Urbanisme : quand le juge du fond décide d’accorder un délai régularisation de l’article L. 600-5-1 du code de l’urbanisme… cela rend désormais sans objet un pourvoi contre une ordonnance de référé rendue, antérieurement, dans la même affaire

Urbanisme : une ordonnance est rendue en référé. Un pourvoi en cassation est déposé contre cette ordonnance. Puis avant que le Conseil d’Etat ne statue, intervient un jugement du TA dans le cadre du régime de l’article L. 600-5-1 du code de l’urbanisme. 

Le pourvoi est-il privé de son objet ? 

OUI répond le Conseil d’Etat, par une décision à publier en intégral au Recueil Lebon… opérant sur ce point un revirement de jurisprudence qui s’inscrit dans une évolution globale en de tels domaines. 


 

Lorsque le juge considère qu’une autorisation d’urbanisme est entachée d’illégalité mais qu’elle peut être régularisée par la délivrance d’un permis modificatif, il peut surseoir à statuer afin que le pétitionnaire puisse demander – et surtout obtenir – une autorisation qui procèdera à cette régularisation.

Cette spécificité du contentieux de l’urbanisme trouve sans source dans l’article L. 600-5-1 du Code de l’urbanisme :

« Sans préjudice de la mise en œuvre de l’article L. 600-5, le juge administratif qui, saisi de conclusions dirigées contre un permis de construire, de démolir ou d’aménager ou contre une décision de non-opposition à déclaration préalable estime, après avoir constaté que les autres moyens ne sont pas fondés, qu’un vice entraînant l’illégalité de cet acte est susceptible d’être régularisé, sursoit à statuer, après avoir invité les parties à présenter leurs observations, jusqu’à l’expiration du délai qu’il fixe pour cette régularisation, même après l’achèvement des travaux. Si une mesure de régularisation est notifiée dans ce délai au juge, celui-ci statue après avoir invité les parties à présenter leurs observations. Le refus par le juge de faire droit à une demande de sursis à statuer est motivé.»

 

Dans cette configuration, la décision du Tribunal administratif se dédouble :

  • il existe un premier jugement (jugement avant-dire droit) qui considère que l’autorisation est entachée illégalité et qui surseoit à statuer afin de permettre l’intervention d’une mesure de régularisation,
  • une fois la mesure de régularisation intervenue et transmise à la juridiction, celle-ci rend un second jugement qui se prononce sur le sort qu’il convient de donner au recours initial : soit le permis attaqué sera annulé au motif que la mesure de régularisation est insuffisante, voire qu’elle est elle-même illégale ; soit le recours sera rejeté si le juge considère que le permis modificatif délivré a bien eu pour effet de régulariser les vices identifiés dans le premier jugement.

 

Voici quelques compléments à propos de ce régime :

  • Bien évidemment, le premier jugement avant-dire droit peut être contesté par les parties qui y ont intérêt, soit devant le juge d’appel, soit devant le juge de cassation s’il a été rendu en premier et dernier ressort.
    NB sur le mode d’emploi en pareil cas, voir CE, 10 juillet 2023, req., n° 463914. Pour lire l’arrêt, cliquer ici. Pour lire à ce sujet l’article de mon associé N. Polubockso, voir là.
  • La régularisation peut intervenir même si elle n’a pas été formellement demandée (voir CE, 30 juin 2023, Société AFC Promotion, req., n° 463230).
  • cette régularisation de l’autorisation en cours d’instance n’est pas automatique (CE, 4 mai 2023, Société Octogone, req., n° 464702).
  • Elle peut être justifiée par l’évolution des circonstances factuelles qui entourent le projet (CE, 10 octobre 2022, Société Territoire Soixante-Deux, req., n° 451530).
  • Une telle possibilité de régularisation n’emporte pas réouverture de l’instruction (CE, 10 octobre 2022, n° 455573, au rec.).
  • Et pour apprécier la légalité d’un permis de construire, le juge administratif doit prendre en compte les mesures de régularisation intervenues en cours d’instance, même si elles lui ont été transmises postérieurement au délai qui avait été imparti aux parties… En cas de recours dirigé contre un permis de construire entaché de certaines illégalités, celui-ci peut être régularisé pendant toute la durée de la procédure – et ce, donc, même après le délai imparti par le juge – mais que la mesure de régularisation peut être contestée tant que ladite procédure n’est pas achevée (CE, 16 février 2022, Association “Eoliennes, s’en naît trop”, req., n° 420554).

 

A ce mode d’emploi, déjà passablement subtil, le Conseil d’Etat vient d’ajouter une page, qui intéressera surtout les avocats aux conseils, en charge des pourvois en cassation.

L’hypothèse en cause est celle :

  • d’un pourvoi en cassation dirigé contre une ordonnance rejetant une demande de suspension de permis de construire
  • puis de l’intervention, postérieurement à cette ordonnance donc, en application de l’article L. 600-5-1 du code de l’urbanisme, d’un jugement statuant partiellement sur le REP dirigé contre ce permis

Le Conseil d’Etat traite des conséquence sur le pourvoi en cassation, contre cette ordonnance, en pareil cas.

Le Conseil d’Etat admettait antérieurement,  la validité d’un tel pourvoi même si entre temps le juge du fond avait statué :

« La circonstance que, dans l’intervalle, le juge du fond, saisi du recours en annulation contre cette même autorisation, a fait usage du pouvoir de surseoir à statuer et de demander la régularisation de l’autorisation que lui confère l’article L. 600-5-1 du code de l’urbanisme, ne prive pas d’objet le pourvoi en cassation.»
Source : CE, 22 mai 2015, SCI Paolina, n° 385183, rec. T. pp. 804-816-927

Le Conseil d’Etat vient de procéder à un revirement de cette jurisprudence. Il pose désormais que, pour citer le futur résumé des tables du rec. tel que préfiguré sur Ariane :

« Eu égard à la nature de la procédure de référé et au caractère provisoire de la suspension susceptible d’être ordonnée par le juge des référés, sur le fondement de l’article L. 521-1 du code de justice administrative (CJA), dans l’attente de l’intervention du jugement au fond, l’intervention du jugement qui, faisant application de l’article L. 600-5-1 du code de l’urbanisme, statue sur le bien-fondé des différents moyens soulevés à l’appui du recours pour excès de pouvoir (REP) dirigé contre un permis de construire et impartit un délai pour régulariser un vice affectant la légalité de ce permis, rend, alors même qu’il est frappé d’appel, sans objet les conclusions du pourvoi en cassation dirigé contre l’ordonnance par laquelle le juge des référés a statué sur la demande de suspension de l’exécution de ce permis de construire.»

 

La Haute Assemblée est décidément, ces temps-ci, soucieuse de ne pas multiplier l’étude de pourvois sur des ordonnances rendus un peu inutiles pour cause d’intervention d’autres décisions entre temps (voir en ce sens Conseil d’État, Section, 22 septembre 2023, n° 472210, publié au recueil Lebon).

Il s’agit aussi d’une relative mise en cohérence jurisprudentielle car déjà depuis 2001 on sait que l’intervention d’un jugement au fond prive de son objet un pourvoi contre une ordonnance du juge rendue avant ledit jugement… et ce même si ce dernier est frappé d’appel (CE, Section, 23 novembre 2001, M. Aberbri, n° 233104, rec. p. 575).

 

Source :

Conseil d’État, 9 novembre 2023, n° 469380, au recueil Lebon