Par un arrêt Mme D… c/ centre hospitalier d’Arpajon en date du 28 janvier 2022 (req. n° 458261 ; voir aussi l’arrêt du même jour Mme G. c/ ministre de la santé et des solidarités, req. n° 457879), le Conseil d’État a considéré que l’obligation pour un soignant d’être vacciné à peine d’être suspendu de ses fonctions prévue par la loi du 5 août 2021 n’est pas contraire à la Constitution. Plus particulièrement, les dispositions de cette loi ne méconnaissent ni le droit à la protection de la santé du corps humain et le droit à la dignité de la personne humaine, ni le principe d’égalité, ni le droit à l’emploi.
En l’espèce, par une décision du 8 septembre 2021, le directeur du centre hospitalier d’Arpajon a suspendu Mme D… de ses fonctions à compter du 15 septembre 2021 et jusqu’à la production d’un justificatif de vaccination ou de contre-indication à la vaccination.
Mme D… a alors demandé au Conseil d’État, en application de l’article 23-5 de l’ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 et à l’appui de son pourvoi dirigé contre l’ordonnance n° 2108975 du 25 octobre 2021 par laquelle le juge des référés du tribunal administratif de Versailles a rejeté sa demande de suspension de la décision du 8 septembre 2021, de renvoyer au Conseil constitutionnel la question de la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution des dispositions des articles 12 et 14 de la loi du 5 août 2021 relative à la gestion de la crise sanitaire.
Pour refuser de renvoyer la question prioritaire de constitutionnalité au Conseil constitutionnel, le Conseil d’État a écarté l’ensemble des trois moyens d’inconstitutionnalité soulevés par la requérante.
En premier lieu, en ce qui concerne le droit à la protection de la santé, l’inviolabilité du corps humain et le droit à la dignité de la personne humaine, les Conseil d’État estime que :
« 5. Ainsi que l’a jugé le Conseil constitutionnel dans sa décision n° 2015-458 QPC du 20 mars 2015, il est loisible au législateur de définir une politique de vaccination afin de protéger la santé individuelle et collective, ainsi que de modifier les dispositions relatives à cette politique de vaccination pour tenir compte de l’évolution des données scientifiques, médicales et épidémiologiques. Le droit à la protection de la santé garanti par le Préambule de la Constitution de 1946 n’impose pas de rechercher si l’objectif de protection de la santé que s’est assigné le législateur aurait pu être atteint par d’autres voies, dès lors que les modalités retenues par la loi ne sont pas manifestement inappropriées à l’objectif visé. «
« 6. En adoptant, pour l’ensemble des personnes exerçant leur activité dans les établissements de santé mentionnés à l’article L. 6111-1 du code de la santé publique, à l’exception de celles y effectuant une tâche ponctuelle, le principe d’une obligation vaccinale à compter du 15 septembre 2021, le législateur a entendu, dans un contexte de progression rapide de l’épidémie de Covid-19 accompagné de l’émergence de nouveaux variants et compte tenu d’un niveau encore incomplet de la couverture vaccinale de certains professionnels de santé, garantir le bon fonctionnement des services hospitaliers publics grâce à la protection offerte par les vaccins disponibles et protéger, par l’effet de la moindre transmission du virus par A… personnes vaccinées, la santé des malades qui y étaient hospitalisés.
« 7. Cette obligation vaccinale ne s’impose pas, en vertu de l’article 13 de la même loi du 5 août 2021, aux personnes qui présentent un certificat médical de contre-indication ainsi que, pendant la durée de sa validité, aux personnes disposant d’un certificat de rétablissement. Par ailleurs l’article contesté donne compétence, en son IV, au pouvoir réglementaire, compte tenu de l’évolution de la situation épidémiologique et des connaissances médicales et scientifiques et après avis de la Haute autorité de santé, pour suspendre cette obligation pour tout ou partie des catégories de personnes qu’elle concerne. Enfin, il ressort des pièces du dossier que la vaccination contre la Covid-19, dont l’efficacité au regard des deux objectifs rappelés au point 6. est établie en l’état des connaissances scientifiques, n’est susceptible de provoquer, sauf dans des cas très rares, que des effets indésirables mineurs et temporaires. Dans ces conditions, la requérante n’est pas fondée à soutenir que les dispositions qu’elle conteste, qui sont justifiées par une exigence de santé publique et ne sont pas manifestement inappropriées à l’objectif qu’elles poursuivent, portent atteinte à l’exigence constitutionnelle de protection de la santé garantie par le Préambule de la Constitution de 1946, à l’inviolabilité du corps humain et au principe constitutionnel de respect de la dignité de la personne humaine. »
En deuxième lieu, en ce qui concerne la méconnaissance du principe d’égalité, la Haute Assemblé considère que :
« 8. D’une part, les dispositions contestées s’appliquant de manière identique à l’ensemble des personnes qui exercent leur activité professionnelle au sein des établissements de santé, qu’elles fassent ou non partie du personnel soignant, la requérante ne saurait utilement soutenir qu’elles méconnaissent, pour ce motif, le principe d’égalité garanti par l’article 6 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen du 26 août 1789. Au surplus, compte tenu de la profession d’ergothérapeute exercée par Mme D…, les. dispositions attaquées ne sont, en tant qu’elles s’appliquent à des personnels hospitaliers non soignants, pas applicables au présent litige.
« 9. D’autre part, la circonstance que les dispositions contestées font peser sur les personnes exerçant une activité au sein des établissements de santé une obligation vaccinale qui n’est pas imposée, notamment, aux personnels des établissements scolaires et universitaires, constitue, compte tenu des missions des établissements de santé et de la vulnérabilité des patients qui y sont admis, une différence de traitement en rapport avec cette différence de situation, qui n’est pas manifestement disproportionnée au regard de l’objectif poursuivi. »
Enfin et en troisième lieu, en ce qui concerne le droit à l’emploi, le Conseil d’État juge que :
« 10. Aux termes du cinquième alinéa du Préambule de 1946 : “Chacun a le devoir de travailler et le droit d’obtenir un emploi (…)”.
« 11. Les dispositions contestées ne portent par elles-mêmes aucune atteinte au droit à l’emploi, notamment pour des personnes qui n’étaient pas encore employées dans un établissement public de santé à la date d’entrée en vigueur de la loi. S’agissant des personnes qui y étaient employées à cette date et qui refusent de se soumettre, en dehors des motifs prévus par la loi, à l’obligation vaccinale, elles prévoient non pas la rupture de leur contrat de travail ou la cessation de leurs fonctions, mais la suspension du contrat de travail ou des fonctions exercées jusqu’à ce que l’agent produise les justificatifs requis.
« 12. Dans ces conditions, contrairement à ce que soutient la requérante, les dispositions attaquées ont opéré une conciliation qui n’est pas manifestement déséquilibrée entre les exigences constitutionnelles qui découlent du droit à l’emploi et du droit à la protection de la santé, rappelé ci-dessus. »
Cet arrêt peut être consulté à partir du lien suivant :
https://www.conseil-etat.fr/fr/arianeweb/CE/decision/2022-01-28/458261
Voir également : https://www.conseil-etat.fr/fr/arianeweb/CE/decision/2022-01-28/457879