Coup d’arrêt de la Cour de cassation : les exploitants ICPE ne peuvent plus « refiler la patate chaude » de la dépollution de site à leur prochain

Aerial view of Industrial Site in North Vancouver, British Columbia, Canada.

En droit des installations classées pour la protection de l’environnement (ICPE), il est une étape de la vie des ICPE qui est des plus complexe à gérer : celle des fin, changement ou successions d’activités. L’exploitant a une obligation de remise en état qui doit non seulement éviter des atteintes environnementales mais permettre (en simplifiant) l’usage futur du site conformément a sa destination (articles R.512-39 et suivants du code de l’environnement pour les ICPE soumises à autorisation, R.512-46-24 bis et suivants pour celles soumises à enregistrement et R.512-66-1 et suivants pour celles soumises à déclaration). Dans tous les cas le Préfet peut prendre par arrêté des prescriptions qu’il estime nécessaires pour protéger les intérêts environnementaux mentionnés à l’article L.511-1 du code de l’environnement.

Nombreux sont les exploitants qui tentent encore de passer entre les mailles du filet, mais sous l’impulsion des juges, les mailles rétrécissent à vue d’œil. Un arrêt de la Cour de cassation du 11 mai 2022 en est la parfaite illustration (Civ 3e, 11 mai 2022, n°21-16.348).

En l’espèce, une société bailleresse d’un terrain a assigné la société locatrice exploitante d’une installation ICPE sous autorisation au paiement des travaux de nettoyage et de remise en état du site.

En effet, à la suite de dépôt en préfecture d’un dossier de cessation d’activité conformément aux articles R. 512-39-1 et suivants du code de l’environnement, la DREAL a conclu à la nécessité de réaliser des travaux pour permettre la réutilisation du site pour un usage industriel.

De cette obligation, l’exploitant a tenté de s’en défaire en jouant sur la notion d’arrêt définitif évoqué à l’article L. 512-6-1 du code de l’environnement(« lorsqu’une installation autorisée avant le 1er février 2004 est mise à l’arrêt définitif, son exploitant place son site dans un état tel qu’il ne puisse porter atteinte aux intérêts mentionnés à l’article L. 511-1 et, le cas échéant, à l’article L. 211-1 […]”) et de considérer que la remise en état n’avait lieu qu’en pareille situation. Or, dans l’affaire concernée, le bailleur avait manifesté l’intention de reprendre l’exploitation par un tiers lors de réunions avec la Préfecture et la DREAL. L’exploitant argue donc qu’il ne s’agit pas d’une mise à l’arrêt définitif au sens de l’article précité et de ce fait, ne peut être contraint au paiement des travaux de dépollution du site.

Mais c’était sans compter sur le courant juridique actuel et la lecture stricte de la Cour de Cassation concernant les obligations incombant aux exploitants ICPE. Elle profite donc du cas en l’espèce pour clarifier plusieurs points. Le premier, et non des moindre, la notion d’arrêt définitif :

“ L’intention du propriétaire de reprendre l’exercice de son activité industrielle étant sans incidence sur l’obligation légale particulière de mise en sécurité et remise en état du site pesant sur le dernier exploitant dans l’intérêt général de protection de la santé ou de la sécurité publique et de l’environnement, la cour d’appel a exactement déduit de ces seuls motifs que l’obligation de remettre le site en état s’imposait au locataire exploitant ayant mis l’installation à l’arrêt définitif.” (Point 9 de la décision).

Qu’importe donc la reprise ultérieure du site (y compris pour une activité similaire, ce qui était le cas en l’espèce), la cessation d’activité par l’exploitant vaut arrêt définitif au sens de la réglementation ICPE et de ce fait, obligation de remise en état à ses frais.

Autre point, sûrement aux fins d’inciter les exploitants à ne pas faire traîner en longueur la réalisation desdits travaux, la Cour valide la demande d’une indemnité d’occupation, y compris si le bien est de nouveau loué, tant que l’exploitant n’a pas effectué les mesures de mise en sécurité et de remise en état qui lui incombaient et ce,  jusqu’à la date du procès-verbal de récolement établi par l’administration en application de l’article R. 512-39-3, III, du code de l’environnement.

A noter toutefois qu’en soutien de sa décision, la Cour s’appuie sur l’arrêté préfectoral de mise en demeure subordonnant la reprise d’une nouvelle exploitation à l’accomplissement de nombreux travaux.

Relevons enfin que le recours a été porté devant la juridiction judiciaire à fin d’indemnisation. Bien entendu cela ne présage aucunement des issues d’un éventuel contentieux qui aurait pu être porté par l’exploitant contestant les modalités de l’arrêté de remise en état devant les juridictions administratives.

Article rédigé avec Laura Lattanzi, juriste.