Pour les très grosses opérations d’aménagement financés par l’Etat, le législateur a posé l’obligation de réaliser préalablement une évaluation socio-économique préalable et, surtout, d’effectuer une contre-expertise indépendante du projet afin de valider son intérêt public.
Ces différentes obligations résultent de l’article 17 de la loi n° 2012-1588 du 31 décembre 2012, un décret d’application en date du 23 décembre 2013 ayant précisé que l’obligation de réaliser cette contre-expertise s’appliquait aux projets dont le coût franchissait le seuil de 100 000 000 € et représentait au moins 5 % HT des investissements.
Ce sont ces différents textes qui ont été invoqués par les auteurs d’un recours dirigé contre la déclaration d’utilité publique modificative portant sur une partie du tracé du métro du Grand Paris actuellement en cours de construction.
En effet, parmi les nombreux arguments soulevés, figurait celui de l’absence de contre-expertise dans le dossier soumis à enquête publique.
Cet argument a été écarté par le Conseil d’Etat, mais au terme d’un raisonnement comportant plusieurs paliers.
Tout d’abord, le Conseil d’Etat a précisé (et c’est là l’apport essentiel de sa décision), que l’obligation de réaliser la contre-expertise susvisée portait, non seulement sur les projets dont le coût excède 100 000 000 €, mais aussi sur ceux qui les modifie :
“L’obligation de contre-expertise prévue par ces dernières dispositions trouve à s’appliquer non seulement pour un projet dont le montant de financement public dépasse les seuils ainsi fixés, mais aussi, en cas de modification d’un projet déjà autorisé, soit lorsque la modification entraîne un dépassement des seuils de financement public prévus par cette disposition, soit lorsque la modification apportée porte elle-même sur des montants supérieurs à ces seuils“.
Dans le cadre de la procédure de modification de la DUP initiale portant sur ce projet qui dépassait déjà le seuil précité, il fallait donc organiser une nouvelle contre-expertise, ce qui fut fait :
“Il ressort des pièces du dossier que le projet de ligne 18 a déjà donné lieu à la contre-expertise prévue par cette disposition lors de la déclaration d’utilité publique prononcée par le décret du 28 mars 2017. Toutefois, les modifications apportées au projet par la déclaration d’utilité publique modificative du 14 janvier 2021 entraînent un accroissement du coût des besoins en financement public supérieur au seuil de 100 000 000 euros HT, accroissement qui représente au moins 5 % du montant total hors taxe du projet d’investissement. Il était dès lors nécessaire de procéder, comme cela a été fait, à une nouvelle contre-expertise”.
Mais cette nouvelle contre-expertise ne figurait pas dans le dossier soumis à enquête publique de sorte que le public n’en avait pas eu connaissance lorsqu’il il lui était possible de présenter ses observations auprès du Commissaire enquêteur.
C’est ici que la jurisprudence Danthony intervient pour sauver la DUP modificative et remettre sur les rails, si l’on ose dire, le dossier :
“Les inexactitudes, omissions ou insuffisances d’une enquête publique ne sont susceptibles de vicier la procédure, et donc d’entraîner l’illégalité de la décision prise à l’issue de cette enquête publique, que si elles ont pu avoir pour effet de nuire à l’information complète de la population ou si elles ont été de nature à exercer une influence sur la décision de l’autorité administrative. S’il n’est pas contesté que la contre-expertise et l’avis du secrétaire général pour l’investissement n’ont pas été versés au dossier d’enquête, il ressort des pièces du dossier que l’analyse socio-économique qui figurait dans le dossier d’enquête indiquait clairement les différentes évolutions par rapport aux projections faites initialement et tenait compte et répondait aux observations faites dans le cadre de la contre-expertise et par le secrétaire général pour l’investissement. Dans ces conditions, l’absence de la contre-expertise et de l’avis du secrétaire général pour l’investissement dans le dossier d’enquête n’a pas été de nature à nuire à l’information du public ni à exercer une influence sur la décision de l’autorité administrative”.
Même si l’un des dossiers d’enquête publique est incomplet, la procédure d’aménagement du Grand Paris peut donc poursuivre son chemin.
Ref. : CE, 22 juin 2022, Association France Nature environnement Ile-de-France et autres, req., n° 450701. Pour lire l’arrêt, cliquer ici