Ne pas mettre à jour une convention de mandat (ou de séquestre), ou ne pas l’appliquer, peut constituer une gestion de fait

Manier des sommes via un mandat peut constituer une gestion de fait, et ce dans des conditions plus sévères qu’on ne le supposait avant le célèbre arrêt Prest’action de 2009.

Ceci dit, ensuite, est intervenue la loi n° 2014-1545 du 20 décembre 2014 pour préciser ce qu’est une convention de mandat permettant de manier des fonds sans commettre une gestion de fait, d’une part, et pour régler le sort des conventions antérieures à 2014, d’autre part.

Or, en ces domaines, le Conseil d’Etat vient de rendre une décision importante dont il ressort, schématiquement, que :

  • les conventions de mandat pré-existantes à la loi de 2014 devaient être mises à jour au plus tard lors de leur renouvellement, mais faute de date de renouvellement, c’est « sans délai » (ou en tous cas à bref délai car le juge eût sans doute accepté un « délai raisonnable ») que cette mise à jour eût du être faite
  • ce régime s’applique aux conventions de séquestre et aux autres conventions proches 
  • ne pas respecter les termes essentiel de la convention de mandat, c’est encore commettre une gestion de fait
  • en ces domaines, le juge peut être sévère pour un comptable de fait « de brève main », mais aussi pour un comptable de fait « de longue main » (application à ce dernier alors même qu’il aurait cessé ses fonctions peu après le début de la période non prescrite et que, pour l’essentiel de cette période, elle n’était plus en fonctions, ce qui est d’ailleurs en réalité assez classique).

 


 

 

I. Rappels sur la gestion de fait et les conventions de mandat, avant et après l’arrêt Prest’action, avant et après la loi n° 2014-1545 du 20 décembre 2014…

 

Aux termes de l’article 60 de la loi n° 63-156 du 23 février 1963 de finances pour 1963, puis de l’article 11 du décret n° 62-1587 du 29 décembre 1962, seuls les comptables publics peuvent recouvrer des recettes publiques.

Cela dit, les personnes publiques :

« recourent depuis de nombreuses années à des tiers pour le paiement de leurs dépenses ou l’encaissement de leurs recettes par la voie du mandat de l’article 1984 du code civil. Ces tiers cocontractants interviennent donc à la place du comptable public sans pour autant avoir été désignés régisseurs. Cette pratique a prospéré sans encadrement réglementaire »
(instruction budgétaire 17-0005 du 9 février 2017 ; certes applicable aux collectivités locales mais qui commente une disposition législative commune à l’Etat et aux collectivités locales)

Les mandats ainsi accordés par les comptables publics à des tiers pour le recouvrement de leurs recettes étaient favorablement accueillis par la Cour des comptes (voir par exemple : C. comptes, 24 octobre 1991, Société SUR, Revue du Trésor 1992 page 136 ; C. comptes, 9 juillet 1992, Compagnie des eaux de l’Ozone, Syndicat intercom- munal des eaux de Damazan-Buzet, Rec. C. comptes 71, La Revue du Trésor 1992 page 815 ;  voir aussi Michel Lascombe, Professeur à l’IEP de Lille, et Xavier Vandendriessche, Professeur à l’université Lille 2, La notion de recettes publiques, la gestion de fait et les contrats contenant un mandat financier, in AJDA 2009, p. 2401 ; voir aussi l’arrêt classique mais daté Cour des Comptes, 24 septembre 1987, Association Madine Accueil).

Hélas, le juge a mis fin à ces souplesses (CE, 13 février 2007, avis non contentieux n° 373788 et, surtout, CE, Section, 6 novembre 2009, Société Prest’action, req. n° 297877).

Cette jurisprudence a même été ensuite étendue par un TA aux fractions de redevance perçues en assainissement pour le délégant (dites dans le langage courant « surtaxes »), ce qui est tout de même discutable (TA Grenoble, 10 juillet 2014, Syndicat des copropriétaires de l’immeuble Les Glovettes et autres, req. n° 1003080-1104936).

Il en a résulté d’assez nombreuses gestions de fait même si les juges financiers, pour des opérations claires et achevées, a assez souvent considéré Il en résulte donc une gestion de fait, sauf manque d’intérêt pratique à déclarer une telle gestion de fait (voir par exemple circulaire n° 08-016-M0 du 1er avril 2008).

Au total, il en résulte :

  • qu’en principe, les comptables publics sont seuls chargés du recouvrement des créances publiques ;
  • mais que par exception, lorsqu’une loi le prévoit, ils peuvent confier un mandat pour le recouvrement de leurs créances (mandat stricto sensu ou régie de recettes) voire de leurs dépenses.

 

Notamment, l’article 22 du décret n° 2012-1246 du 27 novembre 2012 est venu préciser que, dans les cas et dans les conditions prévues par la loi, une personne morale de droit public pouvait, après avis du comptable assignataire, confier par convention de mandat la gestion d’opérations d’encaissement ou d’opérations de paiement à une autre personne morale de droit public.

Puis, l’article 40 de la loi n° 2014-1545 du 20 décembre 2014 est venu élargir la possibilité d’accorder des mandats.

Depuis cette loi n°2014-1545, l’article L. 1611-7-1 du CGCT prévoit qu’un contrat suffit dorénavant à porter habilitation du cocontractant pour percevoir des redevances de stationnement sans que la création d’une régie de recettes ne soit imposée, sous réserve d’un avis conforme du comptable public et d’un contrôle ponctuel :

« A l’exclusion de toute exécution forcée de leurs créances, les collectivités territoriales et leurs établissements publics peuvent, après avis conforme de leur comptable public et par convention écrite, confier à un organisme public ou privé l’encaissement :

« 1° Du produit des droits d’accès à des prestations culturelles, sportives et touristiques ;

« 2° Du revenu tiré des immeubles leur appartenant et confiés en gérance, ou d’autres produits et redevances du domaine dont la liste est fixée par décret ;

« 3° Du revenu tiré des prestations assurées dans le cadre d’un contrat portant sur la gestion du service public de l’eau, du service public de l’assainissement ou de tout autre service public dont la liste est fixée par décret.

« La convention emporte mandat donné à l’organisme d’assurer l’encaissement au nom et pour le compte de la collectivité territoriale ou de l’établissement public mandant. Elle prévoit une reddition au moins annuelle des comptes et des pièces correspondantes. Elle peut aussi prévoir le paiement par l’organisme mandataire du remboursement des recettes encaissées à tort.

« Les dispositions comptables et financières nécessaires à l’application du présent article sont précisées par décret. »

NB : pour l’Etat et ses établissements, voir l’article 40, non codifié, de la loi n° 2014-1545 du 20 décembre 2014 relative à la simplification de la vie des entreprises (II à IV).

Ce régime est précisé, pour les collectivités, par les articles D. 1611-32-1 et suivants du CGCT (Décret n°2015-1670 du 14 décembre 2015). L’article D. 1611-32-9 du CGCT précise les sommes concernées, y compris les redevances de stationnement des véhicules sur voirie et les  forfaits de post-stationnement…

S’y ajoutent les domaines déjà visés par la loi elle-même : produit des droits d’accès à des prestations culturelles, sportives et touristiques ; revenu tiré des immeubles appartenant aux collectivités (ou à leurs groupements) et confiés en gérance; revenu tiré des prestations assurées dans le cadre d’un contrat portant sur la gestion du service public de l’eau, du service public de l’assainissement.

Par ailleurs, les articles D. 1611-32-1 et suivants du CGCT précisent les modalités comptables et financières du mandat qui peut être accordé.

Donc, dans la plupart des cas, nous avons la solution pour l’avenir : faire une régie de recettes (solution en régie) ou de dépenses, voire une convention de mandat (au profit d’une personne publique ou privée ; voire en régie personnalisée).

… mais quid de l’existant ? Qu’en est-il en cas de contentieux en cours en matière de gestion de fait de ces deniers publics ?

En pareil cas, la bonne ligne de défense semble être de poser que l’article 40, non codifié, de la loi n° 2014-1545 du 20 décembre 2014, précitée, IV et V… vaut soit validation législative (certes qui eût mérité d’être plus explicite) soit au minimum vaille validation (en termes de régularité financière et non de légalité) des opérations financières de recouvrement des recettes de ce stationnement sur voirie, de surface. Et tel, fort heureusement, a été la position de la Chambre régionale des comptes de PACA dans un jugement particulièrement détaillé que voici :

CRC PACA, 19 août 2016, Commune de N., jugement n°2016-0042.

Voir aussi notre article écrit alors :

 

Une autre décision rendue par la Cour des comptes, cette fois, avait admis que manier des fonds publics (sommes à recouvrer à la suite d’un contentieux ou d’une transaction) via les comptes CARPA entre avocats n’est pas constitutif d’une gestion de fait.

Voici cette décision : Cour des comptes, 12 avril 2019, ONIAM, n° S2019-812

Voir notre article écrit alors :

 

Crédits photographiques : montage depuis une photo (collection personnelle), d’une part, et une photo d’Alexas Fotos (Pixabay)

 

II. Portée de ce nouvel arrêt du 30 décembre 2021

 

Mais cet 40 de la loi n° 2014-1545 du 20 décembre 2014 a aussi traité des conventions en cours :

« […]
« IV.-Les conventions de mandat en cours à la date de publication de la présente loi, conclues par les collectivités territoriales ou leurs établissements publics sur le fondement de l’article L. 1611-7 du code général des collectivités territoriales, sont rendues conformes aux dispositions du même article L. 1611-7, tel qu’il résulte du I du présent article, au plus tard lors de leur renouvellement.
« V.-Les conventions de mandat en cours à la date de publication de la présente loi, conclues par l’Etat, ses établissements publics, les groupements nationaux d’intérêt public, les autorités publiques indépendantes, les collectivités territoriales et leurs établissements publics, sont rendues conformes, selon le cas, aux dispositions de l’article L. 1611-7-1 du code général des collectivités territoriales, tel qu’il résulte du II du présent article, ou aux dispositions du III, au plus tard lors de leur renouvellement. »

Logiquement, le Conseil d’Etat ne pouvait, comme il vient de le faire, que constater que, par ce régime, « le législateur a notamment entendu que les conventions de mandat en cours à la date de publication de cette loi soient mises en conformité avec les conditions qu’elles édictent sans délai et, au plus tard, à la date de leur renouvellement. »

Dès lors, pose la Haute Assemblée, ces dispositions :

« ne sauraient avoir pour effet de donner une base légale à une convention de séquestre, conclue antérieurement à celles-ci, qui ne comporte aucune clause de renouvellement et n’a pas été mise en conformité avec les conditions qu’elles édictent.»

En l’espèce, il s’agissait d’une convention signée en 1998, entre Voies navigables de France (VNF) et la Chambre nationale de la batellerie artisanale (CNBA), tous deux soumis aux règles de la comptabilité publique en vertu de leurs statuts, avec création d’un fonds spécial destiné à garantir les engagements accordés par la Société de cautionnement mutuel de la batellerie artisanale (SCMBA) lors des opérations d’emprunts réalisées par les sociétaires de cette dernière auprès d’établissements bancaires.

A cette fin, une convention dite de séquestre avait été signé en 1999 entre la CNBA, VNF, les banques intéressées et un office notarial, chargé de contrôler l’exigibilité des dettes garanties, le respect des conditions initiales d’octroi de prêts et le respect de la procédure de mise en jeu de la garantie.

Le caissier de l’office notarial, également signataire de cette convention, avait été désigné comme tiers séquestre.

La Cour des comptes a relevé que ce caissier ne disposait pas d’une autonomie réelle dans le maniement des fonds puisqu’il ne pouvait agir que dans les limites étroites définies par la convention : les fonds étaient donc bien encore publics et devaient donc donner lieu encore à séparation entre ordonnateurs et comptables

Oui mais n’y avait-il pas convention de mandat ?

Peut-être, répond le Conseil d’Etat, mais encore eût-il alors fallu :

  1. se mettre à jour (sans délai en l’espèce faute de date de renouvellement) des exigences de l’article 40 de la loi du 20 décembre 2014
  2. appliquer les termes de ladite convention et notamment rendre compte, faute de quoi il y a gestion de fait

 

Or, aucune de ces deux conditions (cumulatives) n’a été respectée en l’espèce. Citons le Conseil d’Etat :

« 10. Pour écarter le moyen tiré de ce que, par les dispositions citées au point précédent, le législateur aurait donné une base légale au dispositif litigieux, la Cour des comptes a jugé, qu’en l’absence de toute clause de renouvellement, la convention de séquestre du 7 janvier 1999 aurait dû être mise sans délai en conformité avec la loi du 20 décembre 2014 et que, faute de l’avoir été, cette convention ne pouvait, même à titre rétroactif, être considérée comme ayant validé le dispositif litigieux. En statuant ainsi, la Cour n’a pas commis d’erreur de droit ni d’erreur de qualification juridique. Elle n’a pas non plus commis d’erreur de droit en jugeant, pour écarter la loi du 20 décembre 2014, que le tiers séquestre s’était en tout état de cause dépouillé de son titre légal en n’appliquant pas les termes de la convention du 7 janvier 1999.

« 11. En troisième lieu, la Cour des comptes a relevé, dans l’arrêt attaqué, qu’en tout état de cause, dans l’hypothèse où il serait admis que la convention de séquestre du 7 janvier 1999 habilitait l’office notarial à détenir et manier des fonds publics, le tiers séquestre s’était dépouillé de son titre légal en n’appliquant pas les termes de cette convention, d’une part en ne rendant aucun compte de l’emploi des fonds entre 2005 et 2016, alors que la reddition annuelle des comptes et des pièces justificatives les appuyant s’imposait, et, d’autre part, en ne reversant pas aux établissements publics les sommes récupérées à titre de recouvrement sur les débiteurs défaillants, pas davantage que les fonds correspondant à des garanties devenues sans objet. Elle a également relevé que ni VNF, ni la CNBA ne disposaient d’éléments permettant de connaître exactement les opérations effectuées sur leurs fonds placés sous séquestre. En statuant ainsi, la Cour des comptes n’a, au terme de ses constatations souveraines, ni dénaturé les stipulations de la convention de séquestre ou les autres pièces du dossier qui lui était soumis, ni entaché sa décision d’une contradiction de motifs. »

A noter : cette décision est intéressante aussi pour les questions de gestion de fait « de longue main » (i.e. par ceux qui ont manié ces fonds non pas directement, mais par le contrôle qu’ils ont sur ceux qui ont commis concrètement la gestion de fait, à savoir les comptable de fait « de brève main ». Pour deux exemples récents sur ce point, voir par exemple : CE, 28 septembre 2016, GCS des urgences de la Côte fleurie, n° 385903, publié au rec. ; Cour des comptes, arrêt d’appel, 16 novembre 2017, Gestion de fait présumée des deniers de la ville de Paris « Association La Ruche du 4 », n° S-2017-3657 ; arrêt lui-même censuré par CE, 26 juin 2019, n° 417386, publié au rec.).

Ce régime, pose le Conseil d’Etat, s’applique aux comptables de fait  « de longue main », alors même que cette personne aurait cessé ses fonctions peu après le début de la période non prescrite et que, pour l’essentiel de cette période, elle n’était plus en fonctions (ce qui est normal en gestion fait que l’on soit de brève ou de longue main, mais parfois on sauve ceux qui n’ont eu que de brèves périodes de ce type via « l’absence d’intérêt pratique » à déclarer la gestion de fait).

Conclusions :

  • les conventions de mandat pré-existantes à la loi de 2014 devaient être mises à jour au plus tard lors de leur renouvellement, mais faute de date de renouvellement, c’est « sans délai » (ou en tous cas à bref délai car le juge eût sans doute accepté un « délai raisonnable ») que cette mise à jour eût du être faite
  • ce régime s’applique aux conventions de séquestre et aux autres conventions proches 
  • ne pas respecter les termes essentiel de la convention de mandat, c’est encore commettre une gestion de fait
  • en ces domaines, le juge peut être sévère pour un comptable de fait de brève main, mais aussi pour un comptable de fait de longue main (application à ce dernier alors même qu’il aurait cessé ses fonctions peu après le début de la période non prescrite et que, pour l’essentiel de cette période, elle n’était plus en fonctions).

 

Source : CE, 30 décembre 2021, n°436340, à publier aux tables du rec. 

http://www.conseil-etat.fr/fr/arianeweb/CE/decision/2021-12-30/436340

 


 

MISE À JOUR AU 4 MARS 2024

 

RGP : gestion de fait insoluble ; sanction dissoluble… préjudice introuvable, amende improbable.
https://blog.landot-avocats.net/2024/03/04/rgp-gestion-de-fait-insoluble-sanction-dissoluble-prejudice-introuvable-amende-improbable/