D’une infraction l’autre… ou comment l’octroi de la protection fonctionnelle peut vite conduire à un détournement de fonds publics ! [article ; interview de L. Brunet]

Pour sortir de la nasse de poursuites au titre d’une infraction, il arrive que l’on en commette une autre. Une sorte d’effet domino des risques pénaux, en quelque sorte. 

En effet, la Cour de cassation vient de confirmer sa jurisprudence, auparavant un peu isolée, de 2012, selon laquelle octroyer la protection fonctionnelle pour un cas supposé de favoritisme ou de prise illégale d’intérêts… pourra parfois constituer, pour ceux qui l’accordent et en bénéficient, un délit de détournement de fonds publics. 

Autant dire qu’en ces domaines, une analyse minutieuse des dossiers, au cas par cas, avant tout octroi ou refus d’octroi de protection fonctionnelle, s’imposera. Voyons ceci au fil d’un article puis d’une interview de M. Luc Brunet, Responsable département Observatoire SMACL & Documentation. … avant que de fournir quelques sources complémentaires. 

 

 

 

I. Article

 

La jurisprudence est devenue assez complexe, voire parfois difficile à prédire, sur le point de savoir si la protection fonctionnelle est, ou non, à accorder… et si elle l’a été, si les frais ainsi exposés sont, ou non, à récupérer (par une action récursoire) par la collectivité.

Sources choisies sur ce point  : CE, 30 décembre 2015, Commune de Roquebrune-sur-Argens, n° 391798 et n° 391800 ; application au délit de favoritisme : TA Melun, 4 juillet 2013, n° 1204155 ; mais la protection reste due si la collectivité s’est engagée même en cas de favoritisme (CAA de PARIS, 6ème chambre, 5 juillet 2019, 18PA20740 pour un cas particulier certes).
Une infraction peut être volontaire et être commise en campagne électorale (et donc relever d’une faute assez « personnelle ») et pourtant donner lieu à protection fonctionnelle 
Sources : CE, 25 juin 2020 , n° 421643 ; à comparer en sens contraire TC, 26 octobre 1981, rec., p. 657.
Mais la Cour de cassation a estimé que le favoritisme était toujours une faute personnelle excluant la protection fonctionnelle… au point qu’accorder la protection fonctionnelle en pareil cas pouvait constituer un autre délit : celui de détournement de fonds publics (sur le fondement de l’article 432-15 du code pénal) !
N.B.  : l’arrêt du Conseil d’Etat n° 308160 du 23 décembre 2009 va dans le même sens, mais le recours sur la protection fonctionnelle est arrivé au Conseil d’Etat après condamnation pénale. Pour un cas récent où le juge valide le refus d’une protection fonctionnelle même pour un accident de la route en raison de l’imprudence de la personne poursuivie (constitutive d’une faute personnelle), voir CAA Paris, 14 février 2020, 18PA00465. En sens inverse, il y a octroi obligatoire de la protection fonctionnelle pour les imprudences du maire ayant pourtant conduit à des homicides ou blessures involontaires (voir TA Nantes, 9 octobre 2019, n°1710480)…
Ceci dit, la Cour de cassation n’était pas toujours si sévère, notamment pour des faits peu graves (Cour de cassation, civile, Chambre civile 1, 25 janvier 2017, 15-10.852, Publié au bulletin).
Photo : coll. pers. (image de la partie pénale de notre bibliothèque)

 

… d’où l’importance d’un nouvel arrêt de la chambre criminelle de la Cour de cassation qui POSE COMME EN 2012 (MAIS POUR UNE AUTRE INFRACTION, LA PRISE ILLÉGALE D’INTÉRÊT ET NON LE FAVORITISME COMME EN 2012) QUE :
  • 1/ EN CAS DE PRISE ILLÉGALE D’INTÉRÊTS IL Y A UNE SORTE DE PRÉSOMPTION DE DÉTACHABILITÉ ET DONC DE NON OCTROI DE LA PROTECTION FONCTIONNELLE ET
  • 2/ QU’ALORS L’OCTROI DE LA PROTECTION FONCTIONNELLE PEUT CONSTITUER LE DÉLIT DE DÉTOURNEMENT DE FONDS PUBLICS 

 

Citons la Cour de cassation :

« 21. En effet, d’une part, les infractions de prise illégale d’intérêts sont détachables des mandats et fonctions publics exercés par leur auteur.

« 22. D’autre part, la circonstance que M. [T], qui a sollicité l’octroi de la protection fonctionnelle et a bénéficié des fonds versés par la commune au titre de celle-ci, n’a pas pris part aux délibérations du conseil municipal l’ayant octroyée, n’était pas en soi de nature à exclure l’existence d’indices de la commission par l’intéressé des délits de détournement de fonds public et de recel de cette infraction.

« 23. Enfin, l’article 706-154 du code de procédure pénale n’exige pas, pour que soit ordonné le maintien de la saisie de sommes d’argent figurant sur un compte bancaire, que soit caractérisé un risque de dissipation des sommes saisies. »

 

II. Interview

Cet arrêt, je l’ai découvert (avec un intéressant commentaire) sur le site de l’Observatoire de la SMACL :
D’où l’envie de poser quelques questions à M. Luc BRUNET, Responsable département Observatoire SMACL & Documentation.
Voici mes questions et ses réponses :

1/ que dit la Cour de cassation ?

Qu’un élu poursuivi pour prise illégale d’intérêts ne peut bénéficier de la protection fonctionnelle sous peine de se rendre coupable de détournement de fonds publics. La Cour de cassation en avait déjà jugé de même pour un président de collectivité qui avait accordé le bénéfice de la protection fonctionnelle à son prédécesseur, et opposant politique, poursuivi pour favoritisme. Si l’on conçoit très bien que les manquements au devoir au de probité puissent constituer une faute personnelle excluant le bénéfice de la protection fonctionnelle, il reste qu’il conviendrait de nuancer selon les cas d’espèce. Que l’on songe, par exemple, aux quatre élus d’une commune rurale du Lot condamnés pour prise illégale d’intérêts pour le vote d’une malheureuse subvention de 250 euros à une association qui organisait une fête de la poterie.

2/ n’est-ce pas attentatoire à la présomption d’innocence ?

La collectivité lorsqu’elle se prononce sur l’octroi de la protection fonctionnelle n’a pas nécessairement tous les éléments en sa possession mais elle n’est pas liée par le principe de la présomption d’innocence. Elle doit statuer au regard des éléments dont elle dispose. Il est certain que l’arrêt de la chambre criminelle du 8 mars dernier n’est pas de nature à l’inciter à faire droit à la demande : entre le risque d’un recours devant le TA en cas de refus et le risque d’une procédure pénale pour détournement de fonds publics en cas d’octroi, le choix sera vite fait. Rappelons pourtant que selon nos chiffres plus de 60 % des élus et des fonctionnaires poursuivis bénéficient au final d’une décision qui leur est favorable.

3/ quels sont les cas où il faut refuser la protection fonctionnelle ? faut-il faire expertiser le sujet en premier lieu, ne serait-ce que pour s’abriter derrière une expertise externe ?

Chaque fois qu’un élu a recherché un intérêt personnel il n’y a pas de débat. La protection fonctionnelle doit être refusée. De même lorsque l’élu ou l’agent a commis une faute d’une particulière gravité. Critère qui est plus sujet à interprétation et un œil d’un expert externe peut alors effectivement être utile. Mais avec l’arrêt de la chambre criminelle du 8 mars on peut poser le principe que la demande de protection fonctionnelle doit être déclinée chaque fois qu’un élu est poursuivi pour un manquement au devoir de probité (concussion, corruption ou trafic d’influence, détournement de fonds publics -avec un débat possible pour le détournement « par négligence »-, prise illégale d’intérêts ou pantouflage). Pourtant certaines de ces infractions peuvent être caractérisées sans que le prévenu ait recherché un intérêt personnel , ni porté atteinte aux intérêts de la collectivité mais la chambre criminelle de la Cour de cassation ne rentre pas dans ces nuances.

4/ l’élu concerné doit-il sortir de la salle ?

Oui bien entendu mais cela ne garantit pas pour autant de tout risque. D’une part il faut qu’il s’abstienne de toute intervention dans le dossier y compris au cours des débats et de l’instruction ; d’autre part si le déport couvre l’élu contre le risque de poursuites pour prise illégale d’intérêts, il est inopérant s’agissant du  détournement de fonds publics. De fait dans l’espèce jugée par la chambre criminelle l’élu avait bien pris soin de ne pas prendre part au vote.

III. Autres sources

 

Du côté de la SMACL et de son observatoire :

 

Voir aussi sur notre blog :

 

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