Jurisprudence Peyrot : la victoire d’un mort-vivant juridique

Un contrat entre deux personnes privées ne sera que rarement de droit public.

Au nombre des exceptions, était la jurisprudence Peyrot, où l’on allait chercher si le contrat entre personnes privées n’était pas d’une de ses substances, de ces matières, relevant par nature du monde public. Cette jurisprudence Peyrot n’existe plus depuis 2015. Certes. 

Quoique.

Car une autre de ces exceptions demeure : c’est celle où une de ces deux personnes privées agit au nom et pour le compte d’une personne publique (contrat de mandat, pour schématiser). Intellectuellement, c’est une autre chose que la substance même de la jurisprudence Peyrot. 

Sauf que, décision après décision, le juge va appliquer cette jurisprudence sur le contrat de mandat en.. se demandant si dans les stipulations en cause se retrouve la nature même des missions relevant de la personne publique, et en pareil cas, il va dire qu’il y a mandat. 

Ce qui était le mode d’emploi de la jurisprudence Peyrot. Juridiquement morte et enterrée. Mais qui pratiquement, et post mortem, a contaminé par son modus operandi une autre catégorie d’exception (comme ici dans le génialissime Ubik).
Un zombie j’vous dis. 

 

 

I. Des exceptions formant des catégories déjà peu étanches entre elles

 

Un litige entre personnes privées relève certes, usuellement, du juge judiciaire. Mais ceux-ci peuvent revenir au juge administratif :

II. La mort de Peyrot

 

Et puis il y avait les cas où le droit public s’imposait parce qu’on se trouvait dans des domaines relevant par nature du public : cette dernière exception était celle, bien connue, de la traditionnelle jurisprudence TC, 8 juillet 1963, Société entreprise Peyrot, n° 01804). Mais cette dérogation n’était pas si éloignée que cela de la notion de mandat susévoquée. 

Cette dernière jurisprudence Peyrot a été morte et enterrée par la décision du tribunal des conflits (TC), 9 mars 2015, Rispail, n° 3984, GAJA 23e éd. n° 112) dont le résumé aux tables commence ainsi :

«Une société concessionnaire d’autoroutes qui conclut avec une autre personne privée un contrat ayant pour objet la construction, l’exploitation ou l’entretien de l’autoroute ne peut, en l’absence de conditions particulières, être regardée comme ayant agi pour le compte de l’Etat de sorte que les litiges nés de l’exécution de ce contrat ressortissent à la compétence des juridictions de l’ordre judiciaire.»

Avec une petite phase intermédiaire, un intervalle d’ajustement pour cause de sécurité juridique (ah si seulement le juge faisait toujours ainsi ! voir par exemple ici CE, 21 octobre 2016, CC du Val de Drôme, n° 390052)  :

« Toutefois, la nature juridique d’un contrat s’appréciant à la date à laquelle il a été conclu, ceux qui l’ont été antérieurement par une société concessionnaire d’autoroutes sous le régime des contrats administratifs demeurent régis par le droit public et les litiges nés de leur exécution relèvent des juridictions de l’ordre administratif.

« Dès lors, il appartient à la juridiction administrative de connaître de la demande indemnitaire formée par la personne privée cocontractante à la suite de la résiliation du contrat litigieux ».

Par une décision en date du 11 décembre 2017, le Tribunal des conflits (TC) a ensuite, ainsi, jugé que les contrats de travaux passés par un concessionnaire dans le cadre d’une concession d’aménagement sont par défaut des contrats de droit privé.

Source : TC, 11 décembre 2017, n° 4103, précité, à consulter ici.  Voir notre article d’alors : Concession d’aménagement : le juge judiciaire compétent en cas de conflit entre l’aménageur et les constructeurs 

 

III. Le retour du mort-vivant (dans la peau de son voisin)

 

Le tribunal des conflits :

 

Il est amusant de noter que doit être opérée une distinction entre :

    • les cas de contrat public entre personnes privées pour cause de mandat, dont la catégorie demeure
    • les cas où il y a contrat public entre deux personnes privées en raison de la nature des missions confiées… qui était la jurisprudence Peyrot… et qui est censée ne plus exister

SAUF que pour voir s’il y a mandat, au titre de la jurisprudence 323594 précitée, ou de celle C4247 présentement commentée… le juge va chercher si ce contrat entre personnes privées ne relevait pas des misions mêmes du public, auquel cas le prestataire de la personne publique sera (ne sera que) un mandataire. Ce qui revient à chercher le contenu même de la mission publique comme dans la jurisprudence Peyrot.

A ce titre, morte, mais ressuscitée sous d’autres formes, Peyrot est un mort-vivant du droit administratif. Un zombie de la jurisprudence. Mais un mort qui survit en ayant contaminé son voisin (j’y reviens ; voir ici). Sauf à penser que la distinction entre ces deux catégories, que l’on retrouve dans presque tous les manuels et dans les formulations jurisprudentielles, était un peu artificielle ab initio. 

Bref, le juge doit chercher ce qu’il reste, ou non, de purement public dans un contrat entre personnes privées. Rechercher l’essence même du public égaré enter des mains privées, voici un joli programme.

Mais cette recherche de l’essence du public perdu dans un contrat entre personnes privées ne sera que rarement fructueuse pour le juge administratif. Ainsi par exemple ne trouve-t-on pas trace de cette nature publique dans les « contrats passés par le titulaire de la concession pour la réalisation des travaux de rénovation du balisage lumineux des pistes de l’aérodrome ».

Par suite, il y a compétence du juge judiciaire pour connaître des litiges y afférents.

Source : Tribunal des conflits (TC), 4 juillet 2022, n° C4247 (ou C-4247 ou 4247, selon les éditeurs), à publier au recueil Lebon

 

 

Voir aussi en vidéo (avec un angle un brin plus large que l’article ci-avant) :

Voici tout d’abord ce sujet traité dans sa globalité, avec un brin plus de recul que dans l’article ci-après (II), via cette vidéo de 9 mn 37 :

https://youtu.be/q6EIP_TXMXw