Communication de documents administratifs par les personnes privées : en cas d’école catholique, il faut s’adresser aux saints… et non au Bon Dieu

Source : https://copainsdavant.linternaute.com/photo/ecole-privee-notre-dame-de-toutes-joies-ecole-primaire-d-argenton-l-eglise-4163559

A l’occasion d’une intéressante décision du Conseil d’Etat en matière de documents administratifs détenus ou produits par une personne privée, dans le cas des établissements d’enseignements sous contrat d’association, revenons sur le cadre général de la communication de tels documents :

  • I. A la base, s’appliquent deux critères alternatifs : soit le document a vocation à être transmis à l’administration et à devenir un document administratif communicable, soit le document est produit par une structure, certes de droit privé, mais assurant une mission de service public (si ces documents présentent un lien suffisamment direct avec ladite mission). Avec un petit débat récent sur la compétence du juge administratif dans certains cas.
  • II. La communication de documents relatifs à la scolarité d’un élève scolarisé dans un établissement d’enseignement privé catholique sous contrat avec l’Etat pourra parfois donner lieu à application du droit à communication de documents administratifs par une personne privée. Mais pas si la demande est adressée à une direction diocésaine ne pouvant être regardée comme étant l’organisme gestionnaire de cet établissement… 

 


 

 

A partir du moment où une fondation dispose d’un régime fiscal avantageux, il serait loisible de supposer qu’un grand nombre d’informations de celles-ci pourraient se trouvent, en droit, accessibles sous réserve de quelques occultations. Mais ce n’est pas du tout ainsi qu’est bâti notre édifice juridique à ce jour, et une nouvelle décision vient de le confirmer avec d’utiles précisions.

 

I. A la base, s’appliquent deux critères alternatifs : soit le document a vocation à être transmis à l’administration et à devenir un document administratif communicable, soit le document est produit par une structure, certes de droit privé, mais assurant une mission de service public (si ces documents présentent un lien suffisamment direct avec ladite mission). Avec un petit débat récent sur la compétence du juge administratif dans certains cas. 

 

A la base, certains documents produits par des personnes privées sont des documents administratifs communicables car :

  • SOIT ces documents ont été transmis à l’administration (y compris des autorités administratives indépendantes) ou ont vocation à l’être et, en ce cas, ils peuvent être alors communicables dans les conditions du droit commun.
    Si c’est un document fiscal, par exemple, s’appliqueront les règles couvrant les secrets en ce domaine.
    Si c’est un document communicable, alors il devient communicable selon les règles usuelles  comme ce fut le cas par exemple s’agissant du « prêt russe » (le chéquier russe via la Tchéquie) du FN / RN.
    En effet, un parti politique n’est pas en soi investi d’une mission de service public comme une autre affaire (Cass. civ. 1, arrêt n° 102 du 25 janvier 2017, 15-25.561, Jean-Marie Le Pen contre Front National). Mais les document qu’il doit transmettre à terme à la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques (CNCCFP) deviennent communicables à dater de la publication sommaire des comptes au Journal officiel de la République française (JORF) prévue à l’article 11-7 de la loi du 11 mars 1988 qui marque l’achèvement de la mission de contrôle dévolue à la CNCCFP (sous réserve de certaines occultations à prévoir). Source : CE, 12 février 2019, n° 420467, au rec. 
    NB : souvent c’est par le subventionnement que des documents d’une association ou d’une fondation aidée deviennent communicables à la demande de l’administration et, parfois, in fine, deviennent des documents administratifs communicables (sans que ce lien ne soit automatique, pour schématiser une question fort complexe en réalité…). 
  • SOIT ces documents produits et détenus par un organisme privé chargé d’une mission de service public et ils deviennent eux aussi, en pareil cas, des documents administratifs communicables article L. 300-2 du code des relations entre le public et l’administration – CRPA)… si ces documents « présentent un lien suffisamment direct avec la mission de service public […], sous réserve des dispositions de l’article L. 311-6 de ce code et notamment du respect des secrets protégés par la loi » aux termes de la jurisprudence. Citons quelques jurisprudences :

Voir aussi CE, 17 avril 2013, La Poste c/ M. , n° 342372, T pp. 601-602 ; CE, 20 juillet 1990, Ville de Melun et Association Melun-Culture-Loisirs, n° 69867 72160, rec. p. 220 ; CE, 10 juin 1994, Lacan et Association des Thermes de la Haute-Vallée de l’Aude, n°s 138241 140175, p. 298 ; CE, 6 octobre 2008, M. , n° 289389, rec. p. 347.

En 2007, le Conseil d’Etat affinait sa jurisprudence sur ce qu’est une « personne privée chargée d’une mission de service public », en posant qu’ :

« indépendamment des cas dans lesquels le législateur a lui-même entendu reconnaître ou, à l’inverse, exclure l’existence d’un service public, une personne privée qui assure une mission d’intérêt général sous le contrôle de l’administration et qui est dotée à cette fin de prérogatives de puissance publique est chargée de l’exécution d’un service public.
« Même en l’absence de telles prérogatives, une personne privée doit également être regardée, dans le silence de la loi, comme assurant une mission de service public lorsque, eu égard à l’intérêt général de son activité, aux conditions de sa création, de son organisation ou de son fonctionnement, aux obligations qui lui sont imposées ainsi qu’aux mesures prises pour vérifier que les objectifs qui lui sont assignés sont atteints, il apparaît que l’administration a entendu lui confier une telle mission. »
(formulation des tables du rec., issues de la décision du CE bien évidemment, sur : CE, Section, 22 février 2007, Association du personnel relevant des établissements pour inadaptés, n° 264541, rec. p. 92.)

Les trois conditions alternatives pour reconnaître l’existence d’une telle mission sont :

NB : voir l’application au fonds de garantie des dépôts et de résolution (FGDR), voir CE, 28 septembre 2021, n° 447625, à mentionner aux tables du recueil Lebon. Lire à ce sujet notre article : Arrêt FGDR : intéressante application des critères de ce qu’est une « personne privée chargée d’une mission de service public »  . Voir aussi l’application récente aux Ordres des avocats au nom de leur mission de service public CE, 27 septembre 2022, n° 450739, à mentionner aux tables du recueil Lebon ; et voir l’arrêt n° 450737 du même jour… Voir notre article : D’intéressantes décisions sur les « purges » à faire lors de communication de documents administratifs et, au contraire, sur le fait que des mises en lignes obligatoires doivent se faire avec des moteurs de recherche non bridés… 

Par exemple, en 2022, le Conseil d’Etat a appliqué ce mode d’emploi à une fondation d’entreprise. Or, en l’espèce, les documents à transmettre à l’administration étaient non communicables (documents fiscaux ; absence en l’espèce de subventionnement qui pourrait en suite donner lieu à un document administratif communicable… ce à quoi des exonérations fiscales ne sauraient être assimilées) et la fondation en cause n’exerçait aucune mission de service public… Ses comptes annuels, dès lors, n’étaient pas des documents administratifs communicables. Plus encore : cette communication serait, en droit, répréhensible. La partie requérante, Anticor, cria mais en vain. La solution jurisprudentielle sur le principe était très évidente. Mais en l’espèce le juge avait aussi étendu le droit à la protection de la vie privée à la fondation, ce qui était plus inédit.
Voir cet arrêt et surtout l’article que nous avions alors rédigé : CE, 7 octobre 2022, Anticor, n°443826.

Voir aussi cette vidéo (6 mn 31), faite en octobre 2022 :

https://youtu.be/n6t6ykWt4eE

 

Inversement, et très naturellement, « le litige né du refus d’une personne privée de communiquer les documents demandés ne relève pas de la compétence de la juridiction administrative dès lors que cette personne n’exerce pas de mission de service public. »

Source : Conseil d’État, 24 décembre 2021, 444711

Sauf que cette formulation de 2021 interroge un peu. Car il y a UN AUTRE CAS où ces documents sont communicables par une personne privée :  c’est le cas susévoqué des documents ont été transmis à l’administration (y compris des autorités administratives indépendantes) ou ont vocation à l’être et, en ce cas, ils peuvent être alors communicables dans les conditions du droit commun.

Voir l’exemple précité de la communication du prêt russe du FN / RN qui était un document communicable (CE, 12 février 2019, n° 420467, au rec. )… alors qu’un parti politique n’assure pas une mission de service public (Cass. civ. 1, arrêt n° 102 du 25 janvier 2017, 15-25.561, Jean-Marie Le Pen contre Front National).
Dans l’arrêt n°420467, précité, de 2019, le Conseil d’Etat s’est reconnu compétent. D’où une redoutable alternative :

  • L’arrêt de 2021 est-il un revirement de jurisprudence (auquel cas nous aurions un cas de communication d’un document administratif par une personne privée mais avec un contentieux qui relèverait du juge judiciaire ?) ??? Nous n’osons le supposer.
  • Ou bien dans sa décision précitée n° 444711 de 2021 et surtout dans son résumé aux tables, le Conseil d’Etat aurait-il commis une bourde, un oubli, dans sa formulation ? Cela y ressemblerait fort s’il était permis de supposer que le Conseil d’Etat pût se tromper. Mais comme dans notre culture juridique il est, à l’égal des Papes, infaillible… c’est nous qui défaillons. 

 

Dans le doute :

  • retenons que les deux critères alternatifs (mission de SP OU document transmis ou à transmettre à l’administration) demeurent à coup sûr les deux critères pour qu’un document puisse être communicable par une personne de droit privé au titre du régime de la communication des documents administratifs 
  • supposons que dans ces deux cas le juge administratif reste compétent même si cette décision de 2021 par sa formulation malencontreuse pourrait en faire douter. 

 

Voir antérieurement : CE, 20 octobre 1995, Mugnier, n° 133470, rec. p. 358 ; CE, Section, 22 février 2007, Association du personnel relevant des établissements pour inadaptés (APREI), n° 264541, p. 92, aux Tables sur un autre point. Cf. sol. contr., s’agissant d’une demande adressée à une personne privée chargée d’une mission de service public, quelle que soit la nature du document, TC, 2 juillet 1984, Vinçot et Le Borgne, n° 02324, p. 450 ; CE, 28 novembre 2016, M. Ablyazov, n° 390776, T. pp. 682-692-766-768 ; CE, 27 juin 2019, Association Regards citoyens, n° 427725, p. 247.

 

 

II. La communication de documents relatifs à la scolarité d’un élève scolarisé dans un établissement d’enseignement privé catholique sous contrat avec l’Etat pourra parfois donner lieu à application du droit à communication de documents administratifs par une personne privée. Mais pas si la demande est adressée à une direction diocésaine ne pouvant être regardée comme étant l’organisme gestionnaire de cet établissement… 

 

 

Dans ce cadre, déjà un peu touffu, le droit appliqué aux établissements scolaires privés (primaire, collège, lycée, enseignement supérieur) sous contrat, notamment dans le cas où il s’agit de contrat d’association, devrait être simple.

Car nul doute que ces établissements privés, en tous cas ceux sous contrat d’association avec certitude, sont en charge d’une mission de service public, comme le rappelle le Conseil d’Etat dans sa nouvelle décision  :

« 5. Toutefois, aux termes de l’article L. 442-1 du code de l’éducation :  » Dans les établissements privés qui ont passé un des contrats prévus aux articles L. 442-5 et L. 442-12, l’enseignement placé sous le régime du contrat est soumis au contrôle de l’Etat « . En vertu de l’article L. 442-5 du même code :  » Les établissements d’enseignement privés du premier et du second degré peuvent demander à passer avec l’Etat un contrat d’association à l’enseignement public, s’ils répondent à un besoin scolaire reconnu (…). La conclusion du contrat est subordonnée à la vérification de la capacité de l’établissement à dispenser un enseignement conforme aux programmes de l’enseignement public. / Le contrat d’association peut porter sur une partie ou sur la totalité des classes de l’établissement. Dans les classes faisant l’objet du contrat, l’enseignement est dispensé selon les règles et programmes de l’enseignement public. (…) « . Il résulte en outre de l’article R. 442-59 du même code que le contrat d’association est conclu entre l’Etat et la personne physique ou morale qui est à la fois partie au contrat d’enseignement passé avec les parents des élèves et employeur du personnel d’administration, et qui a la jouissance des biens meubles et immeubles affectés à l’établissement. L’organisme gestionnaire d’un établissement d’enseignement privé sous contrat d’association, qui participe à ce titre au service public de l’enseignement, est une personne morale de droit privé chargée d’une mission de service public, tenue par conséquent, en application des dispositions citées au point 3 et dans les conditions prévues par celles-ci, de communiquer à toute personne qui en fait la demande les documents qu’elle a produits ou reçus dans le cadre de sa mission de service public.»

 

L’organisme gestionnaire d’un établissement d’enseignement privé sous contrat d’association (en général on les dénomme « OGEC » dans le cas de l’enseignement catholique), qui participe à ce titre au service public de l’enseignement, est donc bien une personne morale de droit privé chargée d’une mission de service public, tenue par conséquent, en application des articles L. 300-2 et L. 311-1 du CRPA et dans les conditions prévues par celles-ci, de communiquer à toute personne qui en fait la demande les documents qu’elle a produits ou reçus dans le cadre de sa mission de service public.

Fin de l’histoire ? Non car c’est ensuite que cela se corse.

Car, en l’espèce, la requérante avait demandé à une direction diocésaine de l’enseignement catholique la communication de divers documents relatifs à une évaluation psychologique concernant son fils, alors scolarisé dans établissement d’enseignement privé sous contrat d’association avec l’Etat.

Et donc c’est bien avec un tel OGEC qu’avait été signé dans cette affaire le contrat d’association avec l’Etat.

La demande aurait donc du être formulée par la parente d’élève à cet organisme de gestion de cet établissement, association régie par la loi du 1er juillet 1901 qui est « civilement responsable de la gestion de l’établissement et ayant la jouissance des biens immeubles et des biens meubles ».

La circonstance que, en vertu des règles d’organisation propres à l’enseignement catholique, la direction diocésaine de l’enseignement catholique exerce certaines prérogatives à l’égard de cet établissement, ne permet pas de la regarder comme un organisme gestionnaire de ce dernier et comme étant elle-même chargée par l’Etat d’une mission de service public.

Source : https://copainsdavant.linternaute.com/photo/ecole-privee-notre-dame-de-toutes-joies-ecole-primaire-d-argenton-l-eglise-4163559

Il suit de là, pose logiquement le Conseil d’Etat, séparant en l’espèce le bon grain de l’ivraie, que la juridiction administrative est incompétente pour connaître du litige relatif à une décision de refus de communication de cette direction diocésaine.

Il vaut mieux s’adresser au Bon Dieu qu’à ses saints, nous enseigne le dicton populaire.

C’est ce qu’avait fait cette dame, s’adressant à l’association diocésaine et non à l’OGEC.

Mal lui en a pris : il eût fallu que cette paroissienne s’adressât au saint local de proximité plutôt qu’à la direction diocésaine de l’enseignement catholique de Haute-Garonne… nonobstant le fait qu’en l’espèce la psychologue scolaire en cause était bien employée par la direction diocésaine (mais intervenant pour l’établissement scolaire).

 

Source :

CE, 13 novembre 2023, n° 466958, aux tables du recueil Lebon