N’est pas un acte susceptible de recours un avis de l’ART sur la légalité d’un avenant autoroutier (sauf effet concret difficile à trouver/prouver ; application de la jurisprudence GISTI)

Toute décision ou information publique sera un acte attaquable, sauf régime spécial, même s’il prend la forme vaporeuse des actes de droit souple (« documents de portée générale émanant d’autorités publiques, matérialisés ou non, tels que les circulaires, instructions, recommandations, notes, présentations ou interprétations du droit positif», dont des cartes, des guides…) :

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    s’il est « susceptible d’avoir des effets notables sur les droits ou la situation d’autres personnes que les agents chargés, le cas échéant, de les mettre en œuvre »
    Sources : CE, 12 juin 2020, GISTI, n° 418142 ; pour les circulaires, voir le célèbre arrêt Duvignères (CE, S., 18 décembre 2002, n° 233618 ; voir aussi CE, 20 juin 2016, n° 389730) ; pour les directives de droit national, voir CE, S, 11 décembre 1970, Crédit foncier de France, rec. p. 750 ; pour le droit souple des autorités de régulation, voir les décisions d’Assemblée du contentieux du CE du 21 mars 2016, Fairvesta International, n° 368082, et Société Numéricable, n° 390023 ; s’agissant du refus d’une autorité de régulation d’abroger un acte de droit souple, voir CE, Section, 13 juillet 2016, Société GDF Suez, n° 388150, p. 384 ; sur les recours contre les actes de droit souple susceptibles d’avoir des effets notables sur les intéressés, voir CE, Ass., 19 juillet 2019, n° 426389. A comparer avec CE, 21 octobre 2019, n°419996 419997 ; pour le cas des décisions des autorités administratives indépendantes non décisoires mais pouvant avoir une influence, voir CE, 4 décembre 2019, n° 416798 et n°415550 (voir aussi CE, 30 janvier 2019, n° 411132 ; CE, 2 mai 2019, n°414410) ; pour les guides voir CE, 29 mai 2020, n° 440452 ; sur l’état du droit quant aux lignes attaquables ou non avant ce nouvel arrêt GISTI voir CE, 3 mai 2004, Comité anti-amiante Jussieu, n° 245961. Voir aussi l’intéressante quoique désormais datée étude annuelle du Conseil d’Etat, « Le droit souple », 2013.
    Voir : Directives, lignes directrices de gestion, circulaires, droit souple… la grande unification [MINI VIDEO] ; voir aussi « Droit souple » : quel impact pour « mon » administration ? [VIDEO] . Pour une synthèse récente, voir : Droit souple : peut être attaquable une réponse à une FAQ 
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    MAIS ENCORE FAUT-IL QUE CE SOIT UNE DÉCISION, ET NON UNE ANNONCE DE FUTURE DÉCISION OU UNE MESURE PRÉPARATOIRE… la frontière entre les deux étant parfois très incertaine.
    En témoignent :

    • le célèbre avis contentieux du Conseil d’Etat à propos du non moins fameux logiciel Vauban, (CE, avis ctx, 25 juin 2018, n° 419227, au rec. : s’agissant en l’espèce de lettres par laquelle l’administration informait un militaire qu’il devait rembourser une somme indument payée… si la lettre informe son destinataire qu’en l’absence de paiement spontané de sa part, un titre de perception lui sera notifié, elle est seulement une mesure préparatoire de ce titre et n’est pas susceptible de recours. Mais si elle l’informe qu’en l’absence de paiement spontané de sa part, la somme sera retenue sur sa solde, il s’agit d’une décision susceptible de faire l’objet d’un recours de plein contentieux). Voir aussi CE, 29 décembre 2020, Université de Savoie Mont-Blanc et ministre de l’enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation, n° 425728-429165. Ceci dit, en ce domaine, voir quelques évolutions récentes ici).
    • le droit des marchés publics, au titre duquel un AAPC est un acte préparatoire non susceptible de recours (au contraire des délibérations lançant les DSP). Voir par exemple : CE 17 février 2010, n° 325520 ; CE, 10 mai 1996, n° 162856 (par analogie) ; CE, 23 juin 1997, n° 167865…Voir plus récemment dans le même sens, CE, 4 avril 2018, n° 414263.
    • le droit de l’intercommunalité pour qui un arrêté de projet de périmètre (en création, ou de fusion, ou d’extension de périmètre) est un acte préparatoire insusceptible de recours (TA Nancy, 5 décembre 2017, n° 1601532 et 1603672 ; TA Orléans, Ord,  2 mai 2012, Sieur Pédard et autres, n°1201198 ; CAA Douai, 2 novembre 2004, Mme Annick X, req. n° 03DA00631 ; CE, 27 octobre 1999, Syndicat départemental d’électrification d’Ille-et-Vilaine, req. n° 160469, CE, 3 juillet 1998, Société Sade, req. n° 154234). Il en va de même lorsqu’il s’agit de proposer la création d’une commune nouvelle (voir Peut-on faire un recours contre une délibération demandant la création d’une commune nouvelle ?).A noter cependant qu’au moins une CAA a eu la fantaisie de se forger une opinion contraire (CAA de Marseille, 12 juin 2001, Ministère de l’Intérieur, n° 01MA00070, et al.).
    • le droit de l’urbanisme pour qui l’adoption schéma d’aménagement de plage n’est qu’une mesure préparatoire (CE, 9 octobre 2017, n°396801).NB : et naturellement ne seront pas non plus attaquables les simples mesures d’ordre intérieur (MOI ; voir par exemple CE, Sect., 25 septembre 2015, n° 372624); mais en ce cas il y aura rarement communication urbi et orbi à grand renfort de trompettes de la part des exécutifs… 
    • Pour un discours du Président de la République relatif au nucléaire (acte préparatoire car les étapes ultérieures étaient annoncées : Conseil d’État, 9 août 2023, n° 462777).

 

Sur la base de cette grille d’analyse, où classer un avis de l’Autorité de régulation des transports (ART) ayant estimé que l’avenant à une concession autoroutière aurait dû recueillir son avis et exprimé des doutes quant à sa légalité, eu égard à l’absence d’effet notable de ce document ?

Etait-ce un acte décisoire ? NON

Etait-ce un acte préparatoire (voir ci-avant en 2/) ? NON

Mais n’était-ce pas un acte de droit souple (ci-avant en 1/) au sens de l’arrêt GISTI (CE, 12 juin 2020, n° 418142) précité ?
Cette question était moins simple…

Car en vertu de ce régime, un avis, une déclaration, une information ou toute autre forme d’expression sera un acte administratif attaquable en recours pour excès de pouvoir devant le juge administratif… s’il est « susceptible d’avoir des effets notables sur les droits ou la situation d’autres personnes que les agents chargés, le cas échéant, de les mettre en œuvre »

Avec les appréciations larges sur ce point en jurisprudence, explicitées ci-avant au point 1/.

En l’espèce, donc, une société autoroutière demandait l’annulation pour excès de pouvoir d’un avis par lequel l’Autorité de régulation des transports (ART) avait :

  • d’une part, estimé que l’avenant à un contrat de concession d’autoroute conclu entre l’Etat et cette même société et le décret l’approuvant étaient illégaux faute qu’ait été recueilli au préalable son avis
  • et, d’autre part, exprimé des doutes sur la légalité de certaines stipulations de cet avenant.

L’ART avait publié l’avis sur son site internet, diffusé un communiqué de presse s’y rapportant, également publié sur son site internet, et l’avait commenté sur plusieurs réseaux sociaux.

Or, le Conseil d’Etat vient d’estimer que NON cet avis, fortement et multiplement médiatisé, donc, n’était PAS un acte attaquable selon la grille de l’arrêt GISTI précité, car :

  • d’une part, la position prise par l’ART sur la portée exacte de l’obligation, faite au Gouvernement, de la consulter, en vertu de l’article L. 122-8 du code de la voirie routière, ne peut, selon la Haute Assemblée, être regardée comme ayant par elle-même un effet notable sur l’autorité chargée de mettre en oeuvre cet article.
  • d’autre part, si la société requérante soutient que l’avis rendu sur l’avenant litigieux en ce qu’il conclut à l’illégalité de cet avenant en raison de l’absence de consultation de l’ART et à l’existence de doutes sérieux sur la légalité de certaines de ses stipulations emporterait des effets notables, en particulier en ce qu’il affecterait sa situation ou celle d’autres sociétés concessionnaires d’autoroutes, elle ne produit à l’appui de ces allégations que des articles de presse faisant état de la position de l’ART, ne fournissant notamment aucun élément sur la dégradation actuelle ou probable de sa situation financière.

DONC cette réponse N’EST PAS DE PRINCIPE, MAIS EN L’ESPÈCE. UNE RÉÉDITION DE LA MÊME AFFAIRE, MAIS AVEC LA POSSIBILITÉ POUR L’ENTREPRISE REQUÉRANTE DE PROUVER QU’ELLE SUBIT UN EFFET CONCRET, RÉEL (refus en raison de cela d’une recherche importante de financement par exemple ; mise en grève des personnel ; ou autre)… POURRAIT DONNER LIEU À UNE DÉCISION EN SENS INVERSE AU TERME  D’UNE APPRÉCIATION AU CAS PAR CAS. 

CET ARRÊT N’EST DONC PAS EN SOI LA FORMULATION D’UN PRINCIPE, SI CE N’EST CELUI CONSISTANT À CONSTATER QUE LE JUGE VEUT LAISSER AUX AUTORITÉS DE RÉGULATION UNE MARGE D’EXPRESSION EN DE TELS DOMAINES SANS TROISIÈME MI-TEMPS CONTENTIEUSE, TANT QUE CELA RESTE SANS EFFET TRÈS CONCRET SUR LES STRUCTURES AINSI RÉGULÉES. Ce qui au total reste très proche de l’esprit de l’arrêt GISTI : il n’y a contentieux possible que s’il y a un effet avéré, peu discutable.

La société requérante évoquait comme effet tangible le fait qu’un recours contentieux ait été introduit contre le décret et cet avenant. Le juge, qui peine par principe à estimer que l’on puisse se plaindre de l’existence d’une vérification de la légalité des actes administratifs, a posé, à ce sujet, que l’existence d’un tel recours est insusceptible à elle seule de constituer un effet notable.

Source :

Conseil d’État,27 septembre 2023, n° 470331, aux tables du recueil Lebon