Recevabilité des recours des associations : rigueur toujours ; extrême rigueur parfois…

Depuis la célèbre décision Syndicat des patrons coiffeurs de Limoges (CE, 28 décembre 1906, rec. p. 977, concl. Romieu) une association, quand elle n’agit pas pour ses intérêts propres mais pour les causes qu’elle défend, peut agir devant le juge administratif s’il est porté atteinte aux intérêts dont elle a la charge et si l’acte attaqué n’est pas un acte individuel « négatif ».

La lésion de cet intérêt collectif par une décision attaquée doit être appréciée à l’aune de l’objet social déterminé par les statuts de l’association :

« Considérant que les associations UNION NATIONALE DES ETUDIANTS DE FRANCE et I.N.T.E.R.C.A.P.A. demandent l’annulation du décret du 25 janvier 1990 et de la circulaire du même jour du ministre de l’intérieur relatifs au contentieux des arrêtés préfectoraux de reconduite d’étrangers à la frontière ; qu’il résulte des requêtes des associations UNION NATIONALE DES ETUDIANTS DE FRANCE et I.N.T.E.R.C.A.P.A., lesquelles n’ont pas produit leurs statuts malgré l’invitation qui leur a été faite, que lesdites associations ont pour objet la défense des intérêts des étudiants et des formations de l’enseignement supérieur qu’ils fréquentent ; que, dès lors, ces associations ne justifient pas d’un intérêt leur donnant qualité pour demander l’annulation des textes attaqués » (CE, 10 janvier 1992, UNEF, n° 115718 et 115719, Rec. Tables p. 1196).

En ces domaines, la jurisprudence s’avère aussi abondante que rigoureuse sur ce point (CE, 12 mars 2007, Syndicat de la magistrature, req. n° 298085 et 297888 ; CE 26 mai 1995, Association Houtland Nature, req. n° 123266 ; CAA Nancy, 10 déc. 2007, Association Qualité de vie en milieu rural, req. n° 06NC00111 ;  CAA Lyon, 7 août 2008, Assoc. Urbanisme et environnement de la confluence Drôme-Rhône, req. n° 06LY01602 ; pour un cas intéressant voir Tribunal administratif de Poitiers, 10 septembre 2020, Association V, n° 1901677, C+ ;  voir ici notre article sur cette dernière décision).

Ceci dit, par exemple, une association locale visant à obtenir des éclaircissements sur les contrats passés entre une commune et toute société concessionnaire ou fermière pour l’exploitation de l’eau est habilitée à agir en justice à ce sujet (CE, 18 mars 2005, n° 261080).

Et adopter un objet social trop large est une astuce qui ne fonctionne pas :

« […] Considérant qu’aux termes de l’article 3 de ses statuts, l’association requérante a pour objet la représentation et la défense, dans tous les domaines, des intérêts des propriétaires, dans le cadre de l’intérêt général et notamment : de réunir ses adhérents pour promouvoir et faciliter de bonnes relations et créer des liens de solidarité, […] ; qu’en estimant qu’un objet social aussi général, qui ne vise pas précisément les questions d’urbanisme ni même la défense du site, ne conférait pas à l’UNION DES PROPRIETAIRES POUR LA DEFENSE DES ARCS un intérêt de nature à lui donner qualité pour demander l’annulation du permis de construire litigieux, la cour administrative d’appel, par un arrêt qui est suffisamment motivé et qui n’est pas entaché de dénaturation des pièces du dossier, a fait une exacte application des règles relatives à l’intérêt pour agir […] » (CE, 29 janvier 2003, Union des propriétaires pour la défense des Arcs, Rec. Tables 900, req. n° 199692 ).

S’agissant des associations environnementales agréées, il n’est d’ailleurs pas certain que la sévérité du juge français soit conforme au droit européen. Voir Voir CEDH, ch. 1, 1er juillet 2021, Association BURESTOP 55 et autres c. France, requêtes nos 56176/18, 56189/18, 56232/18, 56236/18, 56241/18, 56247/18 ( voir ici notre article à ce sujet).

Reste qu’en ce domaine, les sévérités du juge varient d’un dossier à l’autre.

Voici un exemple de rigueur du juge qui ne manque pas de commodité (voir aussi ici pour le fond de ce dossier) dans une perspective d’unité de l’ensemble architectural que forme le Palais Royal (sur cette même association, voir un rejet logique, puisque l’association de contribuables avait déposé un recours concernant des usagers et non des contribuables : CE, 1er décembre 2004, n° 260551).

Déclarez donc irrecevables ces recours que je ne saurais aborder au fond…

 

Conseil d’État

N° 457273
ECLI:FR:CECHS:2021:457273.20211227
Inédit au recueil Lebon
8ème chambre
M. Charles-Emmanuel Airy, rapporteur
Mme Karin Ciavaldini, rapporteur public
SCP GASCHIGNARD, avocats

Lecture du lundi 27 décembre 2021

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS


Vu la procédure suivante :

Par une requête, enregistrée le 6 octobre 2021 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, l’association Contribuables associés demande au Conseil d’Etat :

1°) de déclarer inexistante la lettre de la secrétaire d’Etat au budget du 16 mars 2001 instituant une indemnité de fonction complémentaire au bénéfice des membres du Conseil constitutionnel ;

2°) d’annuler pour excès de pouvoir la décision implicite de rejet née du silence gardé par le ministre de l’économie, des finances et de la relance sur sa demande du 30 juillet 2020 tendant à l’abrogation de la lettre du 16 mars 2001 de la secrétaire d’Etat au budget ;

3°) d’enjoindre à l’Etat de procéder, dans un délai d’un mois à compter de la notification de la décision à intervenir et sous astreinte de 1 000 euros par jour de retard, à la récupération des sommes perçues au titre de cette indemnité par les membres du Conseil constitutionnel ;

4°) de mettre à la charge de l’Etat la somme de 2 500 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
– l’ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 ;
– le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

– le rapport de M. Charles-Emmanuel Airy, auditeur,

– les conclusions de Mme Karin Ciavaldini, rapporteure publiquz ;

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Gaschignard, avocat de Contribuables Associes ;

Considérant ce qui suit :

1. Aux termes de l’article 2 des statuts de l’association Contribuables associés, celle-ci a pour objet social de  » mettre en oeuvre les articles 14 et 15  » de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen,  » d’encourager un esprit d’économie dans les services publics et dans les dépenses publiques qui doivent être limitées à l’indispensable « ,  » de défendre, notamment par des actions en justice, les droits et intérêts collectifs ou individuels des citoyens et contribuables en matière de fiscalité, de dépenses publiques, de règlementation et contre toute forme d’abus de pouvoir  » et de  » lutter contre la corruption et les atteintes à la probité publique, par la réalisation et la diffusion de publications, par l’organisation de manifestations et réunions sur ce sujet, ainsi que par le recours à des actions judiciaires « . Un tel objet ne confère pas à l’association Contribuables associés un intérêt lui donnant qualité pour demander l’annulation ou l’abrogation de la lettre du 16 mars 2001 de la secrétaire d’Etat au budget relative au régime indemnitaire des membres du Conseil constitutionnel.

2. Il résulte de ce qui précède que la requête de l’association Contribuables associés est irrecevable et ne peut, par suite, qu’être rejetée, y compris ses conclusions tendant à l’application des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

D E C I D E :
————–

Article 1er : La requête de l’association Contribuables associés est rejetée.
Article 2 : La présente décision sera notifiée à l’association Contribuables associés, au Premier ministre et au ministre de l’économie, des finances et de la relance.
Délibéré à l’issue de la séance du 16 décembre 2021 où siégeaient : M. Pierre Collin, président de chambre, présidant ; M. Mathieu Herondart, conseiller d’Etat et M. D… A…, auditeur-rapporteur.

Rendu le 27 décembre 2021.