Quel est le droit des élus à disposer de documents avant un vote ? [article et VIDEO]

Nouvelle diffusion

 

 

Il y a quelques temps, notre blog traitait d’un arrêt important et récent du Conseil d’Etat (CE, 05/04/2019, n° 416542) sur le droit des élus locaux à disposer de documents particuliers avant un vote. Voir :

 

Voici un décryptage de ce régime juridique piégeux par Me Eric Landot en un peu plus de 6 mn, puis un rappel de ce régime juridique  :

 

I. VIDEO

 

https://youtu.be/jXq6GVlyd_0

 

II. COMMENTAIRES

 

Un arrêt important, à publier aux tables du recueil Lebon, vient sérier entre les informations qui sont, ou ne sont pas, à communiquer aux élus locaux au titre de leur droit à information des affaires donnant lieu à délibération. Cet arrêt ne bouleverse pas le droit existant, mais il le précise en rendant à ce régime sa portée utile, mais en limitant à sa portée utile, justement. 

 

I. Un droit ample au profit des élus, en cas de lien avec une délibération, en cas de demande expresse et si aucun motif d’intérêt général n’ y fait (n’y fait vraiment…) obstacle

 

En droit, les articles L. 2121-7 et suivants du Code général des collectivités territoriales (CGCT) consacrent le droit à l’information des membres des assemblées délibérantes des collectivités territoriales.

L’article L. 2121-13 du CGCT dispose notamment que :

« Tout membre du conseil municipal a le droit, dans le cadre de sa fonction, d’être informé des affaires de la commune qui font l’objet d’une délibération ».

Des dispositions comparables existent en droits départemental et régional.

NB : régime à distinguer donc du droit classique à communication des documents administratifs, dont naturellement les conseillers municipaux, intercommunaux, départementaux et régionaux peuvent aussi se prévaloir. S’y ajoutent naturellement les obligations en matière de note de synthèse (ou de rapport pour les départements ou régions), plus des règles spécifiques en matière de budget. 

 

D’après l’article L. 2121-13-1 du CGCT, la Collectivité est libre de choisir la forme de l’information qu’elle doit transmettre aux membres des assemblées délibérantes.

L’alinéa deux de l’article L. 2121-12 du CGCT précise qu’en matière de délégation de service public, il suffit que les documents en cause puissent être consultés :

« Si la délibération concerne un contrat de service public, le projet de contrat ou de marché accompagné de l’ensemble des pièces peut, à sa demande, être consulté à la mairie par tout conseiller municipal dans les conditions fixées par le règlement intérieur ».

Le défaut d’information des élus est reconnu

  • dans l’hypothèse où l’information fournie aux conseillers municipaux a été de nature à les tromper sur la portée de leurs décisions (CE, 4 novembre 1987, Préfet commissaire de la République du Département du Var, req. n° 73180).
  • en cas d’impossibilité matérielle pour les membres d’un conseil municipal d’accéder à des documents existants dont il a été demandé la communication (CE, 29 juin 1990, Commune de Guitrancourt c/ Mallet et autres, req. n°68743).

 

Cela dit, encore faut-il que l’information :

  • soit demandée : en l’absence de dispositions spécifiques expresses prescrivant l’obligation de communiquer certains documents, il ne saurait être exigé du maire une communication spontanée de documents (CE, 26 juin 1996, SARL Rossi Frères, req. n°148711).
  • prenne en compte certaines mesures de prudence. Le juge exige tout de même que le maire doit apprécier si la communication demandée se rattache bien à une délibération du conseil municipal et si aucun motif d’intérêt général ne s’oppose à cette communication (une occultation de certaines mentions pouvant être envisagée par exemple dans certains cas). Citons sur ce point l’arrêt d’Assemblée CE, Ass. 27 mai 2005, Cne d’Yvetot, n°265494 (voir aussi l’arrêt Dpt de l’Essonne, du même jour, n°268564) :

« lorsqu’un membre du conseil municipal demande la communication de documents faisant partie de la correspondance échangée entre l’avocat de la commune et son exécutif ou des consultations juridiques rédigées par cet avocat pour le compte de la commune, il appartient au maire sous le contrôle du juge, d’une part, d’apprécier si cette communication se rattache à une affaire de la commune qui fait l’objet d’une délibération du conseil municipal, d’autre part, eu égard à la nature de ce document, de s’assurer qu’aucun motif d’intérêt général n’ y fait obstacle, avant de procéder, le cas échéant, à cette communication selon des modalités appropriées ; »

 

Cela dit, si un contentieux est ouvert au titre de l’annulation d’une délibération au motif d’une insuffisante information des élus, la jurisprudence, reprenant les obligations imposées par le Code général des collectivités territoriales (CGCT), en ses articles L. 2121-12 et L. 2121-13, conduit à vérifier si une réponse positive peut être portée à deux questions :

  • les conseillers municipaux ont-ils pu consulter les pièces et documents nécessaires à leur information ? (CE, 23 avril 1997, Ville Caen c/ Paysant, n°151852, Dr. adm. 1997, comm. 196 ; voir aussi par exemple CAA Bordeaux, 29 oct. 2002, Bordeaux : AJDA 2003, p. 203, note C. Devès).
  • l’information fournie a-t-elle été suffisante, n’a-t-elle pas induit en erreur les élus ? (CE, 1er octobre 1997, Avrillier ; Dr. adm. 1997, comm. 342).
    Sur ces points la jurisprudence abonde pour confirmer que ce qui compte est la bonne information des élus locaux membres de l’assemblée délibérante au moment de la convocation du comité (et avant la délibération)…. c’est sur ce point que l’arrêt nouveau porte principalement.

Sources : art. L. 1411-4, L. 1524-5, L. 2121-12, L. 2121-13, L. 2121-19, L. 2121-26 et L. 2224-5, ainsi que L. 5211-39 (issu de la loi du 12/7/99) du CGCT ; art. L. 241-11 du Code des juridictions financières ; CE, ass., 9/11/73 Cne de Pointe-à-Pitre, rec. 631 ; CE 27/10/89 de Peretti, n°70549 ; CE 29/6/90 Cne de Guitrancourt, n°68743 ; CE 8/6/94 Cne de Ville-en-Vernois, rec. 828 ; CE 12/7/95 Cne de Fontenay-le-Fleury, n° 157092 ; CE, Sect., 23/4/97 V. de Caen, n°151852 ; CE 30/4/97 Cne de Sérignan, n°158730 ; CE 11/01/02, Janin, n°215314 ; CE 9/04/04, Vast, n°263759 ; CE, Ass. 27/05/05, Dpt de l’Essonne, n°268564 ; CE, Ass. 27/05/05, Cne d’Yvetot, n°265494 ; CE, Sect, 5/10/05 M. Tomaselli, n°256055 ; CE 11/09/06, Cne de Théoule-sur-Mer, n°255273; CE 10/01/07, Sté Pompes Funèbres et conseillers funéraires du Roussillon, n°284063 ; CAA Paris, 3/07/01, Voiret, n°98PA01434 ; CAA Nantes, 18/06/04, Cne de Carnac, n°03NT01143 ; TA Lyon, 7/03/01, Kolischev, n°9803985 ; TA St-Denis, 8/12/04, Hoarau, n°0200806...

 

II. Le nouvel arrêt précise que la demande à formuler à l’exécutif reste valable si elle est adressée au DGS, mais qu’il faut (et il est nouveau que ce soit si nettement exprimé) que cela porte sur une délibération à venir, d’une part, et que cette communication soit nécessaire à l’occasion du vote à venir, d’autre part.

 

Le Conseil d’Etat commence par rappeler le même considérant de principe que celui évoqué ci-avant dans les arrêts Commune d’Yvetot et Département de l’Essonne. 

Il se contente de préciser (mais nul ne peut en douter à la lecture de l’article L. 5211-1 du CGCT…) que ce régime s’applique aux EPCI :

« le maire est tenu de communiquer aux membres du conseil municipal les documents nécessaires pour qu’ils puissent se prononcer utilement sur les affaires de la commune soumises à leur délibération. Lorsqu’un membre du conseil municipal demande, sur le fondement de ces dispositions du code général des collectivités territoriales, la communication de documents, il appartient au maire sous le contrôle du juge de l’excès de pouvoir, d’une part, d’apprécier si cette communication se rattache à une affaire de la commune qui fait l’objet d’une délibération du conseil municipal et, d’autre part, de s’assurer qu’aucun motif d’intérêt général n’y fait obstacle, avant de procéder, le cas échéant, à cette communication selon des modalités appropriées. Il en va de même des demandes de communication adressées au président d’un établissement public de coopération intercommunale par les membres du conseil communautaire ».

 

Le Conseil d’Etat admet que c’est une erreur (sauf dispositions spécifiques, celles d’un règlement intérieur par exemple, voire des statuts pour les syndicats mixtes ouverts…) pour un élu de s’adresser au DGS et non à son exécutif, puisque le droit à communication s’impose à l’exécutif, mais que le DGS devant transmettre ladite demande, cela ne vicie pas ladite demande :

« dès lors qu’il appartient au maire, sous réserve des délégations qu’il lui est loisible d’accorder, d’apprécier s’il y a lieu de procéder à la communication de documents demandés sur le fondement des dispositions précédemment citées, de telles demandes de communication doivent en principe lui être adressées, sauf à ce qu’il ait arrêté des modalités différentes pour la présentation de telles demandes. Toutefois, une demande adressée au directeur général des services ne saurait être rejetée comme mal dirigée, dans la mesure où il revient, en tout état de cause, au directeur général des services de la transmettre au maire pour qu’il puisse apprécier s’il y a lieu d’y donner suite. Il en résulte que ne peut qu’être écarté le moyen tiré de ce que le tribunal administratif aurait commis une erreur de droit faute de retenir que le directeur général des services de [l’EPCI en cause] aurait été placé en situation de compétence liée pour rejeter la demande de communication qui lui avait été, à tort, adressée ».

Ce point de droit est nouveau, mais il ne saurait surprendre en dépit de la hardiesse de la position (qu’il était logique qu’il tentât), en défense, dudit EPCI dans cette affaire.

 

Plus intéressante est l’apport suivant du Conseil d’Etat, lequel pose que :

« le tribunal administratif de La Réunion a fait droit à la demande de M. M. au motif que les documents dont ce dernier avait demandé la communication au directeur général des services de [l’EPCI en cause] se rapportaient à des projets qui avaient donné lieu à des délibérations du conseil communautaire de cet établissement public. En se bornant à constater que les documents en cause étaient directement liés à des délibérations, sans rechercher, alors que les délibérations invoquées étaient antérieures à la date de la demande de communication, si les documents demandés pouvaient être regardés comme étant nécessaires pour que M. M. puisse se prononcer utilement sur les affaires en cours de l’établissement public de coopération intercommunale, susceptibles de faire l’objet de délibérations à venir au cours desquelles les élus auraient à se prononcer sur les projets en cause, le tribunal administratif de La Réunion a commis une erreur de droit ».

 

Là, l’apport est novateur (quoique non révolutionnaire) et intéressant. Ce régime impose que :

  • la demande porte sur un document relatif à une délibération à venir, d’une part,
  • cette communication soit nécessaire à l’occasion du vote à venir, d’autre part.

 

Voici cet arrêt CE, 05/04/2019, n° 416542 :

https://www.legifrance.gouv.fr/affichJuriAdmin.do?oldAction=rechJuriAdmin&idTexte=CETATEXT000038351101&fastReqId=1468059583&fastPos=1