Variation du développement génital de l’enfant, interventions médicales et état-civil : le nouveau droit est clair. Il n’a pas suffi à apaiser tous les débats.

Le régime des variations du développement génital (VDG) correspondent à des cas rares où, à la naissance « l’anatomie des organes génitaux est inhabituelle » et n’est pas aisée à assigner à un genre ou à l’autre (masculin OU féminin), une forme anatomique (au moins initialement) d’androgynie, donc. 

Le régime juridique correspondant a été fortement modifié à la suite de travaux éthiques et médicaux, d’avis puis de décisions du Conseil d’Etat… et surtout sous l’effet d’une loi en 2021 et de deux textes réglementaires en 2022.

Ce nouveau régime vise à prendre le temps, avant toute inscription à l’état civil, de la réflexion, du débat, du consentement… et parfois pour prendre en compte aussi les variations intervenant au fil des ans, avec possibilité de « rectification de l’indication du sexe et, le cas échéant, des prénoms » au fil de la vie (pour tenir compte des évolutions physiologiques et psychologiques, schématiquement).

Restent cependant quelques critiques.
D’un côté, se trouvent ceux qui pensent qu’il faut reconnaitre l’intersexualité comme un genre à part (et qui tentent, pour l’instant sans succès, des recours en annulation devant le Conseil d’Etat et devant la CEDH au titre des mutilations parfois effectuées médicalement).
D’un tout autre côté, côté Fondation Lejeune notamment, certains s’inquiètent de la construction de l’enfant dans ce nouveau régime tant qu’un sexe ne lui est pas assigné. 

Au delà de ces débats philosophiques, politiques, psychologiques et médicaux, qui ont bien évidemment toute leur légitimité, contentons nous de survoler l’état du droit puisqu’une décision du Conseil d’Etat, en avril 2023, puis une circulaire de septembre 2023, viennent d’en clore la nouvelle édification. 

 


 

 

Voici le résumé d’une communication officielle faite à l’Académie nationale de Médecine le 20 octobre 2021 :

« Les variations du développement génital sont des situations cliniques rares où l’anatomie des organes génitaux est inhabituelle, à cause d’une combinaison rare des gonosomes (chromosomes X et/ou Y), d’une variation du développement des testicules ou des ovaires, ou bien de la sécrétion et/ou de l’action des hormones sexuelles. La prise en charge médico-chirurgicale des enfants est actuellement questionnée par la société et le législateur et ne doit plus avoir pour seule préoccupation de conformer ses organes génitaux aux standards masculin ou féminin, dans le respect des droits de l’enfant, de son intégrité physique et de sa capacité à participer aux décisions thérapeutiques qui le concernent. Depuis la loi relative à la bioéthique d’août 2021, tous les dossiers de personnes présentant une variation sévère du développement génital sont discutés en réunion de concertation pluridisciplinaire nationale, et les décisions de traitement éventuelles envisagées au regard de la nécessité médicale et du consentement de la personne concernée.»

Source : « Les enfants présentant une variation du développement génital » par L. Martinerie (a, c), C. Bouvattier (b, ⁎, c) (Colloque du 20/10/2021 : « Loi de bioéthique du 2 août 2021, quel impact sur nos vies ? » organisé par l’Université de Paris (Paris Descartes), l’Institut Droit et Santé (UMR S 1145), le Comité éthique et cancer, l’Académie nationale de médecine.)

 

Et ces auteurs de préciser :

« La déclaration du sexe d’un enfant à la naissance repose sur l’aspect de ses organes génitaux, et uniquement sur ce critère. Les enfants au phénotype masculin sont déclarés de sexe masculin, les enfants au phénotype féminin sont déclarés de sexe féminin. Les variations du développement génital désignent un ensemble de situations où l’anatomie des organes génitaux est inhabituelle, en lien avec une combinaison rare des gonosomes (chromosomes X et/ou Y), une variation dans le développement des testicules ou des ovaires, dans la sécrétion et/ou dans l’action des hormones sexuelles.
Une variation du développement génital (VDG) est évo- quée à la naissance, plus souvent qu’en prénatal, devant un hypospade et/ou des testicules non palpés chez un nouveau- né d’aspect plutôt masculin, devant un orifice vaginal non visible et/ou une fusion postérieure des bourrelets génitaux, une hypertrophie du clitoris, ou des gonades palpées chez un nouveau-né d’apparence plutôt féminine. Le choix de sexe est une situation rare en pratique clinique et la question se pose pour les enfants chez qui l’apparence des organes génitaux externes est tellement inhabituelle que la déclara- tion de sexe à l’état civil n’est pas possible à la naissance, et ceux dont l’apparence est non congruente avec le sexe génétique prénatal. La mise en évidence de la VDG peut aussi être fait plus tard dans l’enfance ou à l’adolescence.
Alors que les termes « ambiguïté sexuelle, pseudohermaphrodisme. . . » ont disparu du langage médical en 2006, à la suite d’une conférence de consensus où les associations de personnes concernées ont exprimé leurs difficultés face aux mots employés par les médecins, ces mots sont retrouvés dans la circulaire du 28 octobre 2011, relative aux règles particulières à divers actes de l’état civil relatifs à la naissance et à la filiation. Il y est ainsi fait référence à la situation où le sexe du nouveau-né est « incertain » ou aux « cas d’ambiguïté sexuelle ». De plus, ce texte conseille aux parents « de choisir pour l’enfant un prénom pouvant être porté par une fille ou par un gar ̧con ». La terminologie qui restait débattue : intersexuation, anomalies du développement génital, DSD (disorder of sex development) a été arbitrée par le législateur qui a inclus dans le champ de la révision de la loi de bioéthique la question des enfants dont les caractéristiques sexuées sont inhabituelles. Sous l’impulsion du CCNE (avis 132, p. 13) et du Conseil d’État (rapport 2018, p. 129), la dénomination qui a été privilégiée dans le projet de loi relatif à la bioéthique est celle de « variation du développement génital » (ou sexuel), « qui n’engage pas l’identité sexuelle future et exclut la notion d’une maladie, mais sous-entend l’existence d’une atypie ».

Voir aussi :

 

Bref :

  • cela reste rare (25 à 50 cas de changements d’identité à l’état civil par an),
  • avec un terme nouveau plus adapté variation du développement génital (VDG) à la suite de travaux du CCNE et du CE
  • mais la circulaire de 2011 est en retard sur ces travaux et sur les besoins, en 2011, de faire évoluer tant la pratique que le droit.

 

Le droit, lui, a évolué.

En juin 2020, l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques (qui est un organe d’information commun à l’Assemblée nationale et au Sénat) publiait un rapport avec pour auteur Jean-François Eliaou (pédiatre ; alors député LREM) où il était signalé notamment que :

« Dans les rares cas de difficultés d’assignation de sexe (25 à 50 enfants par an), l’examen par une équipe pluri- disciplinaire doit avoir lieu dans les meilleurs délais car la déclaration du sexe à l’état civil s’effectue dans les 5 jours suivant la naissance. C’est aussi une forte demande des familles à la naissance de leur enfant.
« Des erreurs de détermination du sexe à la naissance, notamment dans le cas de l’hyperplasie congénitale des surrénales, ont encore lieu chaque année29. Pour le bien-être de ces personnes, il serait important de faciliter la procédure de rectification et que celle-ci ne soit plus mentionnée sur l’acte d’état-civil.»

Source : https://www.senat.fr/rap/r19-567/r19-5671.pdf

Puis vinrent :

 

L’article L. 2131-6 du Code de la santé publique (CSP) précise désormais que :

« La prise en charge d’un enfant présentant une variation du développement génital est assurée après concertation des équipes pluridisciplinaires des centres de référence des maladies rares spécialisés, dans les conditions prévues à l’article L. 1151-1. Cette concertation établit le diagnostic ainsi que les propositions thérapeutiques possibles, y compris d’abstention thérapeutique, et leurs conséquences prévisibles, en application du principe de proportionnalité mentionné à l’article L. 1110-5. Ces informations et l’avis issus de la concertation sont portés au dossier médical de l’enfant. L’équipe du centre de référence chargée de la prise en charge de l’enfant assure une information complète et un accompagnement psychosocial approprié de l’enfant et de sa famille et veille à ce que ces derniers disposent du temps nécessaire pour procéder à un choix éclairé.
« Lors de l’annonce du diagnostic, un membre de l’équipe pluridisciplinaire du centre assurant la prise en charge de l’enfant informe les titulaires de l’autorité parentale de l’existence d’associations spécialisées dans l’accompagnement des personnes présentant une variation du développement génital et, le cas échéant, de la possibilité d’accéder à un programme de préservation de la fertilité en application de l’article L. 2141-11.
« Le consentement du mineur doit être systématiquement recherché s’il est apte à exprimer sa volonté et à participer à la décision. »

A ce stade, les « bonnes pratiques » sont précisées par l’arrêté du 15 novembre 2022 précité. 

Cet arrêté a été attaqué devant le Conseil d’Etat par l’association Alter Corpus avec une QPC visant à remettre en question ce régime (très schématiquement, par refus de celui-ci en ce qu’il conduit in fine à assigner un genre masculin ou féminin). Le Conseil d’Etat a rejeté ladite QPC par sa décision n° 470546 en date du 14 avril 2023.

Dans le même esprit, est souvent évoquée la question de la compatibilité de ce régime avec la CEDH.

La CEDH avait à connaître d’une requête évoquée par une personne de nationalité française qui se présentait comme intersexuée selon la définition que voici, faite par ladite requérante :

« l’intersexuation est l’état des personnes qui ne peuvent être classées ni dans la catégorie « masculin » ni dans la catégorie « féminin » et qui présentent une mixité de leurs caractères sexués ».

La requérante étant, en l’espèce et à la naissance, avec un « état d’intersexuation […] caractérisé par une petite verge « enlisée », deux testicules, une cavité vaginale, un orifice unique, un caryotype XY, pas d’utérus ni de dérivé müllérien ».» 

Cinq opérations et de nombreux traitements médicamenteux — tous durant l’enfance — plus tard, cette personne est donc venue devant la CEDH car elle y voyait des traitements constituant des actes de torture ou d’autres traitements inhumains et dégradants au sens de l’article 3 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales.

La CEDH a rejeté ce recours pour irrecevabilité (CEDH, audience du 26 avril 2022, 19 mai 2022, M. c/ France, n° 42821/18)… Pour un commentaire critique de cette décision, voir ici  l’article de M. Benjamin Moron-Puech. 

De l’autre côté du spectre philosophique en ce domaine, les critiques ne manquent pas non plus, évoquant la souffrance supposée de l’enfant à qui on tarderait à assigner une identité sexuelle : pour un exposé des griefs à cet effet, voir l’exposé fait ici par une structure proche de la Fondation Lejeune. 

 

Revenons au droit, pour la partie état civil.

L’article 57 du code civil est modifié pour prévoir cette hypothèse :

  • En cas d’impossibilité médicalement constatée de déterminer le sexe de l’enfant au jour de l’établissement de l’acte, le procureur de la République PEUT autoriser l’officier de l’état civil à ne pas faire figurer immédiatement le sexe sur l’acte de naissance.
  • « L’inscription du sexe médicalement constaté intervient à la demande des représentants légaux de l’enfant ou du procureur de la République dans un délai qui ne peut être supérieur à trois mois à compter du jour de la déclaration de naissance. Le procureur de la République ordonne de porter la mention du sexe en marge de l’acte de naissance et, à la demande des représentants légaux, de rectifier l’un des ou les prénoms de l’enfant. »

 

L’article 99 de ce même code est ainsi modifié :

« La rectification de l’indication du sexe et, le cas échéant, des prénoms est ordonnée à la demande de toute personne présentant une variation du développement génital ou, si elle est mineure, à la demande de ses représentants légaux, s’il est médicalement constaté que son sexe ne correspond pas à celui figurant sur son acte de naissance. »

Et un rapport gouvernemental est prévu à ce sujet.

Une circulaire de la Chancellerie vient d’achever de construire cet édifice.

Il s’agit de ce document :

 

Tout est dans la fiche annexe que voici :