Quand une loi prévoit obligatoirement l’intervention d’un nouveau décret, le Gouvernement, exécutif, est supposé répondre à la demande du législatif. Il en va de même quand un arrêté est attendu en application d’un décret.
Mais au delà du délai prévu par la loi (ou par le décret), ou — dans le silence de ce texte — au delà d’un délai déraisonnable, c’est au juge administratif, s’il est saisi en ce sens après un refus explicite ou implicite de prendre ledit décret, qu’il revient de raisonner le pouvoir exécutif et, justement, de lui enjoindre de s’exécuter.
Avec trois éléments à prendre en compte pour le juge :
- qu’il soit impératif de prendre un texte (que la loi l’impose, ou pour un arrêté, que la loi ou le décret l’impose)
- que le délai raisonnable pour adopter cet acte soit dépassé, ce que le juge apprécie bien évidement au cas par cas (urgences des situations, complexité ou non des mesures à adopter…)
- que le respect des engagements internationaux de la France n’y fasse pas obstacle
Sources citées par Mme la Rapporteure publique : CE, 28 juillet 2000, Association France nature environnement, n° 204024, au Rec. ; CE, Ass. 7 juillet 2004, D…, n° 250688, au Rec. ; CE, 30 décembre 2009, Département de la Seine-Saint-Denis os et département de Saône-et-Loire, n 325824, 330223, T. pp. 616-618-940.
Voir pour trois exemples assez récents :
- CE, 9 avril 2020, n° 428680 : « Soins et discriminations : l’Etat a 9 mois pour accoucher d’un décret »
- CE, 19 août 2022, n° 454531 : pour un délai de 6 ans excessif en l’espèce, voir notre article « Nouvelle illustration des injonctions faites au Gouvernement, par le juge administratif, d’enfin adopter un décret prévu par une loi (dossiers électroniques des magistrats en l’espèce) »
- CE, 27 mai 2021, n° 441660, à mentionner aux tables du recueil Lebon : décision intéressante pour un aspect particulier de cette question, puisque le juge pose qu’un tel retard dans l’adoption d’un règlement s’apprécie à la date où le juge statue
- Conseil d’État, 7 octobre 2022, Fédération nationale des étudiants en kinésithérapie, n° 438233, à mentionner aux tables du recueil Lebon : le juge affine, dans cette décision, son mode d’emploi sur les délais raisonnables pour adopter un texte réglementaire (tarifs des études de kiné en EPS en l’espèce), avec une prise en compte aussi du principe de sécurité juridique conduisant à d’intéressantes précisions.
Une nouvelle illustration jurisprudentielle nous confirme qu’en général, 7 ans de réflexion, c’est trop long.
Car la loi n° 2007-308 du 5 mars 2007 portant réforme de la protection juridique des majeurs attend toujours son décret d’application s’agissant du « mandat de protection future » (articles 477 et suivants du code civil).
Accusé de lenteur, le Gouvernement, en défense, arguait des points suivants :
- non adoption du projet de décret à la suite d’un avis favorable de la CNIL en mars 2017… pour cause de changement de Gouvernement. Il y a plus de 6 ans donc
- souhait ensuite des nouveaux Gouvernements successifs de partir sur d’autres bases… argument que le juge administratif aurait pu entendre si un projet de loi ou une proposition de loi soutenue par le Gouvernement avait été poussée par celui-ci à cet effet. Mais sur ce point l’invocation d’une simple proposition (d’origine parlementaire donc) de loi de 2018 qui n’a même pas été adoptée en première lecture par une des deux assemblées … ne pouvait guère convaincre. Et, de fait, le moyen en défense n’a pas convaincu.
… et donc le Gouvernement en sort vaincu :
- « Article 1er : Les décisions implicites par lesquelles la Première ministre a refusé de prendre le décret en Conseil d’Etat prévu par l’article 477-1 du code civil sont annulées.
« Article 2 : Il est enjoint à la Première ministre de prendre, dans un délai de six mois à compter de la notification de la présente décision, le décret en Conseil d’Etat prévu par l’article 477-1 du code civil.»
Source :
Voir aussi les conclusions de Mme Dorothée PRADINES, Rapporteure publique :
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