D’intéressantes décisions sur les « purges » à faire lors de communication de documents administratifs et, au contraire, sur le fait que des mises en lignes obligatoires doivent se faire avec des moteurs de recherche non bridés

Le Conseil d’Etat vient de rendre quatre intéressantes décisions, toutes rendues le 27 septembre 2022 :

  • sur les « purges » à faire lors de communication de documents administratifs massifs (avec l’acceptation de méthodes un peu tranchées pour éliminer les informations nominatives ou couvertes par le secret professionnel),
  • ou autre contraire sur la portée de la mise en ligne de ces documents administratifs volumineux (par exemple pour les inscriptions aux tableaux des ordres professionnels et les annuaires qui en résultent, le juge fait le tri entre ce qui est communicable et ne l’est pas, avec censure des mises en ligne avec moteur de recherche trop limitées).

Avec à chaque fois ajout des dispositions du code des relations entre le public et l’administration (CRPA) aux règles spécifiquement applicables.

Voyons ceci point par point :

  • I. Communication des documents administratifs et « Grands livres budgétaires » d’une collectivité : vérification des informations nominatives pour chaque ligne : NON. Suppression des colonnes concernées par ces informations nominatives, OUI. 
  • II. Autre illustration, sur la suppression des informations couvertes par le secret des affaires cette fois (dans le cadre du droit forestier, lequel n’est que très partiellement spécifique), là encore dans le cadre d’une demande de document assez massive
  • III. Application aussi aux annuaires ou listes d’inscription aux tableaux (ou équivalents) des ordres professionnels avec l’obligation d’accéder à un large spectre d’informations (mais tout de même moins dément que celui demandé par l’association requérante en l’espèce). Une mise en ligne avec un simple moteur de recherche donnant accès à un nombre limité de résultats n’est pas suffisant en droit. 
  • IV. Voir aussi…

 

 

I. Communication des documents administratifs et « Grands livres budgétaires » d’une collectivité : vérification des informations nominatives pour chaque ligne : NON. Suppression des colonnes concernées par ces informations nominatives, OUI. 

 

Régulièrement, des particuliers se mettent en tête d’avoir communication de semi-remorques entiers de document administratifs.

L’administration doit répondre à de telles demandes sous un grand nombre de réserves, en matière de demandes abusives (voir par exemple Conseil d’État, 30 janvier 2020, n° 418797, au rec.), sous réserve qu’il s’agisse bien d’un document administratif communicable, sous réserve d’anonymisation…

Oui mais là ledit particulier était d’un singulière curiosité puisqu’il demandant communication des « grands livres budgétaires » d’un département au titre des années 2015 à 2017, avec donc la liste des mandats de dépenses et des titres de recettes émis par le département. En l’espèce, ces fichiers étaient sous la forme de six tableaux retraçant au total plus de 300 000 mandats de paiement et 75 000 titres de perception.

A chacune de ces opérations comptables peuvent être associés des tiers, tels que, par exemple, les bénéficiaires de dépenses relatives à l’action sociale, d’insertion ou en matière de santé menée par le département… autant dire que l’anonymisation imposée alors promettait d’être considérable.

Le Conseil d’Etat en a tenu compte avec une méthode qui ménage le droit à l’accès à l’information tout en autorisant des méthodes un peu radicales pour enlever les informations nominatives à protéger / anonymiser.

Citons le résumé des tables du rec. tel qu’il est préfiguré par celui de la base Ariane :

« Il ne revient pas à l’administration d’opérer, sur des documents d’un tel volume, une vérification ligne à ligne des informations potentiellement protégées au titre de l’article L. 311-6 du code des relations entre le public et l’administration (CRPA), cette recherche représentant une charge disproportionnée au regard des moyens à disposition. […] Dans les circonstances de l’espèce, les documents sollicités pouvaient néanmoins être communiqués après suppression, au sein de chaque fichier, de l’ensemble des colonnes susceptibles, compte tenu de leur objet, de contenir des données non communicables, telles que par exemple celles intitulées « nom bénéficiaire » ou « objet liquidation », tout en conservant un intérêt pour la personne ayant sollicité leur communication.»

 

 

Source :

Conseil d’État, 27 septembre 2022, n° 452614, à mentionner aux tables du recueil Lebon

 

 

II. Autre illustration, sur la suppression des informations couvertes par le secret des affaires cette fois (dans le cadre du droit forestier, lequel n’est que très partiellement spécifique), là encore dans le cadre d’une demande de document assez massive

 

 

Un autre requérant voulait, lui, en savoir plus sur la forêt de Mormal (dans le Nord, à la beauté trop méconnue).

Là s’applique un régime de communication de documents administratif pour partie spécifique au code forestier, mais dont le Conseil d’Etat nous confirme qu’il est large et, en réalité, que ses spécificités s’avèrent in fine toutes relatives. Citons, là encore, le futur résumé des tables du rec. tel que préfiguré par celui de la base Ariane :

« 1) a) Il résulte en premier lieu des articles L. 212-2, L. 122-6, D. 212-1, D. 212-2 et D. 212-6 du code forestier, en second lieu, d’une part, de l’article L. 112-3 du même code, d’autre part, des articles L. 124-2 et L. 124-3 du code de l’environnement, du I de l’article L. 124-2 de ce même code et de l’article L. 311-6 du code des relations entre le public et l’administration (CRPA) que si le code forestier prévoit que les documents d’aménagement des forêts sont, pour leur partie technique, communicables à toute personne qui en fait la demande, les obligations de communication pesant sur les personnes publiques pour les bois et forêts relevant du régime forestier ne s’arrêtent pas là. b) L’article L. 112-3 du code forestier et les articles L. 124-2 et L. 124-3 du code de l’environnement ainsi que le I de l’article L. 124-2 de ce code prévoient en effet que toute autorité publique relevant du code forestier, en particulier tout établissement public, est tenue de communiquer les informations environnementales qu’elle détient, reçoit ou établit à toute personne qui lui en adresse la demande.»

Mais de tout ceci il faut bien retrancher ce qui est couvert par le secret des affaires (ce qui est aussi logique que classique) et la Haute Assemblée nous explique comment :

« 2) Toutefois, après avoir apprécié l’intérêt d’une communication, elle peut rejeter une demande d’information environnementale lorsque la consultation ou la communication de cette information porte atteinte au secret des affaires. 3) Pages du document d’aménagement de la forêt de Mormal, qui constituent sa partie économique et ne sont pas publiées, comportant une prévision détaillée des volumes annuels de bois à récolter, notamment par essence et par diamètre, une estimation détaillée de la recette annuelle susceptible d’être tirée de la vente de ces volumes de bois, sur la base de prix unitaires estimatifs, un tableau récapitulatif des recettes et des dépenses attendues annuellement au titre de la gestion de la forêt de Mormal, assorti de commentaires explicatifs, constituant le bilan financier prévisionnel des programmes d’action envisagés au sens de l’article D. 212-1 du code forestier, ainsi qu’un tableau de bord des indicateurs nationaux de suivi pour la mise en oeuvre de l’aménagement forestier. Les informations concernant la recette pouvant être tirée de la vente des volumes de bois susceptibles d’être mis sur le marché et les prix attendus et celles concernant les recettes et les dépenses attendues au titre de la gestion de la forêt de Mormal sont de nature à influer tant sur les conditions de la concurrence entre les opérateurs de vente de bois dont fait partie l’Office national des forêts (ONF) que sur les conditions dans lesquelles l’Office négocie la vente de bois avec des acheteurs. Elles se rapportent ainsi à la stratégie commerciale de l’ONF. Par suite, leur communication doit être regardée comme de nature à porter atteinte au secret des affaires au sens de l’article L. 311-6 du CRPA.»

 

A comparer avec, entre autres : Un journaliste n’est pas fondé à prétendre avoir un droit à accéder, toujours et par principe, à des secrets couverts par celui des affaires – application au cas par cas – exemple dans le domaine, délicat, des produits de santé (Conseil d’État, 8 avril 2022, n° 447701, à mentionner aux tables du recueil Lebon).

Source :

 

Conseil d’État, 27 septembre 2022, n° 451627, à mentionner aux tables du recueil Lebon

forêt

 

III. Application aussi aux annuaires ou listes d’inscription aux tableaux (ou équivalents) des ordres professionnels avec l’obligation d’accéder à un large spectre d’informations (mais tout de même moins dément que celui demandé par l’association requérante en l’espèce). Une mise en ligne avec un simple moteur de recherche donnant accès à un nombre limité de résultats n’est pas suffisant en droit. 

 

Une troisième affaire du même jour s’avère plus caricaturale encore.

La bien nommée mais très gourmande en informations « association Ouvre-boîte » a demandé au juge administratif la

« communication par voie de publication en ligne de l’annuaire des avocats inscrits aux tableaux et listes nationales, des avocats honoraires des différents barreaux, des avocats étrangers exerçant ou non sous leur titre d’origine et de ceux exerçant à titre partiel en France, comportant le nom et le prénom de chacun d’eux, son adresse professionnelle, son identifiant et son numéro de toque, sa nationalité, sa date de prestation de serment, le nom de sa structure d’exercice, le numéro d’immatriculation de cette dernière, ses bureaux secondaires et la liste des collaborateurs y exerçant, sa  » catégorie professionnelle « , ses  » groupes de rattachement « , l’exercice ou non d’une activité à l’étranger, le diplôme obtenu et l’université de délivrance, l’année d’obtention du certificat d’aptitude à la profession d’avocat (CAPA) et le centre régional de formation professionnelle des avocats auquel il a été inscrit, les notes obtenues au CAPA ou au pré-CAPA, la voie d’accès à la profession, le barreau d’origine, les spécialisations, les champs de compétence, les activités dominantes, la nature des mandats, les langues parlées et les fonctions exercées au sein de l’ordre ou du Conseil national des barreaux, ainsi que de la liste de tous les cabinets, bureaux, groupements d’avocats, structures d’exercice et personnes morales avec le type de structure, l’adresse, la ville, le code postal, le barreau, le SIRET, le numéro de toque, la date éventuelle d’inscription au barreau, les bureaux secondaires, les associés, les collaborateurs et les of counsels »

Rien de moins. J’étais à deux doigts de devoir retrouver mon acte de naissance, mon certificat de baptême et le certificat d’études de mes parents.

La Haute Assemblée commence à répondre à cette demande démesurée par une réponse sans surprise, mais claire :

« Il résulte de l’article 21-1 de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971 que le législateur a entendu investir le Conseil national des barreaux (CNB) d’une nouvelle fonction, se rattachant à sa mission de service public relative à l’organisation de la profession réglementée d’avocat, consistant à constituer et à rendre accessible au public la liste à jour des avocats inscrits au tableau d’un barreau. L’annuaire national qu’il incombe à ce dernier d’établir et de mettre à jour constitue ainsi, dans son intégralité, un document administratif.»

Plus encore, le  Conseil d’Etat impose la présence d’un moteur de recherche pour qu’une telle mise en ligne soit opérationnelle pour le demandeur :

« Si, en vertu de ces dispositions, il appartient au CNB de rendre accessible en ligne un annuaire national des avocats inscrits au tableau d’un barreau selon les modalités qu’il fixe, en l’absence de dispositions réglementaires les précisant, notamment, ainsi qu’il y a procédé, par le biais d’un moteur de recherche sur son site internet permettant à l’internaute d’interroger la base de données à partir de certains champs de recherche et d’obtenir des résultats extraits de l’annuaire,»

Mais là encore, comme ci-avant en matière forestière, le juge pose que les règles du CRPA s’ajoutent au droit spécifique en la matière, avec un standard ouvert, en (relativement) open source :

« il ne résulte pas de ces dispositions, éclairées par les travaux préparatoires de la loi n° 2016-1547 du 18 novembre 2016 dont elles sont issues, que le législateur aurait entendu déroger aux règles de droit commun régissant la publication en ligne des documents administratifs, rappelées aux articles L. 300-2, L. 300-4, L. 311-1, L. 311-9, L. 312-1-1 et au 3° de l’article D. 312-1-3 du code des relations entre le public et l’administration (CRPA) et, en particulier, soustraire le CNB, saisi d’une demande en ce sens, à l’obligation de publier en ligne le fichier correspondant à l’annuaire national des avocats dans son intégralité dans un standard ouvert, aisément réutilisable et exploitable par un système de traitement automatisé, ainsi que, spontanément, chaque mise à jour.»

Dès lors, la mise en ligne avec moteur de recherche avec un nombre limité de résultats, telle que pratiquée par le Conseil national des barreaux (CNB)  ne suffit pas :

« Lorsqu’une personne demande à accéder à l’annuaire national des avocats selon la modalité d’une publication en ligne, en application du 4° de l’article L. 311-9 du CRPA, et que le CNB n’a rendu accessible l’annuaire national des avocats qu’il établit et met à jour que par le biais d’un moteur de recherche sur son site internet, permettant à l’internaute d’interroger la base de données à partir de certains champs de recherche et d’obtenir un nombre limité de résultats, a) une telle mise à disposition ne peut être regardée comme une publication en ligne de ce document administratif au sens de l’article L. 311-9 du CRPA b) ni comme une diffusion publique du document au sens de l’article L. 312-1-1 du CRPA, diffusion qui est de droit pour les documents disponibles sous forme électronique communiqués en application des procédures prévues au titre 3 du CRPA, alors au surplus que cette publication en ligne n’est pas réalisée dans un standard ouvert, aisément réutilisable et exploitable par un système de traitement automatisé, comme l’exige l’article L. 300-4 du même code. »

Le CNB va donc devoir revoir sa copie.

Mais le Conseil d’Etat trie tout de même entre informations à communiquer et celles qui ne le sont pas :

« 18. D’autre part, l’annuaire national des avocats, comportant le nom et le prénom de chacun d’eux, le numéro d’identifiant CNBF, le barreau d’appartenance, l’adresse, le nom et le numéro de SIREN de la structure d’exercice, la ou les mentions de spécialisation, la date de prestation de serment, les bureaux secondaires et les langues parlées, constitue un document administratif communicable à toute personne qui en fait la demande et qui, étant nécessaire à l’information du public sur les conditions d’organisation et d’exercice de la profession réglementée d’avocat, peut être mis en ligne sans faire l’objet d’un traitement permettant de rendre impossible la réidentification des personnes, conformément aux dispositions de l’article D. 312-1-3 du même code. En revanche, il ne ressort pas des pièces du dossier que le Conseil national des barreaux disposerait d’un annuaire national des avocats comportant les autres informations demandées par l’association requérante, ou qu’il pourrait l’établir par extraction de bases de données sans supporter une charge de travail déraisonnable. »

Il m’est donc loisible de cesser de chercher mon acte de naissance, mon certificat de baptême et le certificat d’études de mes parents. Ouf.

Ce tri est confirmé par une autre affaire du même jour et dont voici le probable futur résumé aux tables, avec le même requérant, mais avec l’Ordre des avocats au Barreau de Paris comme défendeur (et avec la même censure pour les mêmes motifs, schématiquement) :

« 1) a) Le nom et le prénom d’un avocat inscrit au barreau, son adresse professionnelle, son identifiant et son numéro de toque, sa nationalité, sa date de prestation de serment, le nom de sa structure d’exercice, le numéro d’immatriculation de cette dernière, ses bureaux secondaires et la liste des collaborateurs y exerçant, sa « catégorie professionnelle », ses « groupes de rattachement », l’exercice ou non d’une activité à l’étranger, son barreau d’origine, ses spécialisations, ses champs de compétence, ses activités dominantes, la nature de ses mandats, les langues qu’il parle et les fonctions qu’il au sein de l’ordre ou du Conseil national des barreaux (CNB) ne mettent pas en cause la protection de sa vie privée au sens de l’article L. 311-6 du code des relations entre le public et l’administration (CRPA). b) En outre, ces données relatives aux conditions d’organisation et d’exercice de la profession d’avocat étant nécessaires à l’information du public, le document qui les contient peut, dans cette mesure, être rendu public sans avoir fait l’objet d’un traitement permettant de rendre impossible la réidentification des personnes, conformément au 3° de l’article D. 312-1-3 du même code. 2) Tel n’est pas le cas, en revanche, du diplôme obtenu et de l’université de délivrance, de l’année d’obtention du certificat d’aptitude à la profession d’avocat (CAPA) et du centre régional de formation professionnelle des avocats (CRFPA) auquel il a été inscrit, de la voie d’accès à la profession et des résultats obtenus à l’examen d’entrée au CRFPA et à l’examen pour l’obtention du CAPA. 3) Sous réserve de ces dernières informations, qui peuvent être matériellement occultées ou disjointes au préalable, toute personne peut, sur le fondement des articles L. 300-2, L. 300-4, L. 311-1, L. 311-9, L. 312-1-1, L. 312-1-2 et D. 312-1-3 du CRPA, obtenir que l’annuaire tenu par l’ordre des avocats inscrits au barreau comportant les informations demandées, ainsi que la liste des cabinets et autres structures au sein desquelles la profession d’avocat est exercée soient publiés en ligne, dans un standard ouvert, aisément réutilisable et exploitable par un système de traitement automatisé, sans que l’ordre puisse utilement se prévaloir des conditions dans lesquelles ces documents pourraient être réutilisés pour le refuser.»

Sources :

Conseil d’État, 27 septembre 2022, n° 450739, à mentionner aux tables du recueil Lebon

Conseil d’État, 27 septembre 2022, n° 450737, à mentionner aux tables du recueil Lebon

 

 

IV. Voir aussi :