Par un arrêt C-438/16 du 19 septembre 2018, la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) jette une suspicion sur le régime des EPIC pour les entreprises publiques ou autres structures publiques françaises, en l’espèce l’Institut français du pétrole devenu l’établissement public IFP Énergies nouvelles (IFPEN).
Ce régime des EPIC (établissements publics industriels et commerciaux) est-il illégal dans son principe ? Que nenni. La Cour le pose presque explicitement.
Mais la commission européenne estimait qu’en l’espèce le régime de l’EPIC FPEN :
« avait conféré à cet établissement, à partir du 6 juillet 2006, le bénéfice d’une garantie illimitée et implicite de l’État. »
… et donc une aide d’Etat illégale (pour les seules activités économiques de cet établissement, lui apportant un avantage sélectif « dans ses relations avec les institutions bancaires et financières, avec les fournisseurs ainsi qu’avec les clients »).
La CJUE rappelle que constitue :
« un « régime d’aides » toute disposition sur la base de laquelle, sans qu’il soit besoin de mesures d’application supplémentaires, des aides peuvent être octroyées individuellement à des entreprises, définies d’une manière générale et abstraite dans ladite disposition, et toute disposition sur la base de laquelle une aide non liée à un projet spécifique peut être octroyée à une ou à plusieurs entreprises pour une période indéterminée et/ou pour un montant indéterminé. »
Et ensuite la Cour :
- note au point 65 que c’est à bon droit que :
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« le Tribunal a considéré […] que la mesure examinée dans la décision litigieuse était non pas, de manière générale, la garantie attachée au statut d’EPIC, mais, ainsi qu’il ressort notamment des considérants 21 à 24 de cette décision, une mesure spécifique, à savoir la transformation de l’IFPEN en EPIC.»
- Le statut d’EPIC n’est donc pas en cause en soi, dans son principe même.
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- estime que le point qui est à traiter est donc de savoir si en l’espèce le statut d’EPIC a conduit à une aide individuelle particulière.
- pose qu’en ce domaine il y a une présomption simple d’aide en cas de garantie illimitée, mais la CJUE précise dans son arrêt le jeu des renversements de présomption et de charge de la preuve (voir notamment points 100 à 119).
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comme toujours, il y aura aide d’Etat si toutes les conditions suivantes se trouvent réunies :
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il doit s’agir d’une intervention de l’État (ou d’une autre personne publique…) ou au moyen de ressources d’État (ou d’une autre personne publique).
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cette intervention doit être susceptible d’affecter les échanges entre les États membres (et donc être suffisamment conséquente).
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elle doit accorder un avantage sélectif à son bénéficiaire. Sont susceptibles de favoriser directement ou indirectement des entreprises, ou qui doivent être considérées comme un avantage économique que l’entreprise bénéficiaire n’aurait pu obtenir dans des conditions normales de marché (CJUE 2 septembre 2010, Commission/Deutsche Post, C‑399/08 P, EU:C:2010:481, point 40 ; CJUE 27 juin 2017, Congregación de Escuelas Pías Provincia Betania, C‑74/16, EU:C:2017:496, point 65).
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elle doit fausser ou menacer de fausser la concurrence.
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- et, ensuite et surtout, la Cour précise et étend en pareil cas d’EPIC ce qui peut constituer une aide d’Etat Illégale. Décomposons le raisonnement :
- Le tribunal de première instance de l’UE avait jugé que la présomption d’existence d’un tel avantage reste confinée aux relations qui impliquent une opération de financement, un prêt ou, plus largement, un crédit de la part du créancier d’un EPIC, notamment aux relations entre cet EPIC et les institutions bancaires et financières.
- La CJUE a censuré ce raisonnement qui était fondé sur des décisions antérieures, mais interprétées restrictivement par le juge de première instance. La Cour estime en effet qu’une telle présomption d’aide d’Etat est plus large : elle peut s’appliquer aussi aux relations d’un EPIC avec ses fournisseurs et ses clients, sous réserve d’examiner, au préalable, si, compte tenu des comportements des acteurs, l’avantage que l’établissement peut en tirer est similaire à celui qu’il tire de ses relations avec les institutions bancaires et financières.
- … partant, l’affaire est renvoyée au tribunal de première instance pour qu’il analyse cette affaire au fond, mais sur la base de cette nouvelle grille d’analyse (et de présomptions) imposées par la CJUE.
Que peut-on en conclure pour les EPIC (établissements publics industriels et commerciaux) ? Que s’ils sont assez importants pour que les flux financiers les concernant constituent des aides d’Etat… la garantie de la collectivité publique de rattachement, ou la garantie que le rattachement à la collectivité publique procure indirectement aux établissements financiers, voire à la clientèle ou aux fournisseurs, peut conduire à une aide d’Etat illégale… pour la partie de leur activité qui est commerciale, ouverte à la concurrence en quelque sorte.
A terme, le statut d’EPIC pourrait s’en trouver fort fragilisé en France, au moins quand les EPIC interviennent dans le secteur concurrentiel.
A suivre…
Voir CJUE , 19 septembre 2018, n° C‑438/16 P :
- ARRET :
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CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL M. MELCHIOR WATHELET