Pour sortir de la nasse de poursuites au titre d’une infraction, il arrive que l’on en commette une autre. Une sorte d’effet domino des risques pénaux, en quelque sorte.
En effet, la Cour de cassation vient de confirmer sa jurisprudence, auparavant un peu isolée, de 2012, selon laquelle octroyer la protection fonctionnelle pour un cas supposé de favoritisme ou de prise illégale d’intérêts… pourra parfois constituer, pour ceux qui l’accordent et en bénéficient, un délit de détournement de fonds publics.
Autant dire qu’en ces domaines, une analyse minutieuse des dossiers, au cas par cas, avant tout octroi ou refus d’octroi de protection fonctionnelle, s’imposera. Voyons ceci au fil d’un article puis d’une interview de M. Luc Brunet, Responsable département Observatoire SMACL & Documentation. … avant que de fournir quelques sources complémentaires.
I. Article
La jurisprudence est devenue assez complexe, voire parfois difficile à prédire, sur le point de savoir si la protection fonctionnelle est, ou non, à accorder… et si elle l’a été, si les frais ainsi exposés sont, ou non, à récupérer (par une action récursoire) par la collectivité.

- 1/ EN CAS DE PRISE ILLÉGALE D’INTÉRÊTS IL Y A UNE SORTE DE PRÉSOMPTION DE DÉTACHABILITÉ ET DONC DE NON OCTROI DE LA PROTECTION FONCTIONNELLE ET
- 2/ QU’ALORS L’OCTROI DE LA PROTECTION FONCTIONNELLE PEUT CONSTITUER LE DÉLIT DE DÉTOURNEMENT DE FONDS PUBLICS
Citons la Cour de cassation :
« 21. En effet, d’une part, les infractions de prise illégale d’intérêts sont détachables des mandats et fonctions publics exercés par leur auteur.
« 22. D’autre part, la circonstance que M. [T], qui a sollicité l’octroi de la protection fonctionnelle et a bénéficié des fonds versés par la commune au titre de celle-ci, n’a pas pris part aux délibérations du conseil municipal l’ayant octroyée, n’était pas en soi de nature à exclure l’existence d’indices de la commission par l’intéressé des délits de détournement de fonds public et de recel de cette infraction.
« 23. Enfin, l’article 706-154 du code de procédure pénale n’exige pas, pour que soit ordonné le maintien de la saisie de sommes d’argent figurant sur un compte bancaire, que soit caractérisé un risque de dissipation des sommes saisies. »

II. Interview
1/ que dit la Cour de cassation ?
Qu’un élu poursuivi pour prise illégale d’intérêts ne peut bénéficier de la protection fonctionnelle sous peine de se rendre coupable de détournement de fonds publics. La Cour de cassation en avait déjà jugé de même pour un président de collectivité qui avait accordé le bénéfice de la protection fonctionnelle à son prédécesseur, et opposant politique, poursuivi pour favoritisme. Si l’on conçoit très bien que les manquements au devoir au de probité puissent constituer une faute personnelle excluant le bénéfice de la protection fonctionnelle, il reste qu’il conviendrait de nuancer selon les cas d’espèce. Que l’on songe, par exemple, aux quatre élus d’une commune rurale du Lot condamnés pour prise illégale d’intérêts pour le vote d’une malheureuse subvention de 250 euros à une association qui organisait une fête de la poterie.
2/ n’est-ce pas attentatoire à la présomption d’innocence ?
La collectivité lorsqu’elle se prononce sur l’octroi de la protection fonctionnelle n’a pas nécessairement tous les éléments en sa possession mais elle n’est pas liée par le principe de la présomption d’innocence. Elle doit statuer au regard des éléments dont elle dispose. Il est certain que l’arrêt de la chambre criminelle du 8 mars dernier n’est pas de nature à l’inciter à faire droit à la demande : entre le risque d’un recours devant le TA en cas de refus et le risque d’une procédure pénale pour détournement de fonds publics en cas d’octroi, le choix sera vite fait. Rappelons pourtant que selon nos chiffres plus de 60 % des élus et des fonctionnaires poursuivis bénéficient au final d’une décision qui leur est favorable.
3/ quels sont les cas où il faut refuser la protection fonctionnelle ? faut-il faire expertiser le sujet en premier lieu, ne serait-ce que pour s’abriter derrière une expertise externe ?
Chaque fois qu’un élu a recherché un intérêt personnel il n’y a pas de débat. La protection fonctionnelle doit être refusée. De même lorsque l’élu ou l’agent a commis une faute d’une particulière gravité. Critère qui est plus sujet à interprétation et un œil d’un expert externe peut alors effectivement être utile. Mais avec l’arrêt de la chambre criminelle du 8 mars on peut poser le principe que la demande de protection fonctionnelle doit être déclinée chaque fois qu’un élu est poursuivi pour un manquement au devoir de probité (concussion, corruption ou trafic d’influence, détournement de fonds publics -avec un débat possible pour le détournement « par négligence »-, prise illégale d’intérêts ou pantouflage). Pourtant certaines de ces infractions peuvent être caractérisées sans que le prévenu ait recherché un intérêt personnel , ni porté atteinte aux intérêts de la collectivité mais la chambre criminelle de la Cour de cassation ne rentre pas dans ces nuances.
4/ l’élu concerné doit-il sortir de la salle ?
Oui bien entendu mais cela ne garantit pas pour autant de tout risque. D’une part il faut qu’il s’abstienne de toute intervention dans le dossier y compris au cours des débats et de l’instruction ; d’autre part si le déport couvre l’élu contre le risque de poursuites pour prise illégale d’intérêts, il est inopérant s’agissant du détournement de fonds publics. De fait dans l’espèce jugée par la chambre criminelle l’élu avait bien pris soin de ne pas prendre part au vote.

III. Autres sources
Du côté de la SMACL et de son observatoire :
- http://www.observatoire-collectivites.org/
- https://www.observatoire-collectivites.org/spip.php?article9354
- https://www.observatoire-collectivites.org/spip.php?article6828
- Responsabilité pénale dans le monde territorial : chiffres et conseils [VIDEO Observatoire SMACL]
- Sortie du (passionnant comme chaque année) rapport 2022 de l’observatoire SMACL sur le risque pénal territorial
- Rediffusion VIDEO (en libre diffusion gratuite) de la 1e partie du 21e colloque de Observatoire SMACL « Les collectivités territoriales face aux conflits d’intérêts »
- etc.
Voir aussi sur notre blog :
- Quelle protection fonctionnelle pour l’agent public victime de harcèlement moral ?
- Protection fonctionnelle et commissaires enquêteurs
- Un avocat, désigné au titre de la protection fonctionnelle d’un agent ou d’un élu, peut-il fixer ses honoraires à sa guise ? [VIDEO et article]
- Un maire ne peut se prononcer sur une demande de protection fonctionnelle d’un agent communal qui le met personnellement en cause.
- Le maire mis en cause pour des faits de harcèlement moral ne peut statuer sur la demande de protection fonctionnelle présentée par l’agent concerné.
- L’octroi de la protection fonctionnelle aux élus relève de la seule compétence de l’organe délibérant.
- Protection fonctionnelle : lorsque l’administration estime excessifs les honoraires du défenseur de l’agent, le litige relève du juge administratif.
- Une élue intercommunale peut-elle demander la protection fonctionnelle à la commune ?
- Protection fonctionnelle demandée pour des faits imputés à l’autorité territoriale elle-même : qui peut statuer ?
- Comment l’Etat compense-t-il, pour les communes de moins de 3 500 habitants, les dépenses d’assurance relatives à la protection fonctionnelle de leurs élus ?
- La protection fonctionnelle est due aussi pour les actions civiles
- Des propos tenus durant une campagne électorale ne font pas obstacle pour un fonctionnaire au droit à la protection fonctionnelle
- La protection fonctionnelle peut être due en cas de différend avec son supérieur hiérarchique
- La protection fonctionnelle peut prendre la forme d’un droit de réponse.
- Un élu est condamné pour homicide involontaire. Un autre l’est pour injure ou diffamation. Ont-ils le droit à la protection fonctionnelle (prise en charge de leurs frais d’avocats par la commune) ?
- Protection fonctionnelle : il faut produire les justificatifs des prestations d’avocat pour être remboursé !
- Rappel du juge : la protection fonctionnelle est un principe général du droit et peut se traduire autrement que par la prise en charge des frais d’avocat.
- Un jugement non définitif ne suffit pas à justifier l’absence de harcèlement moral et qu’il soit mis fin à la protection fonctionnelle
- Quelle est l’autorité compétente pour statuer sur une demande de protection fonctionnelle des agents territoriaux ?
- Le président du SDIS est seul compétent pour accorder ou refuser la protection fonctionnelle sollicitée par un sapeur-pompier.
- Un agent public gréviste peut bénéficier de la protection fonctionnelle mais à la condition que les faits dont il se dit victime soient en lien avec ses fonctions.
- Publication d’une circulaire sur la protection des agents contre les attaques dont ils font l’objet.
- Partie civile : quand collectivités et associations d’élus peuvent-elles faire cause commune avec un élu (voire un agent) victime ? [VIDEO]
- etc.
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