Nouvelle diffusion
La catégorie juridique des actes de Gouvernement semblait tranquillement reposer sous la poussière depuis l’arrêt Prince Napoléon de 1875. Avec quelques brillantes confirmations, notamment depuis 2018. Mais sans remise en question. Puis voici que l’édifice se fissure, un peu au fil de propositions récentes émanant d’importantes autorités nationales, d’une part, et beaucoup au lendemain d’une condamnation fracassante de la France par la CEDH, le 14 septembre 2022, d’autre part.
Faisons un point rapide à ce sujet par un article (II) et une vidéo (I).
I. Vidéo
Voici une courte vidéo faite au soir de la décision de la CEDH, pour une durée de 8 mn 39 :
II. Court article (plus sommaire que la vidéo)
Les « actes de Gouvernement », en droit administratif, échappent à tout recours contentieux en annulation (ou en indemnisation pour faute), car ce sont des décisions qui touchent :
• soit aux rapports entre pouvoirs constitutionnels de notre Pays (étant rappelé que d’autres Démocraties ont fait le choix inverse d’accepter des recours entre institutions publiques, y compris l’UE)
• soit à des décisions, des agissements, qui ne sont pas détachables de la conduite des relations internationales de la France.
Sources : CE, 19 février 1875, Prince Napoléon, rec. 155 ; CE, 26 novembre 2012, Krikorian, n°350492… pour un cas classique, voir CE, 2 février 2016, Lecuyer, n° 387931…
Une telle jurisprudence ne vise pas qu’à donner à l’exécutif d’utiles marges de manœuvre : elle sert surtout à traduire en réalité le principe de la séparation des pouvoirs…
Cette notion, qui ne faisait parler d’elle que de loin en loin, trouve depuis quelques années d’importantes illustrations qui ne manquent ni de sel ni d’échos.
Exemples : CE, 3 octobre 2018, n° 410611 ; CE Ass., 12 octobre 2018, n°408567 (par analogie car nous ne sommes plus là dans l’acte de gouvernement stricto sensu) ; TC, 11 mars 2019, Mme R…, épouse D… c/ Agent judiciaire de l’Etat, n° 4153 ; CE, 3 août 2021, n° 443899 ; CE, ord., 25 août 2021, 455744-455745-455746 ; CE, 9 septembre 2020, n° 439520 ; CE, ord., 23 avril 2019, n°429668…
Voir :
- L’acte de gouvernement se réveille-t-il ? Ou est-ce une phase de sommeil paradoxal ?
- La notion « d’acte de gouvernement » continue d’être en grande forme (et elle s’étend [logiquement mais tristement, inévitablement] aux opérations d’évacuation en Afghanistan)
- Une nomination au Gouvernement… est un acte de Gouvernement. CQFD
- La notion « d’acte de gouvernement » (lato sensu) est en grande forme (CE, 3 octobre 2018, n° 410611 et CE Ass., 12 octobre 2018, n°408567)
- etc.
Or, voici que l’acte de de Gouvernement commence d’être un peu remis en question, sinon dans son fondement, à tout le moins dans d’importantes marges :
- sans que l’on soit dans l’acte de Gouvernement stricto sensu, à tout le moins, dans le domaine qui est celui de la non intervention du juge administratif dans les rapports entre exécutif et législatif, qui est le fondement aussi de la 1e branche de l’acte de Gouvernement, des voix se sont faites entendre pour exiger aussi que le juge puisse intervenir dans des domaines où, dans les relations entre exécutif et législatif, il n’intervient pas à ce jour. Ce qui revient à remettre en cause l’acte de Gouvernement ou des notions proches de celle-ci dans l’autre branche que celle qui vient d’être secouée un peu par la CEDH, à savoir les relations entre pouvoirs constitutionnels.
Sources : discours du Président Larcher en date du 1eroctobre 2020 au Sénat. Puis examen au Sénat le 14 octobre 2021 d’une proposition de loi en ce sens de M. Jean-Claude REQUIER. Voir aussi : CE, 31 décembre 2020, n° 430925, à publier aux tables du recueil Lebon ; CE, 23 novembre 2011, n° 341258 ; CE, 9 avril 2020, n° 428680. Puis voir les propositions du Président A. Lambert (communiqué du CNEN de 6 pages, non daté, août 2022). Voir :-
- Le Président du CNEN souhaite que le juge puisse exercer sa censure sur les études d’impact qui doivent précéder le dépôt d’un projet de loi. Une proposition qui soulève un nombre considérable de questions…
- Quand un parlementaire peut-il agir devant le Conseil d’Etat ? Cela va-t-il changer ? [mise à jour]
- Quand un parlementaire peut-il agir devant le Conseil d’Etat ? Cela va-t-il changer ? Avec quels possibles impacts ? [courte VIDEO]
-
- surtout, et plus directement, sur la seconde branche, voici que CEDH condamne le refus de la France de de rapatrier les enfants et petit-enfants des requérants détenus dans des camps en Syrie, « faute de formalisation des décisions de refus et de contrôle juridictionnel sur l’absence d’arbitraire » : CEDH, grande chambre, 14 septembre 2022, H.F. et autres, Req 24384/19 et 44234/20. Attention : la CEDH ne crée absolument pas un « droit général au rapatriement » de ces personnes : elle censure juste l’absence de procédures de droit au stade des décisions de refus, d’une part, et de contrôle juridictionnel à ce sujet, d’autre part. … Ce qui devrait imposer, pour ce second point, au Conseil d’Etat de revenir sur sa jurisprudence selon laquelle ces décisions sont des « actes de gouvernement » (décisions CE, 9 septembre 2020, n° 439520 ; CE, ord., 23 avril 2019, n°429668, précitées, entre autres).
Voir :
Souvent, la juridictionnalisation de notre société s’avère critiquée.
Mais, voici donc, de droite comme de gauche, que des voix variées demandent au juge national de s’immiscer plus encore dans les domaines qu’il n’avait pas encore conquis.
A court terme, c’est piquant. A moyen terme, c’est clivant.
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