En matière de sanctions administratives, quand il y a succession d’entreprises par fusion absorption ou par fusion, le Conseil d’Etat vient de poser que :
« 1) Le principe de la personnalité des peines ne fait pas, par lui-même, obstacle à ce qu’une sanction disciplinaire, justifiée par les manquements commis par une société ayant par la suite fait l’objet d’une absorption ou d’une fusion, soit prononcée à l’encontre de la société absorbante ou issue de la fusion.
« 2) Il appartient, dans un tel cas, à l’autorité investie du pouvoir disciplinaire d’apprécier, dans le respect du principe de proportionnalité des peines, la nature et le quantum de la sanction qu’il convient d’infliger à la société absorbante en tenant compte des principes dont elle est chargée d’assurer le respect, de la nature des manquements commis par la société ayant fait l’objet de l’absorption ou de la fusion et des circonstances dans lesquelles ces manquements ont été commis.»
Au nom des règles combinées de personnalisation des peines, d’une part, et de dévolution des actifs en droit des sociétés, d’autre part, en 2000, le Conseil d’Etat avait fait une distinction un peu byzantine sur les dévolutions de sanctions administratives à une société absorbante au titre des fautes commises par une société absorbée. Citons le résumé des tables du recueil Lebon :
« Le principe de la personnalité des peines faisait obstacle à ce que le Conseil des marchés financiers infligeât à la société absorbante un blâme à raison des manquements commis avant la fusion par la société absorbée.
« En revanche, eu égard tant à la mission de régulation des marchés dont est investi le Conseil des marchés financiers qu’au fait qu’à la suite de la fusion, la société à laquelle les manquements sont imputables a, conformément aux dispositions de l’article 372-1 de la loi du 24 juillet 1966 sur les sociétés commerciales, été absorbée intégralement sans être liquidée ni scindée, ni, en tout état de cause, l’article 121-1 du code pénal, ni le principe de la personnalité des peines ne faisaient obstacle à ce que le Conseil des marchés financiers prononçât, à raison de ces manquements, une sanction pécuniaire à l’encontre de la société absorbante. »
Source : CE, Section, 22 novembre 2000, Société Crédit Agricole Indosuez Chevreux, n° 207697, rec. p. 537.
Le blâme, la honte, ne se transmettent pas. Les dettes, sanctions pécuniaires y compris, oui.
Précisons, par analogie, que quelques années après, le juge pénal de son côté glissait quant à lui vers des solutions plus simples en 2020, même s’il lui a plu de complexifier un peu celles-ci moins de 18 mois ensuite.
En 2020, dans le présent blog, nous précisions en effet que la Cour de cassation venait d’opérer un revirement de jurisprudence… qui avait sur ce point rejoint la position du juge européen en posant que si une entreprise en absorbe une autre… on peut poursuivre au pénal la société absorbante pour les fautes de l’absorbée.
Source : Cass. crim. arrêt n°2333 du 25 novembre 2020 (18-86.955).
Pour formuler les choses plus juridiquement, et répondre sur ce point les formulations de la Cour, il se déduit de l’article 121-1 du code pénal, interprété à la lumière de la directive 78/855/CEE du Conseil du 9 octobre 1978 relative à la fusion des sociétés anonymes, codifiée en dernier lieu par la directive (UE) 2017/1132 du Parlement européen et du Conseil du 14 juin 2017 et de l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme, qu’en cas de fusion absorption d’une société par une autre société entrant dans le champ de la directive précitée, la société absorbante peut être condamnée pénalement à une peine d’amende ou de confiscation pour des faits constitutifs d’une infraction commise par la société absorbée avant l’opération.
La personne morale absorbée étant continuée par la société absorbante, cette dernière, qui bénéficie des mêmes droits que la société absorbée, peut se prévaloir de tout moyen de défense que celle-ci aurait pu invoquer.
En conséquence, le juge qui constate qu’il a été procédé à une opération de fusion-absorption entrant dans le champ de la directive précitée ayant entraîné la dissolution de la société mise en cause, peut, après avoir constaté que les faits objet des poursuites sont caractérisés, déclarer la société absorbante coupable de ces faits et la condamner à une peine d’amende ou de confiscation.
Cette interprétation nouvelle, qui constitue un revirement de jurisprudence, ne s’appliquera qu’aux opérations de fusion conclues postérieurement au 25 novembre 2020, date de prononcé de l’arrêt, afin de ne pas porter atteinte au principe de prévisibilité juridique découlant de l’article 7 de la Convention européenne des droits de l’homme.
En tout état de cause, quelle que soit la date de la fusion ou la nature de la société concernée, la responsabilité pénale de la société absorbante peut être engagée si l’opération de fusion-absorption a eu pour objectif de faire échapper la société absorbée à sa responsabilité pénale et qu’elle constitue ainsi une fraude à la loi.
Ce mode d’emploi a ensuite été mis à jour par la chambre criminelle de la Cour de cassation en 2022 :
« En cas de fusion-absorption d’une société par une autre société, la société absorbante peut être condamnée pénalement pour des faits constitutifs d’une infraction commise par la société absorbée avant l’opération dans deux hypothèses : – lorsque l’opération, conclue postérieurement au 25 novembre 2020, entre dans le champ de l’application de la directive 78/855/CEE du Conseil du 9 octobre 1978 relative à la fusion des sociétés anonymes, codifiée en dernier lieu par la directive (UE) 2017/1132 du Parlement européen et du Conseil du 14 juin 2017. Dans ce cas seule une peine d’amende ou de confiscation peut être prononcée à l’encontre de la société absorbante ; – lorsque l’opération, quelle que soit sa date et quelle que soit la nature des sociétés concernées, a eu pour objectif de faire échapper la société absorbée à sa responsabilité pénale et qu’elle constitue ainsi une fraude à la loi. Dans ce cas, toute peine encourue peut être prononcée. Les juridictions d’instruction ne sauraient en conséquence prononcer une décision de non-lieu fondée sur la dissolution de la société absorbée contre laquelle elles relèvent des charges suffisantes d’avoir commis les faits dont elles sont saisies, sans vérifier, soit d’office, soit à la demande d’une partie qui l’invoque, au besoin en ordonnant un supplément d’information, si les conditions pour exercer des poursuites à l’encontre de la société absorbante ne sont pas susceptibles d’être remplies. Encourt dès lors la cassation l’arrêt de la chambre de l’instruction qui, pour confirmer l’ordonnance de non-lieu du juge d’instruction, retient que la société mise en cause a fait l’objet d’une fusion à une date où, selon la jurisprudence de la Cour de cassation, l’article 121-1 du code pénal s’opposait à ce que la société absorbante soit poursuivie et condamnée pour des faits commis par la société absorbée antérieurement à l’opération de fusion absorption, sans se prononcer sur l’existence d’une éventuelle fraude à la loi »
Source : Cass. crim., 13 avril 2022, n° 21-80.653, au Bull.
… ce qui pour les personnes publiques, en cas de pollution ou d’infractions lors de la passation ou de l’exécution de contrats publics (marchés publics, DSP…) peut ne pas être anodin.
Peut-être inspiré par cet exemple pénal, le Conseil d’Etat vient de prolonger son mouvement engagé en 2000 en posant plus clairement que :
« 1) Le principe de la personnalité des peines ne fait pas, par lui-même, obstacle à ce qu’une sanction disciplinaire, justifiée par les manquements commis par une société ayant par la suite fait l’objet d’une absorption ou d’une fusion, soit prononcée à l’encontre de la société absorbante ou issue de la fusion.
« 2) Il appartient, dans un tel cas, à l’autorité investie du pouvoir disciplinaire d’apprécier, dans le respect du principe de proportionnalité des peines, la nature et le quantum de la sanction qu’il convient d’infliger à la société absorbante en tenant compte des principes dont elle est chargée d’assurer le respect, de la nature des manquements commis par la société ayant fait l’objet de l’absorption ou de la fusion et des circonstances dans lesquelles ces manquements ont été commis.»
Source :
Vous devez être connecté pour poster un commentaire.