Un contrat entre deux personnes privées ne sera que rarement de droit public.
Au nombre des exceptions, était la jurisprudence Peyrot, où l’on allait chercher si le contrat entre personnes privées n’était pas d’une de ses substances, de ces matières, relevant par nature du monde public. Cette jurisprudence Peyrot n’existe plus depuis 2015. Certes.
Quoique.
Car une autre de ces exceptions demeure : c’est celle où une de ces deux personnes privées agit au nom et pour le compte d’une personne publique (contrat de mandat, pour schématiser). Intellectuellement, c’est une autre chose que la substance même de la jurisprudence Peyrot.
Sauf que, décision après décision, le juge va appliquer cette jurisprudence sur le contrat de mandat en.. se demandant si dans les stipulations en cause se retrouve la nature même des missions relevant de la personne publique, et en pareil cas, il va dire qu’il y a mandat.
Ce qui était le mode d’emploi de la jurisprudence Peyrot. Juridiquement morte et enterrée. Mais qui pratiquement, et post mortem, a contaminé par son modus operandi une autre catégorie d’exception (comme ici dans le génialissime Ubik).
Un zombie j’vous dis.
I. Des exceptions formant des catégories déjà peu étanches entre elles
Un litige entre personnes privées relève certes, usuellement, du juge judiciaire. Mais ceux-ci peuvent revenir au juge administratif :
- en cas d’association transparente (voir par exemple CE, 21 mars 2007, 281796, Publié au recueil Lebon).
- si la loi le prévoit (pour les achats obligatoires d’électricité, voir TC, 13 décembre 2010, C-3800, rec. 592) ; contrats comportant occupation du domaine public si le cocontractant est concessionnaire de service public (Sur le cas des litiges entre personnes privées au titre de conventions de sous-occupations domaniales pouvant elles-aussi relever du juge judiciaire voir TC, 14 mai 2012, Mme G. c/ Société d’exploitation sports et évènements de Paris (SESE) et Ville de Paris, n° 3836 et CAA Nancy, 9 février 2017, n° 16NC00397, SARL Salaisons Muller-Weber, voir ici. Voir notre article : Un litige, relatif à une occupation domaniale (marchés de Noël), entre un office de tourisme associatif non transparent et une personne privée… peut ne pas relever du juge administratif ; voir sur le maintien de la possibilité pour des personnes privées d’être gestionnaires d’ouvrages publics (notion à ne pas confondre avec celle de domaine public…) : Cour de cassation, civile, Chambre commerciale, 20 septembre 2017, 15-28.812, Publié au bulletin ; voir notre article : Quand un ouvrage d’une personne privée peut-il être qualifié d’ouvrage public ? ). Voir aussi TC, 11 avril 2022, n°4241 (ou C4241 ou C-4241). Voir aussi TC, 4 novembre 2019, n° C4167.
- si le contrat est public (marché public par exemple par qualification de la loi) ou est l’accessoire d’un contrat de droit public (CE, 30 octobre 1972, rec. 630 : TC, 8 juillet 2013, C3906, rec. 371) ou si le litige est difficilement détachable d’un litige de marché public. C’est ainsi que demeure un bloc de compétence administrative pour tous les litiges ainsi nés de l’exécution d’un marché de travaux publics dont une personne publique sauf contrat de droit privé entre les parties, en tous cas quand il peut y avoir des subrogations : TC, 10 janvier 2022, n° C4231 ; voir ici notre article).
Mais par exemple les contrats des SEML et des SPL sous l’empire de l’ordonnance de 2005 ou les contrats conclus par ces sociétés en tant que cessionnaires de ZAC avec des acteurs privés, ne seront que rarement des contrats de droit public relevant du juge administratif (voir TC, 7 février 2022, n° C4233 ; voir ici notre article ; TA Rennes, 14 octobre 2021, n° 1804303. Cf. notre article ici).
- ou si l’une des personnes privées s’avère mandataire d’une personne publique, ou si elle agit au nom et pour le compte de celle-ci (ce qui est, ou n’est pas, la même chose selon les auteurs ; pour une séparation de ces deux catégories, voir par exemple M. J.-C. Ricci, Droit administratif, Hachette, 8e éd. 2013 ; le GAJA précité opère aussi cette distinction p. 953 de la 23e éd., alors même qu’agir au nom et pour le compte d’autrui reste tout de même ce qui définit un mandat…).
Voir en tous cas pour ces hypothèses : TC, 23 sept. 2002, Stés Sotrame et Métalform c/ G.I.E. SESAM-Vitale, C3300 ; TC, 7 juillet 1975, 02013…).
Reste que cette notion ne sera appréciée que restrictivement, désormais, par le juge administratif : voir TC, 11 décembre 2017, n° 4103, à consulter ici. Voir notre article d’alors : Concession d’aménagement : le juge judiciaire compétent en cas de conflit entre l’aménageur et les constructeurs . Voir aussi TA Rennes, 14 octobre 2021, n° 1804303(voir ici notre article).
Ces catégories ne sont pas totalement étanches bien sûr. Pour nombre de groupements de commande mixtes, ou plutôt parfois le contrat sera privé, et parfois il sera public.. et dans ce dernier cas, ce sera soit parce qu’on passe un marché public (contrat de droit public par qualification législative) en cas de contrat unique, soit parce s’il y a mandat. Voir :
II. La mort de Peyrot
Et puis il y avait les cas où le droit public s’imposait parce qu’on se trouvait dans des domaines relevant par nature du public : cette dernière exception était celle, bien connue, de la traditionnelle jurisprudence TC, 8 juillet 1963, Société entreprise Peyrot, n° 01804). Mais cette dérogation n’était pas si éloignée que cela de la notion de mandat susévoquée.
Cette dernière jurisprudence Peyrot a été morte et enterrée par la décision du tribunal des conflits (TC), 9 mars 2015, Rispail, n° 3984, GAJA 23e éd. n° 112) dont le résumé aux tables commence ainsi :
«Une société concessionnaire d’autoroutes qui conclut avec une autre personne privée un contrat ayant pour objet la construction, l’exploitation ou l’entretien de l’autoroute ne peut, en l’absence de conditions particulières, être regardée comme ayant agi pour le compte de l’Etat de sorte que les litiges nés de l’exécution de ce contrat ressortissent à la compétence des juridictions de l’ordre judiciaire.»
Avec une petite phase intermédiaire, un intervalle d’ajustement pour cause de sécurité juridique (ah si seulement le juge faisait toujours ainsi ! voir par exemple ici CE, 21 octobre 2016, CC du Val de Drôme, n° 390052) :
« Toutefois, la nature juridique d’un contrat s’appréciant à la date à laquelle il a été conclu, ceux qui l’ont été antérieurement par une société concessionnaire d’autoroutes sous le régime des contrats administratifs demeurent régis par le droit public et les litiges nés de leur exécution relèvent des juridictions de l’ordre administratif.
« Dès lors, il appartient à la juridiction administrative de connaître de la demande indemnitaire formée par la personne privée cocontractante à la suite de la résiliation du contrat litigieux ».
Par une décision en date du 11 décembre 2017, le Tribunal des conflits (TC) a ensuite, ainsi, jugé que les contrats de travaux passés par un concessionnaire dans le cadre d’une concession d’aménagement sont par défaut des contrats de droit privé.
Source : TC, 11 décembre 2017, n° 4103, précité, à consulter ici. Voir notre article d’alors : Concession d’aménagement : le juge judiciaire compétent en cas de conflit entre l’aménageur et les constructeurs
III. Le retour du mort-vivant (dans la peau de son voisin)
- rappelle qu’une personne morale de droit privé qui, ayant obtenu de l’État la concession d’un aérodrome, est chargée de l’exploitation de celui-ci et de la fourniture du service aéroportuaire ne saurait être regardée par défaut comme un mandataire de l’État.
- que ce ne sera le cas (il n’y aura mandat) que s’il résulte des stipulations qui définissent la mission du concessionnaire ou d’un ensemble de conditions particulières prévues pour l’exécution de celle-ci que la concession doit en réalité être regardée, en partie ou en totalité, comme un contrat de mandat, par lequel l’État demande seulement à son cocontractant d’agir en son nom et pour son compte, notamment pour conclure avec d’autres personnes privées les contrats nécessaires.
On rappellera que sur ce point, nous sommes dans la confirmation pure et simple (mais à contrario) de CE, 3 juin 2009, Société Aéroports de Paris, n° 323594, rec. p. 216 où le juge posait que « même passée entre deux personnes privées (Aéroport de Paris et la Société Brinks), le marché de service de prestations de sûreté aéroportuaire est un contrat de droit public dès lors, ainsi qu’il découle des articles L. 213-2 et L. 251-2 du code de l’aviation civile, que la mission d’inspection et de filtrage des passagers, des personnels et des bagages que doit exécuter la société cocontractante est réalisée pour le compte de l’Etat et sous son autorité dans le cadre de son activité de police administrative des aérodromes.»
Il est amusant de noter que doit être opérée une distinction entre :
-
- les cas de contrat public entre personnes privées pour cause de mandat, dont la catégorie demeure
- les cas où il y a contrat public entre deux personnes privées en raison de la nature des missions confiées… qui était la jurisprudence Peyrot… et qui est censée ne plus exister
SAUF que pour voir s’il y a mandat, au titre de la jurisprudence 323594 précitée, ou de celle C4247 présentement commentée… le juge va chercher si ce contrat entre personnes privées ne relevait pas des misions mêmes du public, auquel cas le prestataire de la personne publique sera (ne sera que) un mandataire. Ce qui revient à chercher le contenu même de la mission publique comme dans la jurisprudence Peyrot.
A ce titre, morte, mais ressuscitée sous d’autres formes, Peyrot est un mort-vivant du droit administratif. Un zombie de la jurisprudence. Mais un mort qui survit en ayant contaminé son voisin (j’y reviens ; voir ici). Sauf à penser que la distinction entre ces deux catégories, que l’on retrouve dans presque tous les manuels et dans les formulations jurisprudentielles, était un peu artificielle ab initio.
Bref, le juge doit chercher ce qu’il reste, ou non, de purement public dans un contrat entre personnes privées. Rechercher l’essence même du public égaré enter des mains privées, voici un joli programme.
Mais cette recherche de l’essence du public perdu dans un contrat entre personnes privées ne sera que rarement fructueuse pour le juge administratif. Ainsi par exemple ne trouve-t-on pas trace de cette nature publique dans les « contrats passés par le titulaire de la concession pour la réalisation des travaux de rénovation du balisage lumineux des pistes de l’aérodrome ».
Par suite, il y a compétence du juge judiciaire pour connaître des litiges y afférents.
Voir aussi en vidéo (avec un angle un brin plus large que l’article ci-avant) :
Voici tout d’abord ce sujet traité dans sa globalité, avec un brin plus de recul que dans l’article ci-après (II), via cette vidéo de 9 mn 37 :
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