L’Etat condamné à dégainer son décret sur le fichier national du permis de chasser…

Quand une loi prévoit obligatoirement l’intervention d’un nouveau décret, le Gouvernement, exécutif, est supposé répondre à la demande du législatif. Il en va de même quand un arrêté est attendu en application d’un décret.

Mais au delà du délai prévu par la loi (ou par le décret), ou — dans le silence de ce texte — au delà d’un délai déraisonnable, c’est au juge administratif, s’il est saisi en ce sens après un refus explicite ou implicite de prendre ledit décret, qu’il revient de raisonner le pouvoir exécutif et, justement, de lui enjoindre de s’exécuter.

Avec trois éléments à prendre en compte pour le juge :

  • qu’il soit impératif de prendre un texte (que la loi l’impose, ou pour un arrêté, que la loi ou le décret l’impose)
  • que le délai raisonnable pour adopter cet acte soit dépassé, ce que le juge apprécie bien évidement au cas par cas (urgences des situations, complexité ou non des mesures à adopter…)
  • que le respect des engagements internationaux de la France n’y fasse pas obstacle

Sources citées par Mme la Rapporteure publique : CE, 28 juillet 2000, Association France nature environnement, n° 204024, au Rec. ; CE, Ass. 7 juillet 2004, D…, n° 250688, au Rec. ; CE, 30 décembre 2009, Département de la Seine-Saint-Denis os et département de Saône-et-Loire, n 325824, 330223, T. pp. 616-618-940.

Voir pour quelques exemples assez récents :

 

 

En voici un nouvel exemple : l‘article L. 423-4 du code de l’environnement, dans sa rédaction résultant de l’article 13 de la loi n° 2019-773 du 24 juillet 2019 portant création de l’Office français de la biodiversité prévoit « un fichier national du permis de chasser constitué du fichier central des titres permanents du permis de chasser géré par l’Office français de la biodiversité et du fichier central des validations et autorisations de chasser géré par la Fédération nationale des chasseurs » avec un régime à aménager par décret. 

Voir :

Plus de 4 ans après, on attend encore ce décret alors même que ce décret, pour citer le Conseil d’Etat  :

« pris après avis de la Commission nationale de l’informatique et des libertés, est nécessaire pour, d’une part, préciser les modalités de constitution et de mise à jour du fichier national du permis de chasser et, d’autre part, définir les conditions de consultation du fichier par les agents de l’Office français de la biodiversité et de la Fédération nationale des chasseurs. »

 

Or en l’espèce, 4 ans c’est trop long, selon le Conseil d’Etat, pour ce décret nonobstant les difficultés qui semblent avoir été rencontrées :

5. En second lieu, à la date de la présente décision, il s’est écoulé plus de quatre ans depuis la promulgation de la loi du 24 juillet 2019. Quand bien même, comme l’allègue le ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires en défense, l’élaboration du décret se serait heurtée à certaines difficultés d’ordre juridique et technique, du fait notamment des interconnexions devant être réalisées entre le fichier national mentionné à l’article L. 423-4 du code de l’environnement et les fichiers existants consacrés au contrôle des armes, tels que le fichier national des personnes interdites d’acquisition et de détention d’armes (Finiada) et le système d’information sur les armes (SIA), ces difficultés ne sont pas de nature à justifier une abstention qui s’est prolongée au-delà d’un délai raisonnable.

Et, donc, canardé par le requérant qu’est l’APSAS, le Gouvernement se voit contraint de dégainer son décret dans les six mois :

«Article 1er : La décision implicite par laquelle la Première ministre a refusé de prendre le décret prévu par le II de l’article L. 423-4 du code de l’environnement dans sa rédaction résultant de l’article 13 de la loi du 24 juillet 2019 est annulée.

« Article 2 : Il est enjoint à la Première ministre de prendre ce décret dans un délai de six mois à compter de la notification de la présente décision, sous astreinte de 200 euros par jour de retard.»

Cette parution ne peut plus faire long feu *, car le juge exige que vienne l’heure du coup de feu.

Source :

Conseil d’État, 13 novembre 2023, n° 459252

 

* faire long feu signifiait que la poudre d’un mousquet ou d’un canon se consumait lentement au lieu d’exploser. Le coup ne partait pas. Comme là le décret ne part pas en direction du JO… et que seuls les préparatifs se consument lentement.