Le Gouvernement a 4 mois pour prendre le décret sur la numérisation des dossiers des magistrats… car sa longue précédente inaction (plus de 6 ans !) sur ce point vient d’être censurée par le juge. Au total, ce décret finira donc par nous venir après 7 ans de réflexion.
Ce qui nous aura donné l’occasion de voir un nouvel exemple des injonctions du Palais Royal pour tardiveté à prendre un décret.
Quand une loi prévoit obligatoirement l’intervention d’un nouveau décret, le Gouvernement, exécutif, est supposé répondre à la demande du législatif.
Mais au delà du délai prévu par la loi, ou — dans le silence de la loi — au delà d’un délai déraisonnable, c’est au juge administratif, s’il est saisi en ce sens après un refus explicite ou implicite de prendre ledit décret, qu’il revient de raisonner le pouvoir exécutif et, justement, de lui enjoindre de s’exécuter.
Voir pour un exemple assez récent : CE, 9 avril 2020, n° 428680 : Soins et discriminations : l’Etat a 9 mois pour accoucher d’un décret
En voici un nouvel exemple : la loi organique du 8 août 2016 prévoit que :
« Le dossier du magistrat doit comporter toutes les pièces intéressant sa situation administrative, enregistrées, numérotées et classées sans discontinuité. / Il ne peut y être fait état ni de ses opinions ou activités politiques, syndicales, religieuses ou philosophiques, ni d’éléments relevant strictement de sa vie privée. / Tout magistrat a accès à son dossier individuel dans les conditions définies par la loi. (…) / Dans des conditions fixées par décret en Conseil d’Etat, pris après avis de la Commission nationale de l’informatique et des libertés, le dossier du magistrat peut être géré sur support électronique “
Ceci impose-t-il que les dossiers des magistrats soient gérés sur support électronique ? Non nous dit le Conseil d’Etat. Mais la Haute Assemblée précise que « si une telle gestion est mise en place », force est à l’exécutif d’en « fixer les conditions par un décret en Conseil d’Etat, pris après avis de la Commission nationale de l’informatique et des libertés.»
Or, la Direction des services judiciaires a procédé depuis plusieurs années à une numérisation des dossiers administratifs des magistrats, sans que soit intervenu ce décret…
Donc plus de six ans après la promulgation de la loi, ce délai s’avère clairement déraisonnable.
De manière cocasse, la décision du Conseil d’Etat dit qu’il « s’est écoulé presque six ans depuis l’entrée en vigueur de la loi organique du 8 août 2016 » alors que l’arrêt a officiellement été « lu » le 19 août 2022. Le projet de décision a été rédigé avant, certes. Comme quoi des problèmes de dates ne concernent pas que le Gouvernement. Mais c’est un infime détail, passons.
Donc le Conseil d’Etat pose que :
- ce délai de six ans « excède, dans les circonstances de l’espèce, le délai raisonnable qui était imparti au pouvoir réglementaire pour prendre le décret » (certes…).
- l’Union syndicale des magistrats, requérante, est donc fondée à soutenir que la décision du Premier ministre refusant implicitement de prendre ce décret est illégale et doit être annulée pour excès de pouvoir… avec injonction de s’y plier sous 4 mois.
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