Mutation d’office et communication du rapport d’enquête : quel équilibre entre l’information de l’agent et la protection des témoins ?

Par un arrêt M. B. c/ ministre de l’éducation nationale et de la jeunesse en date du 28 avril 2023 (req. n° 443749), le Conseil d’État a précisé que lorsqu’une enquête administrative a été diligentée sur le comportement d’un agent public, y compris lorsqu’elle a été confiée à des corps d’inspection, le rapport établi à l’issue de cette enquête, ainsi que, lorsqu’ils existent, les procès-verbaux des auditions des personnes entendues sur le comportement de l’agent faisant l’objet de l’enquête font partie des pièces dont ce dernier doit recevoir communication en application de l’article 65 de la loi du 22 avril 1905. Cependant, si la communication de parties de ce rapport ou de ces procès-verbaux est de nature à porter gravement préjudice aux personnes qui ont témoigné, ces éléments n’ont pas à être communiqués à l’intéressé. Il appartient toutefois à l’administration d’informer l’agent public, de façon suffisamment circonstanciée, de leur teneur, de telle sorte qu’il puisse se défendre utilement.

M. B…, fonctionnaire relevant du corps des inspecteurs pédagogiques régionaux-inspecteurs d’académie, a été nommé par décret du Président de la République du 27 novembre 2015 dans l’emploi de directeur académique des services déconcentrés de l’éducation nationale du département des Deux-Sèvres. Le ministre de l’éducation nationale et de la jeunesse, après un signalement de la rectrice de l’académie de Poitiers, a confié à l’inspection générale de l’éducation, du sport et de la recherche une mission d’enquête administrative concernant de potentiels dysfonctionnements au sein la direction des services départementaux de l’éducation nationale des Deux-Sèvres. A la suite de la remise du rapport de la mission d’inspection au mois de janvier 2020, il a été, par un décret du Président de la République du 12 mars 2020, mis fin, dans l’intérêt du service, aux fonctions et au détachement de M. B… dans cet emploi. Par un arrêté du 16 mars 2020 du ministre de l’éducation nationale et de la jeunesse, M. B… a été réintégré dans son corps d’origine à compter du 12 mars et affecté auprès du recteur de l’académie de Nantes.

M. B… a alors demandé l’annulation pour excès de pouvoir du décret du 12 mars 2020 et de l’arrêté du 16 mars 2020. Il a fait valoir notamment que certains éléments à la base de la décision, ne lui avait pas été communiqués.

Le Conseil d’État lui a donné raison. Il a tout d’abord rappelé que qu’en vertu de l’article 65 de la loi du 22 avril 1905, un agent public faisant l’objet d’une mesure prise en considération de sa personne, qu’elle soit ou non justifiée par l’intérêt du service, doit être mis à même d’obtenir communication de son dossier.

Puis, il précise que « lorsqu’une enquête administrative a été diligentée sur le comportement d’un agent public, y compris lorsqu’elle a été confiée à des corps d’inspection, le rapport établi à l’issue de cette enquête, ainsi que, lorsqu’ils existent, les procès-verbaux des auditions des personnes entendues sur le comportement de l’agent faisant l’objet de l’enquête font partie des pièces dont ce dernier doit recevoir communication en application de l’article 65 de la loi du 22 avril 1905, sauf si la communication de parties de ce rapport ou de ces procès-verbaux serait de nature à porter gravement préjudice aux personnes qui ont témoigné. Dans ce cas, l’administration doit informer l’agent public, de façon suffisamment circonstanciée, de leur teneur, de telle sorte qu’il puisse se défendre utilement. »

En l’espèce, la Haute Assemblée constate « que M. B… a été effectivement destinataire, préalablement à la décision attaquée, qui constitue une mesure prise en considération de la personne, du rapport final de l’enquête administrative conduite par deux inspecteurs généraux de l’éducation, du sport et de la recherche au sein de la direction des services départementaux de l’éducation nationale des Deux-Sèvres et portant notamment sur son comportement. Toutefois, ce rapport lui a été transmis dans une version dans laquelle, d’une part, plusieurs parties avaient été intégralement occultées, y compris s’agissant de leur intitulé, et remplacées par les mentions ” partie non communicable (art[icle] L. 311-6 CRPA) “, d’autre part, les parties non totalement occultées comportaient certaines mentions dissimulées selon le même procédé. En outre, il ressort des pièces du dossier que malgré une demande en ce sens, M. B… n’a eu communication que de certains des quarante-quatre comptes rendus d’audition annexés au rapport. Dans ces conditions, et alors qu’il n’est pas allégué que cette communication parcellaire avait pour objet de protéger les personnes qui avaient témoigné sur la situation en cause, M. B… est fondé à soutenir qu’il n’a pas reçu communication de l’ensemble des pièces qu’il était en droit d’obtenir en vertu de l’article 65 de la loi du 22 avril 1905, afin de préparer utilement sa défense, et que, par suite, la procédure préalable à l’édiction du décret attaqué a été entachée d’irrégularité. »

Cet arrêt peut être consulté à partir du lien suivant :

https://www.legifrance.gouv.fr/ceta/id/CETATEXT000047523850?juridiction=CONSEIL_ETAT&juridiction=COURS_APPEL&juridiction=TRIBUNAL_ADMINISTATIF&juridiction=TRIBUNAL_CONFLIT&page=1&pageSize=10&query=443749&searchField=ALL&searchType=ALL&sortValue=DATE_DESC&tab_selection=cetat