ce point… et jamais en klaxonnant en même temps…
      En l’espèce, demander à titre principal la suppression d’un article du code de procédure pénale tout de même, dont la suppression eût privé les forces de l’Ordre de moyens importants et qui relève d’une décision de l’exécutif et du législatif, sur la base des mandats donnés par le Peuple tout de même à ce niveau là…

Donc agir en ce domaine était habile de la part des associations requérantes et, sans doute, utile. Trop agir avec des demandes démesurées et, surtout, trop précises, était en revanche, le meilleur moyen de planter un tel recours. Demander au juge d’enjoindre à l’administration de prendre des mesures sans les énumérer par exemple, eût pu conduire à une moindre efficacité, mais avec de fortes chances qu’il en résulte une décision de Justice et de réelles avancées sous pression du Juge.

Venir avec sa liste précise de courses, en termes de réformes précises à mettre en oeuvre pour demander au juge de les imposer à l’exécutif voire au législatif… Non ce n’est pas ainsi que cela fonctionne. Sauf quand lesdites mesures précises s’imposent sans marge de manoeuvre (ce qui arrive parfois en matière environnementale, de pollution atmosphérique par exemple, voir ici). 

 Dommage. 


Attention cette décision ne peut être lue séparément d’une autre du même jour et portant sur un autre sujet. Voir :

 


 

La formation la plus solennelle du Conseil d’Etat en contentieux, sa formation d’Assemblée, vient d’avoir à trancher deux points qui restaient fort délicats  : d’une part est-ce au juge administratif de connaître des doctrines ou des pratiques internes aux forces de l’ordre en matière de contrôles d’identité ? … et d’autre part il y a-t-il en ce domaine réellement pratiques discriminatoires ?

Ces questions étaient nées de requêtes déposées par de nombreuses associations (Amnesty International France, Human Rights Watch, Maison communautaire pour un développement solidaire, Open Society Foundation London, Open Society Institute, Pazapas Belleville et Réseau Egalité, antidiscrimination, justice interdisciplinaire …) visant à ce qu’il soit enjoint à l’Etat, sur le fondement des articles L. 77-10-1 et suivants du code de justice administrative, de :

« faire cesser la pratique généralisée sur l’ensemble du territoire national de contrôles d’identité discriminatoires fondés sur les caractéristiques physiques associées à une origine réelle ou supposée des personnes contrôlées, en prenant les mesures préconisées par la requête et toutes autres mesures que le Conseil d’Etat jugerait utiles ;
« 2°) de mettre en place sous son égide ou celle de l’autorité qu’il désignera, une procédure de suivi et d’évaluation des mesures retenues ; […] ».

Voici le communiqué diffusé il y a quelques semaines et qui résumait l’ensemble des questions justifiant en ce domaine l’examen des affaires par l’Assemblée du contentieux… et cette liste par son ampleur (en volume comme en importance juridique pour certaines parties) donnait le tournis :

« Sur le cadre procédural de l’action de groupe
« 1) Dans quelle mesure l’office du juge administratif, saisi dans le cadre d’une action de groupe tendant à la cessation d’un manquement d’une personne morale de droit public à une obligation légale, diffère-t-il de son office d’excès de pouvoir, saisi de conclusions à fin d’annulation du refus de prendre toute mesure utile pour mettre fin à une illégalité alléguée assorties de conclusions à fin d’injonction ?
« 2) Les conditions d’engagement de la responsabilité de l’État, dans le cadre d’une action de groupe, diffèrent-elles des conditions d’engagement de sa responsabilité dans le cadre de litiges individuels ?
« Sur l’office du juge saisi d’actions en carence systémique de l’administration
« 1) A quelles conditions l’abstention d’une personne morale de droit public de prendre les mesures propres à assurer le respect d’une obligation légale peut-elle être regardée comme un manquement à cette obligation ?
« 2) Dans l’hypothèse où un manquement est établi, comment le pouvoir d’injonction du juge administratif doit-il s’exercer ?
« Sur l’existence d’un manquement de l’État en matière de prévention des contrôles d’identité discriminatoires, dits « au faciès »
« 1) Peut-on caractériser l’existence en France d’une pratique par les forces de l’ordre de contrôles d’identité dits « au faciès », c’est-à-dire de contrôles d’identité effectués selon des critères tirés de caractéristiques physiques associées à une origine réelle ou supposée, sans justification objective préalable ?
« 2) Dans l’affirmative :
« a. quelle est la nature et la portée de l’obligation qui pèse sur l’administration face à une telle pratique illégale ?
« b. au regard de l’ensemble des mesures déjà prises par l’administration et des moyens dont elle dispose, peut-on caractériser un manquement de l’administration à cette obligation ?»

 

Hélas pour le juriste, ce n’est pas aujourd’hui que nous aurons toutes les réponses à ces passionnantes questions. Car en amont de tout cela, le juge administratif s’est estimé incompétent pour connaître de tels litiges. Ceci dit, la manière qu’il a eu de traiter de son incompétence l’a conduit, avec compétence, à nous donner déjà de nombreuses réponses sur ce point.

Notamment, le Conseil d’Etat n’est pas resté muet sur le fond : il a estimé, sur la base de nombreux éléments et rapports, que la pratique de tels contrôles est établie, et que, sans revêtir un caractère « systémique » ou « généralisé » comme le soutiennent les associations requérantes, elle ne se cantonne pas à des cas individuels isolés.  Il en déduit que ces faits constituent une méconnaissance de l’interdiction de procéder à des contrôles discriminatoires. 

C’est important aussi pour savoir si le juge administratif est, ou n’est pas, compétent, d’une part, et sur le point de savoir si une action de groupe est, ou n’est pas, recevable en ces domaines :

« 22. Les officiers de police judiciaire et les agents de police judiciaire doivent respecter, dans l’accomplissement de leurs missions, l’interdiction de procéder à des contrôles d’identité discriminatoires. La commission de tels contrôles est susceptible, dans chaque cas individuel, d’engager la responsabilité de l’Etat devant le juge judiciaire. Il appartient à l’Etat de prendre toutes mesures administratives utiles d’ordre juridique, financier, technique ou organisationnel pour en prévenir ou limiter la survenance. Il revient au juge administratif, saisi d’une action de groupe tendant à la cessation d’un manquement allégué résultant d’une carence de l’Etat dans la mise en oeuvre de telles mesures, de rechercher tout d’abord si l’existence de contrôles d’identité discriminatoires se réduit à des cas isolés ou revêt une ampleur suffisante pour que soit établie une méconnaissance caractérisée de la règle de droit par l’Etat du fait de ses agents.
« 23. Les requérantes soutiennent qu’il existe au sein des forces de police et de gendarmerie une pratique « systémique » et « généralisée » de contrôles d’identité fondés uniquement sur des caractéristiques physiques associées à une origine réelle ou supposée. Ils invoquent notamment la condamnation pour faute lourde dont a fait l’objet l’Etat par un arrêt de la cour d’appel de Paris du 8 juin 2021 pour des contrôles d’identité à caractère discriminatoire effectués à la Gare du Nord le 1er mars 2017, un rapport du Défenseur des droits de 2019 selon lequel, notamment, les jeunes hommes « perçus comme noirs ou arabes » ont vingt fois plus de probabilité d’être contrôlés que la moyenne des individus, ainsi qu’un rapport de la Commission européenne contre le racisme et l’intolérance du 28 juin 2022 publié le 21 septembre 2022 s’inquiétant de la persistance de contrôles discriminatoires et de comportements abusifs de la part des forces de l’ordre françaises. Ils produisent par ailleurs des témoignages circonstanciés de plusieurs responsables associatifs faisant état des contrôles d’identité récurrents dont ils font l’objet sans autre motif apparent que leurs caractéristiques physiques, ainsi que de quelques policiers qui évoquent des pratiques consistant à contrôler prioritairement les « personnes perçues comme noires ou arabes ». »

Donc :

« […] l’appréciation de la régularité des contrôles d’identité opérés sur le territoire relève de la compétence de l’autorité judiciaire en application de l’article 78-1 du code de procédure pénale

Sur ce point, on rappellera par exemple que :

  • le juge administratif du référé liberté est bien compétent pour connaître de certaines doctrines d’emploi en matière de forces de l’ordre (mais sur de la police administrative : en matière de lanceur de balles de défense (LBD), par exemple, voir CE, Ord., 1er février 2019, n° 427386, 427390 et 427418 (3 espèces distinctes).
  • En revanche, il a pu parfois être considéré comme incompétent pour connaître des doctrines d’emploi des forces de l’Ordre durant les manifestations ou les émeutes quand on glisse vers des arrestations, qui alors relèvent de la police judiciaire (voir par exemple  TA Paris, ord., 24 mars 2023, n° 2306010).
    Il en va de même pour les responsabilités qui en découlent.
    Sur ces dernier points, voir TC, 3 juillet 2000, Garde des sceaux, ministre de la justice c/ Consorts , n° 3198, p. 766 ; CE, 15 février 2006, Garde des Sceaux, ministre de la justice c/ Consorts , n° 271022, p. 75 ; TC, 9 juillet 1953, Dame veuve et autres, n° 1149, p. 591 ; TC, 26 septembre 2005, c/ Ministre de l’intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales, n° 3461, p. 17 ; Cass. civ. 2e, 23 novembre 1956, Trésor public c/ Giry, n° 56-11.871, Bull II. 407 ; Cass. civ. 1ère, 10 juin 1986, n° 84-15.740, Bull civ. I, n° 160 ; s’agissant des perquisitions administratives prévues par l’article 11 de la loi n° 55-385 du 3 avril 1955, CE, Assemblée, 6 juillet 2016, M. et autres, n°s 398234 399135, p. 320. Même pour les tiers, voir TC, 8 février 2021, Garde des sceaux, ministre de la justice c/ M. R…, n° 4205, Pour une illustration importante et récente, voir CE, 15 novembre 2021, n° 443978, à mentionner aux tables du recueil Lebon

L’appréciation des contrôles d’identité glisse donc vers la compétence judiciaire, ce qui est un peu à la frontière, certes, esquissée ci-avant, mais qui ne fermait pas la porte entièrement aux requérants. Pas encore. Pas à ce stade.

Revenons au fond du dossier car ensuite le Conseil d’Etat rejette même certaines preuves opposées par l’Etat, avec des formulations qui conduisent à estimer qu’il prend du recul face au régime de fonctionnement de l’IGPN et de l’IGDN ou, à tout le moins, face au fait que les dysfonctionnements remontent tous à ces inspections et que les victimes s’en saisissent :

« Il en résulte que la seule circonstance qu’un contrôle d’identité soit perçu comme discriminatoire par la personne qui en fait l’objet et, le cas échéant, par des observateurs extérieurs, ne permet pas d’établir avec certitude, en l’absence de décision du juge judiciaire, qu’il présente effectivement un tel caractère. Par ailleurs, le ministre de l’intérieur fait valoir en défense que le nombre des plaintes enregistrées auprès de l’autorité judiciaire ou sur les plateformes de l’inspection générale de la police nationale et de l’inspection générale de la gendarmerie nationale pour des contrôles d’identité discriminatoires est extrêmement faible. Toutefois, il résulte de l’instruction, et notamment d’un rapport du déontologue du ministère de l’intérieur de juillet 2021, que ces données ne permettent pas de rendre compte de l’ampleur des contrôles d’identité susceptibles de recevoir une telle qualification, en raison notamment de la difficulté à en établir la preuve et de la résignation ou du manque d’information des victimes. Compte tenu de l’absence de traçabilité administrative des contrôles d’identité effectués sur le territoire et de l’impossibilité qui en résulte de déterminer leur nombre et leurs motifs, l’ensemble des témoignages et rapports produits, notamment les études réalisées par le Défenseur des droits, permet de tenir pour suffisamment établie l’existence d’une pratique de contrôles d’identité motivés par les caractéristiques physiques, associées à une origine réelle ou supposée, des personnes contrôlées, qui ne peut être regardée comme se réduisant à des cas isolés. S’ils ne revêtent pas, comme le prétendent les requérantes, un caractère « systémique » ou « généralisé », de tels faits, qui créent un dommage pour les personnes qui y sont exposées, constituent une méconnaissance caractérisée de l’interdiction des pratiques discriminatoires définies à l’article 1er de la loi du 27 mai 2008 portant diverses dispositions d’adaptation au droit communautaire dans le domaine de la lutte contre les discriminations.»

 

Arrivé à ce point 24 de la décision du Conseil d’Etat, même les discriminations ne sont pas considérées comme systémiques ou généralisées, un boulevard semble s’ouvrir aux requérants. Oui, mais aux requérants raisonnables. Pas à ceux qui demandent au juge de se substituer à la fois au législateur et au pouvoir réglementaire sur des sujets sensibles.

En effet, les demandes des associations requérantes portent sur la prise de mesures, telles la modification du code de procédure pénale (art 78-2), la création d’un régime spécifique pour les mineurs et d’une autorité indépendante de contrôle, la mise en place d’un récépissé de contrôle et la rédaction systématique, après chaque opération de contrôle, d’un rapport qui serait transmis au procureur de la République, la redéfinition des rapports entre la police et la population et l’amélioration de la prise en compte des questions de discrimination dans la formation, ainsi que l’évaluation et le contrôle des agents, qui constituent une redéfinition générale de la politique des contrôle d’identité pour réprimer la délinquance et prévenir des troubles à l’ordre public. Or, il n’appartient pas au juge administratif de se substituer aux pouvoirs publics pour déterminer une politique publique ou de leur enjoindre de le faire.

Venir avec sa liste précise de courses, en termes de réformes précises à mettre en oeuvre pour demander au juge de les imposer à l’exécutif voire au législatif… Non ce n’est pas ainsi que cela fonctionne. Sauf quand lesdites mesures précises s’imposent sans marge de manoeuvre (ce qui arrive parfois en matière environnementale, de pollution atmosphérique par exemple, voir ici). 

Citons le Conseil d’Etat :

« 25. Cependant, les requérantes soutiennent que la lutte contre les contrôles d’identité discriminatoires nécessiterait de supprimer la disposition de l’article 78-2 du code de procédure pénale permettant de contrôler l’identité de toute personne dans un but de police administrative, de modifier le même article afin de limiter et de rendre plus objectifs les motifs pouvant justifier les contrôles d’identité de police judiciaire, de créer un régime spécifique pour les mineurs, d’instituer une autorité administrative indépendante chargée de veiller à la régularité des opérations de contrôle d’identité et de souscrire au protocole additionnel n° 12 à la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales. Elles soutiennent, en outre, qu’il conviendrait d’imposer la remise d’un récépissé de contrôle aux personnes contrôlées ainsi que l’établissement systématique, après chaque opération de contrôle, d’un rapport précisant, notamment, le lieu et la date de l’opération, les nom et matricule des agents étant intervenus, les motifs précis du contrôle et les éventuelles suites qui y ont été données, et la transmission de ces rapports par l’autorité hiérarchique des unités de contrôle au procureur de la République. Elles considèrent enfin que le Gouvernement devrait redéfinir les rapports entre la police et la population, intégrer dans l’évaluation des agents leur propension à se baser sur des stéréotypes, modifier les méthodes et le contenu des formations délivrées aux agents sur les questions de discriminations et renforcer la réponse disciplinaire en cas de plainte pour contrôle d’identité discriminatoire.

« 26. L’action en manquement dont le Conseil d’Etat a été saisi porte ainsi sur l’abstention des pouvoirs publics, soit, principalement, d’adopter des mesures dont il n’appartient pas au juge administratif de connaître, parce qu’elles touchent aux rapports entre les pouvoirs exécutif et législatif ou à la conduite des relations internationales, soit de refondre les dispositifs existants. Ces mesures visent en réalité à une redéfinition générale des choix de politique publique en matière de recours aux contrôles d’identité à des fins de répression de la délinquance et de prévention des troubles à l’ordre public, impliquant notamment des modifications des relations entre les forces de police et l’autorité judiciaire, le cas échéant par l’intervention du législateur, ainsi que l’évolution des relations entre la police et la population. Elles relèvent donc de la détermination d’une politique publique et excèdent par suite, ainsi qu’il a été dit aux points 8 et 9, l’office du juge de l’action de groupe.»

 

Citons le point de principe qui se retrouve dans l’autre décision, précitée, en matière de RIO :

« 8. Lorsque l’action de groupe tend à la cessation d’un manquement à des obligations ayant causé un dommage à plusieurs personnes placées dans une situation similaire et susceptible d’engager la responsabilité de son auteur dans les conditions prévues au point 7, il appartient au juge administratif, dans les limites de sa compétence, de caractériser l’existence d’un tel manquement et, si le dommage n’a pas cessé à la date à laquelle il statue, d’enjoindre au défendeur de prendre la ou les mesures nécessaires pour y mettre fin. Cependant, et en toute hypothèse, il ne lui appartient pas, dans le cadre de cet office, de se substituer aux pouvoirs publics pour déterminer une politique publique ou de leur enjoindre de le faire..»

 

Bref, ce n’est pas pour rien qu’existe « l’acte de Gouvernement ».

Les « actes de Gouvernement », en droit administratif, échappent à tout recours contentieux en annulation (ou en indemnisation pour faute), car ce sont des décisions qui touchent :

• soit aux rapports entre pouvoirs constitutionnels de notre Pays (étant rappelé que d’autres Démocraties ont fait le choix inverse d’accepter des recours entre institutions publiques, y compris l’UE)

• soit à des décisions, des agissements, qui ne sont pas détachables de la conduite des relations internationales de la France.

Sources : CE, 19 février 1875, Prince Napoléon, rec. 155 ; CE, 26 novembre 2012, Krikorian, n°350492… pour un cas classique, voir CE, 2 février 2016, Lecuyer, n° 387931…

Une telle jurisprudence ne vise pas qu’à donner à l’exécutif d’utiles marges de manœuvre : elle sert surtout à traduire en réalité le principe de la séparation des pouvoirs…
Cette notion, qui ne faisait parler d’elle que de loin en loin, trouve depuis quelques années d’importantes illustrations qui ne manquent ni de sel ni d’échos.

Exemples : CE, 3 octobre 2018, n° 410611 ; CE Ass., 12 octobre 2018, n°408567 (par analogie car nous ne sommes plus là dans l’acte de gouvernement stricto sensu) ; TC, 11 mars 2019, Mme R…, épouse D… c/ Agent judiciaire de l’Etat, n° 4153 ; CE, 3 août 2021, n° 443899 ; CE, ord., 25 août 2021, 455744-455745-455746 ; CE, 9 septembre 2020, n° 439520 ; CE, ord., 23 avril 2019, n°429668…

Voir : Acte de Gouvernement : confirmations et remises en question [court article et VIDEO] 

 

Mais le détail sur l’office du juge ne s’arrête pas là.

Pour les actions de groupe, le juge donne le mode d’emploi suivant :

« 9. Il incombe à toute personne morale de droit public, de même qu’à toute personne morale de droit privé chargée de la gestion d’un service public, d’accomplir ses missions dans le respect des règles de droit qui lui sont applicables. Elle doit, à cet effet, faire disparaître de l’ordonnancement juridique les dispositions qui y contreviennent et qui relèvent de sa compétence. Il lui appartient, en outre, de prendre les mesures administratives d’ordre juridique, financier, technique ou organisationnel qu’elle estime utiles pour assurer ou faire assurer le respect de la légalité. Lorsque le juge administratif constate, eu égard notamment à la gravité ou à la récurrence des défaillances relevées, la méconnaissance caractérisée d’une règle de droit dans l’accomplissement de ses missions par la personne morale visée par l’action de groupe et que certaines mesures administratives seraient, de façon directe, certaine et appropriée, de nature à en prévenir la poursuite ou la réitération, il lui revient, dans les limites de sa compétence et sous la réserve mentionnée au point 8, d’apprécier si l’abstention de cette personne de prendre de telles mesures est constitutive d’un manquement. Le manquement peut être regardé comme constitué s’il apparaît au juge qu’au regard de la portée de l’obligation qui pèse sur la personne morale concernée, des mesures déjà prises, des difficultés inhérentes à la satisfaction de cette obligation, des contraintes liées à l’exécution des missions dont elle a la charge et des moyens dont elle dispose ou, eu égard à la portée de l’obligation, dont elle devrait se doter, celle-ci est tenue de mettre en oeuvre des actions supplémentaires.

« 10. Lorsque le manquement résultant de l’abstention de la personne concernée est établi et que les conditions fixées par le texte sont réunies, le juge saisi d’une action de groupe lui enjoint d’y mettre fin par toutes mesures utiles. Il appartient normalement aux autorités compétentes de déterminer celles des mesures qui sont les mieux à même d’assurer le respect des règles de droit qui leur sont applicables. Toutefois, le juge peut circonscrire le champ de son injonction aux domaines particuliers dans lesquels l’instruction a révélé l’existence de mesures qui seraient de nature à prévenir la survenance des illégalités constatées, le défendeur conservant la possibilité de justifier de l’intervention, dans le délai qui a lui été imparti, de mesures relevant d’un autre domaine mais ayant un effet au moins équivalent. Enfin, dans l’hypothèse où l’édiction d’une mesure déterminée se révèle, en tout état de cause, indispensable au respect de la règle de droit méconnue et où l’abstention de l’autorité compétente de prendre cette mesure exclurait, dès lors, qu’elle puisse être respectée, il appartient au juge de l’action de groupe d’ordonner à l’auteur du manquement de prendre la mesure considérée.»

 

 

CE MODE D’EMPLOI POUR LES ACTIONS DE GROUPE EST TRÈS TRÈS PROCHE DE CELUI DONNÉ DE MANIÈRE PLUS GÉNÉRALE PAR UNE AUTRE DÉCISION D’ASSEMBLÉE DU CONSEIL D’ETAT, EN DATE ÉGALEMENT DE CE JOUR, PRÉCITÉE. VOIR :

 

L’office du juge, mais aussi celui de l’administration, en cas de pareilles illégalités, se trouvent là définies de manière précise.

L’administration doit donc :

  • « faire disparaître de l’ordonnancement juridique les dispositions qui [contreviennent à une règle de droit] et qui relèvent de sa compétence ».
  • « prendre les mesures administratives d’ordre juridique, financier, technique ou organisationnel qu’elle estime utiles pour assurer ou faire assurer le respect de la légalité

S’il est saisi des insuffisances de telles mesures, le juge administratif :

  • doit d’abord s’assurer des points suivants :
    • « la gravité ou [de] la récurrence des défaillances relevées »,
    • « la méconnaissance caractérisée d’une règle de droit dans l’accomplissement de ses missions par l’administration »
    • le fait que « certaines mesures administratives seraient, de façon directe, certaine et appropriée, de nature à en prévenir la poursuite ou la réitération »
  • doit ensuite, dans les limites de sa compétence et sans « se substituer aux pouvoirs publics pour déterminer une politique publique ou de leur enjoindre de le faire » apprécier « si le refus de l’administration de prendre de telles mesures est entaché d’illégalité».

Ce dernier point est important, mais il est à appréhender avec subtilité. En effet, il n’y aura alors illégalité :

« que s’il apparaît au juge qu’au regard de la portée de l’obligation qui pèse sur l’administration, des mesures déjà prises, des difficultés inhérentes à la satisfaction de cette obligation, des contraintes liées à l’exécution des missions dont elle a la charge et des moyens dont elle dispose ou, eu égard à la portée de l’obligation, dont elle devrait se doter, celle-ci est tenue de mettre en oeuvre des actions supplémentaires

Ensuite :

« 10. Lorsque le manquement résultant de l’abstention de la personne concernée est établi et que les conditions fixées par le texte sont réunies, le juge saisi d’une action de groupe lui enjoint d’y mettre fin par toutes mesures utiles. Il appartient normalement aux autorités compétentes de déterminer celles des mesures qui sont les mieux à même d’assurer le respect des règles de droit qui leur sont applicables. Toutefois, le juge peut circonscrire le champ de son injonction aux domaines particuliers dans lesquels l’instruction a révélé l’existence de mesures qui seraient de nature à prévenir la survenance des illégalités constatées, le défendeur conservant la possibilité de justifier de l’intervention, dans le délai qui a lui été imparti, de mesures relevant d’un autre domaine mais ayant un effet au moins équivalent. Enfin, dans l’hypothèse où l’édiction d’une mesure déterminée se révèle, en tout état de cause, indispensable au respect de la règle de droit méconnue et où l’abstention de l’autorité compétente de prendre cette mesure exclurait, dès lors, qu’elle puisse être respectée, il appartient au juge de l’action de groupe d’ordonner à l’auteur du manquement de prendre la mesure considérée.»

 

D’où le rejet en l’espèce. Qui tout de même semblait à ce niveau là prévisible pour des requérants qui ont voulu miser trop gros. De manière trop rigide.

Ceci dit, le Conseil d’Etat aurait pou être lui-même moins rigide car la requête ouvrait une porte vers des demandes plus habituelles (mais là en sens inverse un peu trop floues… mais pas au point d’être irrecevables) d’injonction formulées par le juge administratif à l’administration active. 

Les requérants demandaient à la Haute Assemblée en effet de prendre :

« les mesures préconisées par la requête et toutes autres mesures que le Conseil d’Etat jugerait utiles »

On imagine que la dernière mention a du être imposée par les avocats de haute lutte aux associations requérantes !

En vain. Le Conseil d’Etat a refusé cette petite porte ouverte, certes un brin floue, mais dont il eût pu faire son miel.

Là encore, dommage, sans doute.

 

 

CE, Ass., 11 octobre 2023, n°454836