Audiences et Covid-19 : le Conseil d’Etat invente l’ordonnance de rejet… avec quasi-injonction à l’administration

Le Conseil d’Etat rejette les demandes de mesures de protection pour les audiences judiciaires et administratives, formulées par les barreaux de Marseille et de Paris… mais il le fait au nom du fait que l’Etat devra le faire…

Citons le point 18 de cette ordonnance de référé liberté (qui a beaucoup ravi les avocats qui sont traités en auxiliaires de justice — qu’ils sont en droit — et non en indépendants devant se débrouiller seuls) :

« 18. Il appartient à l’Etat d’assurer le bon fonctionnement des services publics dont il a la charge. Il doit, à ce titre, dans le cadre de la lutte contre le covid-19, veiller au respect des règles d’hygiène et de distance minimale entre les personnes afin d’éviter toute contamination. Il doit également, lorsque la configuration des lieux ou la nature même des missions assurées dans le cadre du service public conduisent à des hypothèses inévitables de contacts étroits et prolongés, mettre à disposition des intéressés des équipements de protection, lorsqu’ils n’en disposent pas eux-mêmes. Cependant, face à un contexte de pénurie persistante à ce jour des masques disponibles, il lui appartient d’en doter d’abord ses agents, à l’égard desquels il a, en sa qualité d’employeur, une obligation spécifique de prévention et de sécurité pour garantir leur santé et, tant que persiste cette situation de pénurie, d’aider les avocats qui, en leur qualité d’auxiliaires de justice, concourent au service public de la justice, à s’en procurer lorsqu’ils n’en disposent pas par eux-mêmes, le cas échéant en facilitant l’accès des barreaux et des institutions représentatives de la profession aux circuits d’approvisionnement. Pour le gel hydro-alcoolique, pour lequel il n’existe plus la même situation de pénurie et les avocats sont donc en mesure de s’en procurer par eux-mêmes, il appartient à l’Etat d’en mettre malgré tout à disposition, lorsque l’organisation des lieux ou la nature même des missions ne permettent pas de respecter les règles de distanciation sociale. »

Certes, valider des décisions administratives tout en émettant des réserves, ou des suggestions, ou des menaces pour l’avenir, le juge administratif, surtout en référé liberté, s’y adonne volontiers. Il l’a déjà fait (voir notamment ici), d’une manière qui évoque un peu les « conformités sous réserve »  du Conseil constitutionnel (art auquel le Conseil d’Etat s’adonne mais de manière moins directe)…

Mais là nous allons plus loin.

Le juge ne peut enjoindre à l’administration d’agir que si celle-ci est, au procès administratif, la partie perdante. Là, avec cette ordonnance du 20 avril 2020, la Haute Assemblée n’est pas loin d’inventer l’ordonnance de rejet de la requête… avec injonction à l’administration.

Amusante aussi est la réaction du Syndicat de la juridiction administrative sur Twitter (très neutre sur le ton ; comme il sied ; plaisante sur le fond) :

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NB : nous tenons toujours à présenter, en miroir, les positions du SJA et de l’USMA en ce domaine. Mais nous n’avons pas vu de réaction de l’USMA à ce sujet, à l’heure où nous griffonnons tapotons les présentes lignes. 

Du Conseil d’Etat, on peut dire bien des choses, en somme. Mais rarement qu’il a de l’humour dans ses décisions. Et bien là, pour une fois… on s’en approche. Un peu. 

Note aux lecteurs non juristes… Oui bon chez nous la notion d’humour s’avère parfois toute singulière 😉.

 

 

Voici cette décision :

• CE, ord., 20 avril 2020, n°439983

http://www.conseil-etat.fr/fr/arianeweb/CE/decision/2020-04-20/439983