CE, 12 avril 2022, Société Arest, req. n°448946,mentionné aux tables.
Dans cet arrêt récent, le Conseil d’État est venu trancher l’épineuse question du délai applicable en matière de prescription dans le cadre d’une action (en responsabilité contractuelle) dirigée par le maître d’ouvrage contre le constructeur ou son sous-traitant.
Dans les années 2000, le département de la Vendée (maître d’ouvrage) a décidé d’entreprendre la construction d’un musée dénommé ” Historial de la Vendée ” sur le territoire de la commune des Lucs-sur-Boulogne. Pour parvenir à cette construction culturelle d’ampleur, plusieurs marchés publics ont dû être passés.
D’une part, la maîtrise d’œuvre a été confiée à un premier groupement conjoint en 2002 qui a par la suite été transféré en 2004 à un nouveau groupement constitué des sociétés P., A. et M.
D’autre part, plusieurs lots ont été conclus en 2004 pour la réalisation des travaux de ce musée. La société G a notamment été attributaire du lot n°5 relatif à la construction de la charpente métallique.
Malheureusement, la réalisation de cette charpente métallique ne s’est pas déroulée comme prévu… ! La société attributaire a dû financièrement faire face à plusieurs contretemps (surcoûts liés à la réalisation de plans d’exécution, de notes de calcul ainsi que ceux générés par la modification du plan constructif initial).
C’est ainsi qu’une bataille contentieuse a vu naître le jour et fait l’objet de plusieurs rebondissements avant de franchir les portes du Palais-Royal (contestation des projets de décomptes généraux, réclamation du versement d’un complément de rémunération, demande de désignation d’un expert auprès du juge des référés, action en responsabilité contractuelle contre les constructeurs ect…)
Dans un premier temps, le département de la Vendée a été condamné en 2011 par le tribunal administratif de Nantes à verser à la société attributaire le paiement d’une somme globale de 660. 218, 26 euros.
Estimant que ces manquements étaient exclusivement imputables au groupement de maîtrise d’œuvre, le département de la Vendée a à son tour engagé une action en responsabilité contractuelle devant ce tribunal afin qu’il soit condamné à lui rembourser l’intégralité de cette somme. Toutefois, sa demande de remboursement fut rejetée en 2019.
Le département de la Vendée a alors décidé de porter son action auprès de la cour administrative d’appel de Nantes qui lui donna gain de cause en 2020 !
Mais la société A. (membre de ce groupement) considérant que l’action du département de la Vendée était prescrite, s’est alors pourvue en cassation contre cet arrêt.
Dans le cadre de ce pourvoi, le Conseil d’Etat devait décider si l’action en responsabilité contractuelle du département de la Vendée contre les membres du groupement était régie par la prescription quinquennale (comme l’invoquait la société A) ou par la prescription décennale (comme le défendait le Département de la Vendée).
Avant de trancher ce débat juridique, le Conseil d’Etat est tout à bord venu poser le cadre juridique en la matière.
D’une part, en vertu de l’article 2224 du code civil (délai de prescription quinquennale de droit commun) : « Les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d’un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l’exercer. »
Ainsi,
« Le recours d’un constructeur contre un autre constructeur ou son sous-traitant relève de ces dispositions et se prescrit, en conséquence, par cinq ans à compter du jour où le premier a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l’exercer ».
D’autre part, en vertu de l’article 1792-4-3 du code civil (délai de prescription décennale) :
« En dehors des actions régies par les articles 1792-3, 1792-4-1 et 1792-4-2, les actions en responsabilité dirigées contre les constructeurs désignés aux articles 1792 et 1792-1 et leurs sous-traitants se prescrivent par dix ans à compter de la réception des travaux »
Par la suite, le Conseil d’Etat poursuit son analyse juridique en indiquant que :
« Ces dispositions (article 1792-4-3 du code civil), créées par la loi du 17 juin 2008 portant réforme de la prescription en matière civile, figurant dans une section du code civil relative aux devis et marchés et insérées dans un chapitre consacré aux contrats de louage d’ouvrage et d’industrie, ont vocation à s’appliquer aux actions en responsabilité dirigées par le maître de l’ouvrage contre les constructeurs ou leurs sous traitants. »
C’est sur le fondement de ces dispositions que le Conseil d’Etat confirme le raisonnement développé par la cour administrative d’appel de Nantes en écartant ainsi l’application du délai de prescription quinquennale de droit commun : « l’action en responsabilité contractuelle sur laquelle la cour administrative d’appel de Nantes s’est prononcée dans l’arrêt attaqué, était dirigée par le département de la Vendée, maître d’ouvrage, contre certains membres du groupement de maîtrise d’oeuvre, notamment la société Arest, ayant la qualité de constructeurs au sens des dispositions précitées de l’article 1792-4-3 du code civil applicable à une telle action »
et ce :
« alors même qu’elle ne concerne pas un désordre affectant la solidité de l’ouvrage ou le rendant impropre à sa destination. »
C’est ainsi que plus de 10 ans après les prémices de cette bataille contentieuse, le département de la Vendée obtient définitivement gain de cause devant le Conseil d’État (son action contentieuse enregistrée au greffe du tribunal administratif de Nantes le 28 février 2017 n’était par conséquent pas prescrite !)
*article rédigé avec la collaboration de Lucie Santini, stagiaire EFB