A l’occasion d’un litige sur le droit, ou non, d’accueillir des mineurs dans les sapeurs-pompiers volontaires, le Conseil d’Etat a précisé la valeur, en droit français, de toute une série de normes internationales relatives à l’enfance et/ou au travail

Sapeurs pompiers volontaires mineurs : l’interdiction du travail des enfants interdit-elle le volontariat ?
En réponse à cette question, le Conseil d’Etat a posé que l’engagement de mineurs âgés de plus de 16 ans comme sapeurs-pompiers volontaires (SPV) ne sapait ni la préambule de la Constitution de 1946, ni le droit international ou européen en ce domaine.
Au delà du cas des jeunes soldats du feu, la Haute Assemblée, à cette occasion, a posé que toute une série de normes internationales étaient dépourvues d’effet direct en droit français en ces domaines.

 

 

Comme le signalait le rapporteur public dans cette affaire, « aux côtés de 41 800 sapeurs-pompiers professionnels et 13 000 militaires, les corps de sapeurs-pompiers comptent 197 100 SPV, qui représentent donc une part prédominante de leurs effectifs

Pour diverses raisons (décrue du volontariat notamment), en novembre 2003, un décret avait avancé l’âge minimal pour être SPV (passant de 18 à 16 ans) et avait repoussé l’âge maximal pour être SPV (de 45 à 55 ans), ces dispositions figurant aujourd’hui à l’article R. 723-6 du CSI.

Le syndicat SUD (SUD SDIS national) a demandé au Premier ministre de les abroger : c’est ce recours que le  Conseil d’Etat a récemment, donc, rejeté.

Selon SUD, cette extension du volontariat aux mineurs sapait volontairement le droit national et le droit international contre le travail des enfants.

J’ignore si le fait même d’avoir fait ce recours peut être considéré, pour cet organisme, comme une preuve de ce qu’ils auraient perdu le Nord, vu l’importance du volontariat. Mais ce qui est certain, c’est que cela nous donne une utile boussole en la matière et en d’autres connexes. Car les questions posées mettent le feu à d’autres sujets que celui des sapeurs pompiers car c’est toute l’activité volontaire épaulant des professionnels qui est concernée.

Quelles étaient, selon SUD, les normes ainsi déboussolées ? Il y avait :

  • l’exigence constitutionnelle de protection de l’intérêt supérieur de l’enfant (10e alinéa du Préambule de la Constitution de 1946 ; voir par exemple — certes sur un autre sujet — la notion d’ « exigence de protection de l’intérêt supérieur de l’enfant », de la décision du Conseil constitutionnel n° 2018-768 QPC du 21 mars 2019, §5 et 6).
  • un principe général du droit (PGD) d’interdiction d’employer des travailleurs de moins de 18 ans à certaines catégories de travaux (et que l’on retrouve dans les disposition de l’article L. 4153-8 du code du travail et celles des articles L. 811-1 et L. 811-2 du code général de la fonction publique). Un tel PGD n’existe pas à ce jour formulé comme tel mais le droit de la fonction publique abonde en PGD protégeant telle ou telle catégories d’agents (voir par ex. CE, Ass., 8 juin 1973, Dame Peynet, n° 80232 ; CE, 26 octobre 2002, CCI de Meurthe-et-Moselle, n° 227868…).
  • l’article 7.2 de la charte sociale européenne révisée du 3 mai 1996 (mais dont le juge refuse l’effet direct).
  • l’article 3.1 de la convention n° 138 du 26 juin 1973 de l’Organisation internationale du travail (OIT ; là encore sans effet direct).
  • le droit de l’Union (article 7 de la directive 94/33/CE et article 7 de la directive 89/391/CEE).

NB dans cette longue liste je suis surpris de ne pas avoir vu la Convention de New York sur les droits de l’enfant. 

Or, et sans question préjudicielle à poser à la CJUE, le Conseil d’Etat a rejeté chacun de ces moyens :

  • Apport (confirmatif mais clair) principal : toute une série de normes internationales en matière d’enfance et/ou de travail 
    L’article 7 relatif au droit des enfants et des adolescents à la protection de la charte sociale européenne révisée signée à Strasbourg le 3 mai 1996, l’article 3 de la convention internationale du travail n° 138 concernant l’âge minimum d’admission à l’emploi, adoptée à Genève le 26 juin 1973 et l’article 3 de la convention internationale du travail n° 182 concernant l’interdiction des pires formes de travail des enfants et l’action immédiate en vue de leur élimination, adoptée à Genève le 17 juin 1999 laissent une marge d’appréciation aux Etats parties à ces conventions internationales et requièrent l’intervention d’actes complémentaires pour produire des effets à l’égard des particuliers. Elles sont, par suite, dépourvues d’effet direct.
    Sources antérieures en ce domaine, voir par exemple CE, Assemblée, 11 avril 2012, Groupe d’information et de soutien des immigrés et Fédération des associations pour la promotion et l’insertion par le logement, n° 322326, rec. p. 142 ; CE, 4 juillet 2012, Confédération française pour la promotion sociale des aveugles n° 341533, rec. p. 261; CE, 5 février 2020, Unicef France et autres et Conseil national des Barreaux, n° 428478 428826, rec. T. pp. 547-571-595-630 ; pour des cas d’applicabilité directe, notamment de certaines stipulations de la convention de New York, voir CAA Bordeaux, 17 décembre 2019, n° 19BX01772, CAA Nancy, 14 juin 2018, n° 17NC02497 et 18 mai 2018 (n° 17NC02554-17NC02555). Voir surtout CE, 26 juillet 2011, n° 335752 et CE, 27 octobre 2004, n° 252970…
    A comparer — par analogie et dans le même sens — avec la position de la Cour de cassation, chambre sociale statuant en formation plénière, 11 mai 2022, pourvois n° 21-14.490 et 21-15.247 : non application directe de l’article 24 de la Charte sociale européenne).
  • Respect en l’espèce du préambule de 1946.
    l’exigence de protection de l’intérêt supérieur de l’enfant (al. 10 et 11 du Préambule de la Constitution de 1946) s’applique naturellement en France sans condition, mais l’engagement de mineurs âgés de plus de seize ans comme sapeurs-pompiers volontaires ne méconnait pas cette règle, selon le Conseil d’Etat.
  • Contrôle en l’espèce d’un caractère de volontariat et contrôle opéré par le juge des garanties apportées aux jeunes SPV (notamment à l’aune de cette « exigence constitutionnelle de protection de l’intérêt supérieur de l’enfant » mais aussi au regard des exigences du droit de l’Union en la matière et notamment des deux directives précitées).
    Voici sur ce point un extrait du futur résumé des tables tel que préfiguré par le résumé de la base Ariane :

    • « En vertu des articles L. 723-1, L. 723-5, L. 723-6, L. 723-8, L. 723-13, R. 723-6, R. 723-7, R. 723-10, R. 723-15 et R. 723-16 du code de la sécurité intérieure (CSI), l’engagement de mineurs âgés de plus de seize ans comme sapeurs-pompiers volontaires, susceptibles d’exercer les mêmes missions, potentiellement dangereuses, que les sapeurs-pompiers volontaires majeurs, repose sur le volontariat et le bénévolat et nécessite, outre le choix volontaire du mineur, le consentement écrit de son représentant légal. Cet engagement est subordonné à des conditions d’aptitude physique et médicale, certifiée par un médecin après examen de l’intéressé. Il résulte en outre de l’article R. 723-10 que les sapeurs-pompiers volontaires mineurs doivent être encadrés en permanence, dans le cadre de leur participation à une opération d’incendie ou de secours, par un sapeur-pompier expérimenté. Les intéressés bénéficient aussi, avant toute participation à une activité opérationnelle, d’une formation adaptée dispensée tout au long d’une période probatoire qui ne peut être inférieure à un an et leur engagement opérationnel se fait de manière progressive au fur et à mesure de l’acquisition des compétences indispensables à leur sécurité. Ainsi, la participation des sapeurs-pompiers volontaires mineurs à des activités de lutte contre l’incendie ou de secours, potentiellement dangereuses, est assortie de garanties pour assurer leur sécurité et préserver leur santé. Dans ces conditions, eu égard à ce que prévoient les articles R. 723-6 et R. 723-10 du CSI, et eu égard au contenu et à la portée des autres dispositions législatives et réglementaires applicables, les articles R. 723-6 et R. 723-10 du CSI ne peuvent être regardés comme portant atteinte à l’exigence constitutionnelle de protection de l’intérêt supérieur de l’enfant. »

Source : Conseil d’État, 19 avril 2022, n° 451727, à publier au recueil Lebon

 

Voir ici les conclusions de M. Laurent Cytermann, Rapporteur public :

 

 

Photo : coll. personnelle avec tous mes remerciements à la brigade de sapeurs-pompiers de Saint-Ambroix (30)