Lorsque l’administration résilie un contrat administration en raison de la faute commise par son cocontractant, ce dernier doit être en mesure de démontrer qu’il a exécuté ses obligations pour espérer que le juge ordonne la reprise des relations contractuelles (CE, Section, 21 mars 2011, Commune de Béziers, n° 304806, Rec. p. 117). Toutefois, ce dernier effectue un contrôle assez poussé à ce sujet, comme l’illustre un jugement du 7 février 2023, n° 2101563, pris par la 1ère chambre du tribunal administratif de Poitiers (TA de Poitiers, 1ère chambre, jugement n°s 2101563 – 2101697 du 7 février 2023)
Dans cette affaire, le 25 janvier 2016, la commune de R a conclu une convention d’occupation du domaine public avec la société I, afin que celle-ci puisse exploiter un immeuble à usage de centre de balnéothérapie, pour une durée de vingt ans. Il résultait de la convention que la société devait, d’une part, verser à la commune une redevance annuelle, et d’autre part, lui rembourser la taxe foncière afférente aux installations.
En cours d’exécution, toutefois, la société a cessé de payer les redevances et les taxes, pour les années 2019 et 2020. Le 10 mai 2021, le maire a mise en demeure de régulariser la situation dans un délai d’un mois. Même si le courrier n’a été reçu que le 25 juin, le maire a résilié la convention pour faute, et donc sans indemnité, à compter du 15 juin 2021, par une décision du 17 juin 2021.
La société a contesté la résiliation. Si le juge des référés a accepté de suspendre cette décision, le juge du fond a toutefois confirmé la résiliation, et refusé d’ordonner la reprise des relations contractuelles. Ce jugement permet d’avoir un aperçu du raisonnement du juge du contrat des circonstances justifiant la faute du cocontractant de l’administration.
I/ Une irrégularité purement formelle concernant une mise en demeure, sans gravité suffisante, ne permet pas à elle seule d’ordonner la reprise des relations contractuelles
Le tribunal administratif a constaté que la mise en demeure du 10 mai avait été présenté le 12 mai, mais n’avait été distribué que le 25 juin. Il en ressort que la décision de résiliation, intervenue le 17 juin, était intervenue avant le délai d’un mois laissé au cocontractant pour régulariser ses dettes impayées. Dès lors, comme le délai donné par la mise en demeure court à partir de sa réception, le juge retient que la commune a effectué une irrégularité car elle a résilié le contrat avant le délai.
Or, le 31 mai, soit postérieurement à la mise en demeure du 10 mai, la société avait écrit au comptable public de la commune pour lui indiquer sa volonté de ne régler les sommes dues qu’à une date ultérieure au délai qui lui aurait été accordée si la commune n’avait pas commis cette irrégularité.
Ainsi, si le juge reconnaît que la commune a commis une irrégularité, il considère que le caractère purement formel de celle-ci n’est pas d’une gravité suffisante pour entraîner la reprise des relations contractuelles.
En l’espèce, la mise en demeure avait été envoyée avant la déclaration, claire, de la société de ne payer ses dettes que dans un délai plus long que celui qui avait été fixé par l’administration.
A priori, si la mise en demeure avait été envoyée après la déclaration de la société, la commune aurait dû démontrer qu’elle n’avait pas manqué à la loyauté contractuelle en imposant un délai volontairement inférieur à celui proposé par la société, sans que cela ne soit justifié par un motif d’intérêt général.
II/ Des difficultés d’exploitation ne suffisent pas à justifier le manquement à des obligations contractuelles, selon une interprétation très concrète du juge du contrat
La société s’est défendue d’avoir commis une faute en indiquant que la commune n’avait pas été suffisamment diligente dans l’entretien des installations, ce qui ne lui avait pas permis de l’exploiter, et que la crise du Covid-19 avait fortement baissé son chiffre d’affaires. Toutefois, le contrôle du juge a été poussé dans l’analyse financière des pièces.
Il a ainsi constaté que les dysfonctionnements ne couvraient qu’une partie de la période pendant laquelle le paiement était dû. Ainsi, non seulement la charge de la preuve de son impossibilité d’exécuter son obligation repose sur la société demandant la reprise des relations contractuelles, mais celle-ci doit notamment démontrer que l’administration n’a pas effectué toutes les diligences nécessaires pour lui permettre de l’exécuter. En l’espèce, le juge indique que la société aurait pu s’appuyer sur des pièces comptables pour démontrer que, au regard de la structure de son chiffre d’affaires, seules les pannes étaient à l’origine de la baisse importante de son chiffre d’affaires.
Le tribunal administratif a également confirmé que le cocontractant ne pouvait reprocher à l’administration son inaction lorsque celle-ci a pour objet des prestations que le cocontractant aurait dû prévoir lors de la conclusion du contrat. L’affaire commentée concernait des nuisances sonores et olfactives, ainsi que la pollution par un tiers du bassin de décantation d’eau de mer.
De surcroît, la société ne peut reprocher à l’administration une faute qui aurait été commise dans l’exercice de ses pouvoirs de police, lorsque l’objet du recours concerne l’exécution du contrat.
Ainsi, si le cocontractant souhaite invoquer le comportement de l’administration pour expliquer le non-respect d’une obligation contractuelle, il doit démontrer que c’est ce seul comportement qui l’empêchait d’exécuter le contrat.
Sans succès, la société a également invoqué l’épidémie de Covid-19 pour justifier de son impossibilité de payer la redevance et les taxes. Comme la charge de la preuve pèse sur le cocontractant, le juge écarte ce moyen au motif que la société n’a pas été en mesure de démontrer qu’elle n’avait pas pu bénéficier du fonds de solidarité à destination des entreprises touchées par les conséquences économiques, financières et sociales de l’épidémie de Covid-19 (décret n° 2020-371 du 30 mars 2020).
Les entreprises placées dans une situation similaire doivent d’une part démontrer qu’elles n’ont pas bénéficier de fonds de garantie compensant leurs pertes, et d’autres part qu’elles n’avaient pas les moyens suffisants pour régler leurs dettes.
Ainsi, sans démonstration financière des arguments avancés, le cocontractant ne peut valablement démontrer qu’il était dans l’impossibilité d’exécuter ses obligations. Ce jugement rappelle aux cocontractants comme à l’administration que l’évaluation et la compréhension des pièces financières est une partie cruciale dans la justification des mesures d’exécution du contrat.
*article rédigé avec la collaboration de Yasmine Chevreul, juriste