Twitter et Facebook sont-ils des bulletins d’information générale donnant lieu à un droit d’expression pour les élus minoritaires ? [mise à jour au 11/12/2017]

Le TA de Dijon a estimé que Facebook est un media devant héberger les espaces d’expression de l’opposition municipale. Le TA de Melun 

Le TA de Montreuil, lui, s’est contredit sur ce même sujet à quelques temps de distance… ou, plutôt, car il faut être charitable, a vaticiné de manière peu opérationnelle à ce propos. 

Mais revenons au TA de Dijon car celui-ci a en revanche estimé que tel n’était pas le cas de Twitter, ni d’ailleurs d’un bulletin interne.

On en perd son latin autant que son langage sms émojisé…. 

 

 

 

Les élus n’appartenant pas à la majorité municipale ont un droit d’expression ainsi formulé par l’article L. 2121-27-1 du CGCT :

« Dans les communes de 3 500 habitants et plus, lorsque la commune diffuse, sous quelque forme que ce soit, un bulletin d’information générale sur les réalisations et la gestion du conseil municipal, un espace est réservé à l’expression des conseillers n’appartenant pas à la majorité municipale. Les modalités d’application de cette disposition sont définies par le règlement intérieur. »

 

Avec un subtil équilibre des pouvoirs entre maire et conseil municipal :

https://blog.landot-avocats.net/2016/11/15/espaces-reserves-aux-elus-minoritaires-dans-le-bulletin-municipal-une-competence-devolue-au-conseil-municipal-et-non-au-maire-meme-en-deca-de-3-500-habitants/

et avec le droit en matière d’injure et de diffamation :

Le maire doit s’assurer que l’opposition ne dérape pas dans le bulletin municipal, mais avec modération

 

I. Un spectre large

 

Il est constant que :

« toute mise à disposition du public de messages d’information portant sur les réalisations et la gestion du conseil municipal doit être regardée, quelle que soit la forme qu’elle revêt, comme la diffusion d’un bulletin d’information générale »

Source : CAA Versailles, 17 avril 2009, Ville de Versailles c/ de Lesquen, req. 06VE00222, AJDA 2009. 1712 , concl. B. Jarreau ; JCP Adm. 2009. 2212, chron. A. Béal). Cette affaire inclut — pour schématiser — les sites Internet dans le champ de cette obligation, par exemple. Pour les TV, voir TA Lyon, 15 février 2004, Nardone, 0404876, AJDA 2007. 932. 

Sont ainsi inclus les rapports annuels (CAA Versailles, 12 juillet 2006, Département de l’Essonne, 04VE0323), les bilans de mi-mandat (TA Nice, 6 août 2008, Martinenq c. Commune de La-Seyne-sur-Mer, BJCL 2008. 649 ; CAA Versailles 27 août 2009, Commune de Clamart, req. no 08VE01825, AJDA 2009. 2134) mais qui n’inclut pas les publications des actes adoptés, assortis des positions prises par les élus au cours de débats (CAA Marseille, 2 juin 2006, Commune de Pertuis, 04MA02045) ou — semble-t-il — les documents portant engagements de mandat (CE, 29 avril 2011, Commune de Valence, 348653).

 

 


 

 

 

Le TA de Dijon a posé, en 2016, dans ce cadre que :

« toute mise à disposition du public de messages d’information portant sur les réalisations et la gestion du conseil municipal doit être regardée, quelle que soit la forme qu’elle revêt, comme la diffusion d’un bulletin d’information générale ; »

C’est peu contestable.

Il a ensuite inclut dans ce cadre le site Internet de la ville, mais aussi son page Facebook :

« il ressort des pièces du dossier que le site internet de la ville de Migennes ne se borne pas à délivrer des informations pratiques aux habitants de la commune mais comporte notamment un onglet libellé « Les projets » faisant un état commenté des différents chantiers menés par la majorité municipale ; que, de même, la page Facebook officielle de la ville de Migennes comporte de nombreux documents écrits, photographiques et vidéos retraçant, en temps réel, l’action de la majorité municipale ; qu’en outre, un lien hypertexte invite les internautes consultant le site internet de la ville de Migennes à suivre l’actualité de la ville sur sa page Facebook, créant ainsi un lien permanent entre ces deux outils de communication ;

Considérant que, dans les circonstances de l’espèce, ces deux supports dématérialisés doivent être regardés comme constituant un bulletin d’information générale au sens des dispositions précitées de l’article L. 2121-27-1 du code général des collectivités territoriales

 

ta-dijon-29-septembre-2016-m-a-n-1402816

 

Pour le site Internet, il s’agit d’une jurisprudence aussi constante que logique.

 

II. le compte Facebook est inclus dans ce régime selon le TA de Dijon (en 2016), celui de Montreuil (en 2015) et celui de Melun (en 2017)… mais tel n’est pas l’avis d’un autre jugement du TA de Montreuil (en 2017)

 

Pour Facebook, un TA s’était déjà prononcé dans le même sens et cela se défend assez bien (TA Montreuil, 2 juin 2015, n°1407830), même si techniquement l’affaire s’avère tout de même moins simple que de réserver des pages de site Internet pour l’opposition. Voici ce jugement de 2015 qui, d’ailleurs, avait eu les honneurs du rapport du CE :

1407830-ta-montreuil-anon_compl

 

N.B. : précisons à ce sujet de l’assimilation de Facebook à un bulletin d’information générale, on peine à comprendre pourquoi certains commentateurs citent un arrêt du CE portant sur un autre sujet et créé alors que Facebook en était à ses balbutiements outre-atlantique : CE, 20 mai 2005, n°274400. Il est grand le mystère du copier-coller, et il est très grand celui de l’inventivité du commentateur d’arrêt. 

 

Ce point est donc confirmé par le TA de Dijon en 2016.

 

ta-dijon-29-septembre-2016-m-a-n-1402816

 

Mais mystère, coup de tonnerre : le TA de Montreuil se met en 2017 à contredire la solution du TA de Montreuil en 2015. Oui mais la position de 2017 s’avère en fait si nuancée qu’on s’y perd. Le lien entre le principe brandi et la conclusion qu’en tire le juge laisse pantois. Voici le résumé qu’en fait fièrement le tribunal lui-même (et, de fait, on devrait toujours être fier de sa hardiesse et de sa créativité… lesquelles s’avèrent fort impressionnantes en l’espèce) :

Les élus n’appartenant pas à la majorité municipale doivent, en principe, disposer d’un espace dédié aux tribunes de l’opposition dans les bulletins d’information générale sur la réalisation et la gestion du conseil municipal.

La page «Facebook» d’une commune doit être regardée comme un bulletin d’information générale sur la réalisation et la gestion du conseil municipal au sens de l’article L. 2121-27 du code général des collectivités territoriales.

L’accès à la page « Facebook » officielle d’une commune, qui présente un statut « public » au sens des règles de confidentialité de ce réseau social, n’est ni réservé aux seuls utilisateurs de « Facebook » ni, parmi ceux-ci, aux seules personnes acceptées comme « amies » par l’utilisateur du profil. Elle permet à toute personne de réagir et d’échanger, notamment de manière quasi-instantanée, à tout message ou commentaire sans autre limitation de place ou de contrainte que celles découlant du respect de la loi et de l’ordre public.

Eu égard à la nature même et aux particularités de ce support, la page « Facebook » officielle d’une commune doit être regardée, sauf s’il en est justifié autrement par un élu de l’opposition, comme permettant en soi l’expression de toutes les tendances représentées au conseil municipal, sans qu’il soit nécessaire de prévoir un espace dédié ou supplémentaire au profit des élus de l’opposition au sens de l’article L. 2121-27-1 du code général des collectivités territoriales.

29 juin 2017, n°s 1602417 et 1609194, M. C. – jugement définitif

1602417-1609194

 

 

Si l’on cherche à donner de la cohérence à ces affaires, disons qu’il doit y avoir droit à expression dans cette page Facebook mais sans espace réservé (et, là, on frise la naïveté…). Disons qu’il est probable, en tous cas possible, que ce soit ce qu’ait voulu dire le juge. 

 

Cela dit, ce second jugement du TA de Montreuil n’a pas convaincu le TA de Melun, ni — expressément — sa rapporteure publique. Citons la Lettre du TA de Melun  de décembre 2017 :

Pour l’application des dispositions de l’article L. 2121-27-1 du code général des collectivités territoriales, toute mise à disposition du public de messages d’information portant sur les réalisations et la gestion du conseil municipal doit être regardée, quelle que soit la forme qu’elle revêt, comme la diffusion d’un bulletin d’information générale. A ce titre, un espace doit y être réservé à l’expression des conseillers n’appartenant pas à la majorité municipale.

La page Facebook officielle d’une commune peut-elle être regardée, eu égard à son contenu, comme un bulletin d’information générale et, si tel est le cas, permet-elle l’expression de l’opposition municipale au sens des dispositions de l’article L. 2121- 27-1 du code général des collectivités territoriales ?

Le tribunal, saisi par un conseiller municipal d’opposition, a répondu par l’affirmative à ces deux questions pour la page Facebook officielle de la commune de Lagny- sur-Marne.
D’abord, il a constaté que cette page ne se bornait pas à délivrer des informations pratiques aux habitants de la commune, à rapporter des événements en cours ou à annoncer des manifestations à venir, mais comportait de nombreux documents écrits, photographiques et vidéos retraçant, en temps réel, l’action de la majorité municipale, et en a déduit qu’elle doit être regardée comme un bulletin d’information générale.

Ensuite, il a relevé qu’à supposer que les tiers puissent y rédiger des commentaires sous les publications officielles de la commune, voire même poster directement des messages sur cette page, l’administrateur de la page pourrait librement les supprimer ou les bloquer et, en tout état de cause, les publications des tiers n’ont pas le même statut que celles de l’administrateur, n’apparaissant notamment sur la page que si le lecteur demande à les voir. De même, le fait que l’opposition municipale puisse créer une page propre ne serait pas de nature à elle seule à lui garantir un droit d’expression sur le bulletin d’information générale que constitue la page officielle de la commune, sauf à ce que l’administrateur de cette page partage cet article au même niveau que les articles de la majorité municipale.

 

TA de Melun 2ème chambre / 30 novembre 2017 / C+ / 1605943 et 1605947 / Rapporteure T. Renvoise / Rapporteure publique S. Bruston accès aux conclusions
PCJA 135-02-01-02-01-01. Voir :

 

III. L’exclusion de Twitter  : bon sens ou étrangeté ?

 

Dès lors, on peine à suivre le fil de la pensée du TA de Dijon quand celui-ci gazouille en 2016 que :

« Considérant qu’il résulte de la définition même et du mode de fonctionnement d’un compte Twitter, lequel constitue un outil de microblogage personnalisé, limité en nombre de caractères et fonctionnant en temps réel, que ce support dématérialisé ne peut pas être regardé comme constituant un bulletin d’information générale au sens des dispositions précitées de l’article L. 2121-27-1 du code général des collectivités territoriales ;»

 

Certes les différences entre outils apparaissent : il est évident qu’il ne serait pas possible de réserver un espace pour l’opposition dans chaque tweet de 140 signes ! Mais réserver quelques tweets aux followers du compte de la mairie avec une précision selon laquelle il s’agit d’un message de l’opposition ne serait pas impossible… un peu idiot peut-être (l’opposition, comme une grande, peut avoir son compte twitter et se débrouiller pour se faire connaitre !) mais ce n’est pas en ce cas plus idiot que pour Facebook.

 

IV. Exclusion du journal interne : une position fort incertaine

 

Le TA poursuit ensuite en posant que :

« le magazine intitulé « Migennews » constitue, nonobstant l’éditorial personnel du maire, un journal d’information interne de la commune à destination des seuls élus et agents administratifs ; qu’il ne peut, dès lors, être regardé comme constituant un bulletin d’information générale soumis aux dispositions précitées de l’article L. 2121-27-1 du code général des collectivités territoriales

 

Or ce point reste très discuté et la position du TA, sur ce point précis là encore, reste à utiliser avec des pincettes…

Pour le reste, ce jugement est sans surprise, mais il a le mérite d’exister et de donner une position jurisprudentielle en matière de twitter.

Le voici (relevé sur FilDroitpublic et sur le site de ladite juridiction) :

 

ta-dijon-29-septembre-2016-m-a-n-1402816

 

 

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