De la détermination du point de départ de la prescription de l’action en responsabilité contractuelle du constructeur pour faute assimilable à une fraude ou un dol  

Par un arrêt en date du 10 octobre 2022 (CE, 7-2 chr, 10 oct. 2022, n° 454446), mentionné aux tables du recueil Lebon), le Conseil d’État, statuant en formation de chambres réunies, a clarifié les modalités d’application dans le temps du délai de prescription applicable à l’action en responsabilité contractuelle du constructeur pour faute assimilable à une faute ou un dol.

L’on doit en effet considérer cet arrêt comme une déclinaison parmi d’autres des problématiques relatives aux modifications apportées par la loi du 17 juin 2008 réformant le droit de la prescription, en remplaçant en matière d’action réelles et personnelles l’ancien délai de prescription trentenaire par un nouveau délai de prescription quinquennale.

En l’espèce, il s’agissait d’une action en réparation de préjudices subis du fait de malfaçons affectant les balcons d’un ensemble immobilier dont est propriétaire l’office public de l’habitat (OPH) Seine Ouest Habitat, visant à la condamnation in solidum la société E. ainsi que son assureur, ainsi que les sociétés A. et S. et leurs assureurs. Cette demande avait été formulée sur le fondement de la responsabilité pour faute assimilable à une faute ou un dol.

Ces malfaçons avaient été constatées par deux expertises, dont les rapports ont été remis respectivement en 2007 et en 2015. Un balcon s’était effondré au 7e étage d’un immeuble, emportant dans sa chute l’ensemble des balcons inférieurs. Conséquemment, un arrêté de péril imminent avait été pris par le maire d’Issy-les-Moulineaux, prescrivant aux propriétaires des immeubles concernés divers mesures conservatoires.

En première instance, le tribunal administratif a par un jugement du 16 octobre 2018 condamné la société E. au versement à l’OPH Seine Ouest Habitat d’une somme en réparation des préjudices subis du fait des malfaçons. Par la suite, la cour administrative d’appel de Versailles a rejeté l’appel formé par la société E.

Il faut souligner ici que le point de divergence entre la cour administrative d’appel et le Conseil d’État a résidé dans le choix de la base textuelle servant de base à l’application de la prescription.

Après un rappel des faits, le Conseil d’État entame sa démonstration par la mention des deux fondements textuels servant de base au droit de la prescription des actions réelles et personnelles.

D’une part, la prescription trentenaire de l’article 2262 du code civil, dans sa rédaction applicable jusqu’à l’entrée en vigueur de la loi du 17 juin 2008. Aux termes de cet article, « toutes les actions, tant réelles que personnelles, sont prescrites par trente ans, sans que celui qui allègue cette prescription soit obligé d’en rapporter un titre ou qu’on puisse lui opposer l’exception déduite de la mauvaise foi. »

D’autre part, la prescription quinquennale de l’article 2224 du code civil, dans sa rédaction issue de la loi du 17 juin 2008. Aux termes de cet article, « les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d’un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l’exercer».

Le deuxième temps du raisonnement du Conseil d’État applique cette logique générale d’application de la loi dans le temps à l’action en responsabilité du constructeur pour faute assimilable à une fraude ou un dol.

Ainsi,

« s’il résulte de ces dispositions que depuis l’entrée en vigueur de la loi du 17 juin 2008, les actions fondées sur la responsabilité pour faute assimilable à une fraude ou à un dol sont prescrites par cinq ans à compter de la date à laquelle le maître d’ouvrage connaissait ou aurait dû connaître l’existence de cette faute, par application des dispositions de l’article 2224 du code civil, elles étaient régies, jusqu’à l’entrée en vigueur de cette loi, par la prescription trentenaire qui courait à compter de la manifestation du dommage. »

L’on peut rappeler ici la jurisprudence antérieure, pour laquelle «l’expiration du délai de l’action en garantie décennale dont le maître de l’ouvrage dispose […] ne décharge pas les constructeurs de la responsabilité qu’ils peuvent encourir, en cas de fraude ou de dol, dans l’exécution de leur contrat et qui n’est soumise qu’à la prescription trentenaire édictée par l’article 2262 du code civil ». (Cf. CE, Section, 24 mai 1974, Société Paul Millet et Cie, n°s 85939 86007, p. 310 ; CE, 26 novembre 2007, Société Les Travaux du Midi, n° 266423, p. 450.)

La cour administrative d’appel avait estimé que le point de départ de la prescription de l’action fondée sur la responsabilité contractuelle pour faute assimilable à une fraude ou à un dol était la date à laquelle l’établissement avait eu connaissance du caractère dolosif de la faute du constructeur, ce qui correspondait au dépôt du rapports d’expertise le 20 mars 2015. C’était en d’autres termes, employer le critère de détermination du point de départ de la prescription issu de l’article 2224.

Cependant, une telle application pour ainsi dire rétroactive de l’article 2224 n’a pas été retenue par le Conseil d’État. Bien plutôt, celui-ci affirme qu’

« en  fixant ainsi le point de départ de la prescription de cette action à la date à laquelle la victime pouvait être regardée comme ayant eu connaissance du caractère dolosif du dommage, alors que pour les faits survenus avant l’entrée en vigueur de la loi de 2008, ce point de départ est, ainsi qu’il a été dit au point 3, la date de la manifestation du dommage, la cour administrative d’appel de Versailles a commis une erreur de droit. »

De la sorte, les juges du Palais-Royal subordonnent logiquement la détermination du régime applicable à l’antériorité ou non des faits survenus par rapport à l’entrée en vigueur de la loi de 2008. Ici, puisque les faits sont antérieurs, il convient d’appliquer le point de départ prévu par l’article 2262 du code civil, à savoir la date de la manifestation du dommage.

La conséquence sur le plan contentieux se trouve dans l’annulation pour erreur de droit de l’arrêt de la cour administrative de Versailles. Toutefois, l’affaire est renvoyée devant la cour administrative d’appel de Versailles afin d’appliquer le délai indiqué.

*article rédigé avec la collaboration de Thomas Mancuso, juriste