L’Agence nationale de cohésion des territoires a enfin son pilote et son décret… mais elle reste encore dans le brouillard

Ce devait, officiellement, pour les territoires être un des axes forts du quinquennat en matière de collectivités locales : la création de l’Agence nationale de cohésion des territoires (ANCT), dans le cadre également d’une refonte (à notre sens très très optimiste) de l’ingénierie territoriale de l’Etat.

Ce fut fait, avec la publication au JO du 23 juillet 2019 de cette loi n° 2019-753 du 22 juillet 2019 portant création d’une Agence nationale de la cohésion des territoires…. qui doit être opérationnelle dès le 1er janvier 2020. Puis, vint la promulgation de la loi organique n° 2019-790 du 26 juillet 2019.

Le 8 octobre 2019, a été annoncée la nomination du Préfet Yves Le Breton (voir III. ci-après) pour prendre la tête de cette institution en devenir…

Avant que le décret n° 2019-1190 du 18 novembre 2019 (voir IV. ci-après) ne paraisse au JO pour désaipaissir un peu, un peu seulement, le brouillard d’où sort cette nouvelle institution qui a vocation à être plus, ou autre chose, que le simple assemblage de structures pré-existantes (quoique…).

 

Voir :

 

Voir les interventions au Sénat de la Ministre Gourault et de Serge Morvan (alors, et pour quelques jours encore, commissaire général à l’égalité des territoires) qui reviennent à présenter ce que doit être ce nouvel (pas si nouveau…) acteur des territoires :

Voir aussi :

 

 

I. Une fusée à trois étages

 

Ce texte est le fruit d’une proposition de loi, soutenue par le Gouvernement, difficilement débattue au Parlement (sur les aspects de gouvernance notamment) et prévoit la création de cette Agence sous la forme d’un établissement public (EP) qui devra fédérer les moyens et ressources en ingénierie de l’État afin de les mettre à disposition des collectivités territoriales et de les appuyer dans la mise en œuvre des projets locaux.

Il y a donc bien 3 étages à cette fusée :

  • Cette nouvelle agence (ANCT) sera issue en quelque sorte d’une fusion du Commissariat général à l’égalité des territoires (CGET), d’Epareca et de l’Agence du numérique (à quelques bémols près) avec de nombreuses missions fortes autour notamment des questions de couverture numérique du territoire et de l’activité commerciale et artisanale. Avec de fortes actions déjà en matière d’Actions Cœur de Ville et de  Territoires d’industrie.Question (surtout si la structure est un EPA…) : en réalité, pourra-t-on sérieusement porter de tels projets sans faire appel à l’ingénierie d’Etat ainsi recomposée ou ne pas faire appel à l’ingénierie (pour partie au moins payante) de l’Etat serait-elle une stratégie obligatoirement perdante ? La question mérite d’être posée…
  • cette ANCT sera le catalyseur ensuite d’un système plus fédératif avec l’Anah, l’Anru, le Cerema et l’Ademe. La fusion intégrale entre ces acteurs a été refusée pour cause de risques de lourdeur et de conflits d’intérêts et à la suite de résistances efficaces des uns et des autres.
  • des partenariats forts sont également prévus avec notamment la Banque des territoires (elle-même fruit d’un mécano interne à la CDC), ce qui peut conduire à des partenariats forts (et plus ou moins fortement conseillés…) avec les structures de conseil liées à la Caisse des dépôts peut-on supposer « dans la vie réelle »…

 

II. Au lendemain de la création, de grandes incertitudes persistantes

 

Précisons que la forme juridique de cet EP (EPIC ou EPA ?) n’était pas pas encore indiquée au stade des lois… ce qui n’est pas anodin puisque si c’est un EPA… cela va nettement fausser la concurrence pour les AMO et autres bureaux d’études et accompagnants des collectivités.

Le personnel sera mixte public/privé, le financement aussi, les mission vastes, la gouvernance un peu complexe… Et le décret promis pour la fin de l’été n’est intervenu… qu’en novembre 2019 (voir IV. ci-après).

Et l’activité de conseil se fera-t-elle à l’équilibre financier ? Avec quelles relations avec CEREMA et les structures proches de la CDC comme la SCET ? Les acteurs locaux se sentiront-ils obligés d’en passer par cette ingénierie payante pour tel ou tel projet porté par l’Etat ?

 

III. Un pilote… enfin

 

M. S. Morvan, acteur expérimenté dans le monde public local, a annoncé qu’il devait quitter son poste pour raisons personnelles. Ce qui laisse la structure dans l’émoi et l’incertitude. M. François-Antoine Mariani, commissaire général délégué, assurera l’intérim. Là encore, voir :

 

La nomination du Préfet Yves Le Breton a été officiellement proposée par le château. Voir :

Cette nomination a, ensuite, été actée juridiquement.
Restait à enfin avoir ce fameux décret promis pour la fin de l’été.  C’est chose faite au JO de ce matin.

IV. Le décret publié ce matin détaille les missions et la gouvernance de l’agence, ce qui est bien, mais ne sort pas l’ANCT du brouillard sur d’autres points

 

Ce matin, a donc été publié au JO le décret n° 2019-1190 du 18 novembre 2019 relatif à l’Agence nationale de la cohésion des territoires (NOR: TERV1926860D).

 

Il s’agit du décret statutaire relatif à l’Agence nationale de la cohésion des territoires. Il détaille les missions de l’Agence, établissement public créé par la loi du 22 juillet 2019, ainsi que son mode de gouvernance.

Ce texte s’applique au lendemain de sa publication à l’exception des articles 2 à 5 qui entrent en vigueur au 1er janvier 2020 puisque ces articles tirent les conséquences, dans d’autres textes, de la mise en place de l’agence si le transfert du personnel interviendra au 1er janvier 2020, le conseil d’administration pourra se réunir avant le 15 décembre 2019 pour adopter le budget de l’agence pour l’exercice 2020.

 

La structure est placée sous la tutelle des ministres chargés de l’aménagement du territoire, des collectivités territoriales et de la politique de la ville.

L’agence peut apporter son concours aux collectivités d’outre mer, aux préfets pour certaines actions et, au titre de sa mission de veille et d’alerte, l’agence met en œuvre :

  • 1° Des travaux d’observation de la politique de la ville et de la politique d’aménagement du territoire ;
  • 2° Des travaux de réflexions prospectives et stratégiques en direction des territoires, notamment en matière de transition numérique, écologique, démographique, de mutations économiques et de coopération transfrontalière.

NB : mais nombreux sont les sceptiques sur le futur des missions d’études générales façon “ex Datar”. A suivre…

Elle a aussi pour mission de contribuer à la mise en place de dispositifs d’innovation et d’expérimentation de politiques publiques, ce qui est fort large.

Le conseil d’administration est composé de trente-trois membres avec voix délibérative. Outre deux députés et deux sénateurs, il comprend :
1° Seize représentants de l’Etat :
a) Deux représentants du ministre chargé de l’aménagement du territoire ;
b) Deux représentants du ministre chargé des collectivités territoriales ;
c) Un représentant du ministre chargé du budget ;
d) Un représentant du ministre chargé des communications électroniques ;
e) Un représentant du ministre chargé de la culture ;
f) Un représentant du ministre chargé du développement durable ;
g) Un représentant du ministre chargé de l’éducation nationale ;
h) Un représentant du ministre de l’intérieur ;
i) Un représentant du ministre chargé du logement ;
j) Un représentant du ministre chargé des outre-mer ;
k) Un représentant du ministre chargé de la politique de la ville ;
l) Un représentant du ministre chargé de la recherche ;
m) Un représentant du ministre chargé de la santé ;
n) Un représentant du ministre chargé des transports ;
2° Un représentant de la Caisse des dépôts et consignations ;
3° Dix représentants des collectivités territoriales et de leurs groupements dont au moins un élu représentant une collectivité d’outre-mer :
a) Un représentant nommé après consultation de l’Association des maires de France ;
b) Un représentant nommé après consultation de l’Assemblée des communautés de France ;
c) Un représentant nommé après consultation de l’Assemblée des départements de France ;
d) Un représentant nommé après consultation de l’Association Régions de France ;
e) Un représentant nommé après consultation de l’Association Villes de France ;
f) Un représentant nommé après consultation de l’association des maires ruraux de France ;
g) Un représentant nommé après consultation de l’association Villes et banlieues ;
h) Un représentant nommé après consultation de l’association France Urbaine ;
i) Un représentant nommé après consultation de l’association des petites villes de France ;
j) Un représentant nommé après consultation de l’association nationale des élus de la montagne ;
4° Deux représentants du personnel, élus selon des modalités fixées par arrêté du ministre chargé de l’aménagement du territoire.

Avec un régime de suppléants, de personnes qualifiées, d’organismes siégeant avec voix consultative (ANRU, ANAH, ADEME, CEREMA…).

Les fonctions du CA et du DG sont bien évidemment, avec précision, fixées par ce décret, ce qui est logique.

Important : l’ANCT aura des comités locaux de cohésion territoriale avec une composition ad hoc départementale.

On n’est pas comme pour l’Office français de biodiversité pour lequel c’est l’échelon régional qui a été privilégié;.. quoique puisque l’Agence reste coordonnée (animée) par le délégué territorial de l’agence dans le département chef-lieu de région. Et lorsqu’un projet de territoire concerne plus d’un département, le préfet de région désigne un délégué territorial chargé de la coordination du projet.

 

L’Agence nationale de la cohésion des territoires est soumise aux dispositions des titres Ier et III du décret n° 2012-1246 du 7 novembre 2012 relatif à la gestion budgétaire et comptable publique.
« L’agent comptable est nommé par arrêté du ministre chargé du budget.

MAIS sesprestations de services seront-elles purement gérées en SPIC à l’équilibre financier (ou bien ces prestations sur le secteur concurrentiel seront elles faussées par un financement partiel via le contribuable ? Mystère. A cette question, on a deux réponses :

  • celle de la Ministre Gourault qui a assuré récemment que l’ANCT ne ferait pas de prestation de conseil relevant du secteur concurrentiel (et là on peut avoir des doutes…)
  • celles qui filtrent et qui sont plus ambiguës.

 

Car on va retrouver un jeu que l’on connaît déjà bien avec la Caisse des dépôts (CdC) où l’on fait appel à l’ingénierie payante de ladite Caisse (en pratique, pas en droit) pour les projets financés par ladite Caisse….

Un cadre important d’action sera fixé par les conventions pluriannuelles d’intervention et de participation financière, lesquelles devront prévoir :

  • 1° Les modalités selon lesquelles le délégué territorial de l’agence dans le département est le référent unique des collectivités territoriales pour les projets soutenus par l’Agence nationale de la cohésion des territoires ;
  • 2° L’articulation entre les objectifs de l’agence et les projets d’établissements ou projets stratégiques des opérateurs mentionnés à cet article ;
  • 3° La mobilisation de leurs moyens humains et financiers pour la mise en œuvre des actions de l’agence ;
  • 4° Les modalités de communication sur les projets soutenus par l’agence et leur articulation avec celle de ces opérateurs.

Nous en saurons plus quand le contenu réel de ces conventions sera mieux connu.

 

Un comité national de coordination de l’Agence nationale de la cohésion des territoires est prévu pour ajuster le travail entre l’ANCT, l’ANRU, l’ANAH, l’ADEME, le CEREMA, la CdC…

Logiquement, le décret procède à un toilettage de textes notamment pour fixer toutes les fois où terme  CGET doit être remplacé par ANCT…

Le texte prévoit les transferts des biens, des contrats (avec donc une composition mixte du personnel entre droit privé et droit public). Mais toujours ce brouillard qui persiste autour des actions concrètes… qui devra bien se dissiper avec l’arrivée du printemps.