Conseil d’Etat : les dauphins vont passer un joyeux Noël

Captures accidentelles de dauphins et marsouins : le Conseil d’Etat  avait décidé en référé, en mars 2023, que force était au Gouvernement  d’agir sous 6 mois pour garantir leur survie dans le golfe de Gascogne.
Et le Conseil d’Etat confirme que c’est au jour qu’il statue que le juge apprécie la légalité de refus par l’administration de prendre des décision.
Il en était résulté un arrêté ministériel…
Or, ce jour, le juge des référés du Conseil d’Etat vient de censurer ledit arrêté, en ce que ce juge suspend les dérogations à la fermeture de la pêche dans le Golfe de Gascogne. 

Au total, si ce sont les pêcheurs qui sortent les dauphins de l’eau, c’est l’Etat qui finit par boire la tasse. 

 

I. Rappels antérieurs à 2023

 

En matière de dauphins, on savait déjà que :

 

 

II. La décision de mars 2023

 

En mars 2023, le juge des référés du Conseil d’Etat réactivait sa décision CE, 8 juillet 2020, n° 429018, précitée, en enjoignant (par une décision au fond assortie d’une injonction, mais sans astreinte) ce jour au Gouvernement de fermer des zones de pêche dans le golfe de Gascogne pour des périodes appropriées, afin de limiter le nombre de décès de dauphins communs, grands dauphins et marsouins communs, victimes de captures accidentelles lors des actions de pêche.

Ces fermetures viendront en complément des dispositifs de dissuasion acoustique par les bateaux de pêche qui ont déjà été déployés. Une estimation fiable du nombre annuel de captures accidentelles devra également être mise en place.

Saisi par trois associations de défense de l’environnement, le Conseil d’État ordonne aujourd’hui au Gouvernement de prendre des mesures, dans un délai de 6 mois, pour limiter les captures accidentelles des petits cétacés par les activités de pêche dans le golfe de Gascogne. Les mesures prises devront permettre de garantir un état de conservation favorable du dauphin commun, du grand dauphin et du marsouin commun, conformément aux obligations issues du droit européen de la pêche et de la directive « Habitats » de 1992.

Sources : 

 

Le juge des référés du Conseil d’État relevait que le nombre de décès par capture accidentelle imputable aux activités de pêche menace la conservation des dauphins et marsouins dans le golfe de Gascogne : depuis 2018, il dépasse chaque année la limite maximale permettant d’assurer un état de conservation favorable en Atlantique Nord-Est selon les différentes estimations disponibles. À ce jour, les trois espèces concernées sont dans un état de conservation défavorable, le dauphin commun et le marsouin commun faisant même face à un danger sérieux d’extinction, au moins régionalement.

 

Le Conseil d’État signalait également, à partir des connaissances scientifiques disponibles, que l’équipement des bateaux de pêche en dispositifs de dissuasion acoustique, déjà engagé ou envisagé par l’État, ne permet pas de réduire suffisamment les captures accidentelles. Il considère, au vu des constatations scientifiques actuelles, que ces mesures de dissuasion ne permettent pas de garantir un état de conservation favorable des espèces de petits cétacés dans le golfe de Gascogne et qu’il est nécessaire de prendre des mesures plus efficaces par la fermeture de la pêche sur des zones et pendant des périodes appropriées.

C’est pourquoi il ordonnait au Gouvernement de prendre des mesures de fermeture de la pêche appropriées sous six mois, en complément des dispositifs de dissuasion acoustique.

 

Le Conseil d’État relève en parallèle que le système de contrôle des captures accidentelles mis en place demeure insuffisant pour connaître encore plus précisément leur ampleur : il laisse persister des niveaux élevés d’incertitude sur la fréquence et les causes des captures accidentelles des cétacés. Pour cette raison, le Conseil d’État ordonne également que, sous six mois, des mesures complémentaires soient prises pour permettre d’estimer de manière plus précise le nombre de captures annuelles de petits cétacés, notamment en poursuivant le renforcement du dispositif d’observation en mer.

 

Les futures tables du rec., telles que préfigurées par celles de la base Ariane, retiennent divers aspects de cette décision selon les entrées desdites tables. Retenons pour notre part deux enseignements parmi les nombreux paragraphes de ces tables :

L’un au regard des règles de pêche maritime et de règlementation européenne (notion de capture notamment) :

«  Il résulte des termes mêmes tant des règlements relatifs à la politique commune de la pêche, qui mentionnent l’impératif de réduction des captures accidentelles à un niveau tel qu’elles ne représentent pas une menace pour l’état de conservation de l’espèce, et énumèrent diverses mesures destinées à favoriser la réduction des captures accidentelles de cétacés, que de la directive « Habitats », dont l’article 12 impose aux Etats membres de mettre en place un système de contrôle des captures accidentelles d’espèces animales protégées et de prendre les mesures de conservation appropriées pour faire en sorte que ces captures involontaires n’aient pas une incidence négative importante sur les espèces en question, que la capture de cétacés relevant d’une espèce protégée, dans le cadre d’une activité de pêche d’autres espèces, ne saurait, sauf si le pêcheur concerné ne respecte pas les règles édictées pour prévenir ces captures, être qualifiée de capture intentionnelle au sens de l’article 12 de la directive « Habitats », prohibée par l’article L. 411-1 du code de l’environnement.»

L’autre en matière de refus d’adopter des mesures de protection complémentaires relatives à la pêche maritime  et d’apprcaiton de la légalité de tels refus à la date à laquelle le juge statue (voir CE, Assemblée, 19 juillet 2019, Association des Américains accidentels, n°s 424216 424217, rec. p. 296 ; CE, 7 février 2020, Confédération paysanne et autres, n° 388649, rec. p. 25) :

« L’effet utile de l’annulation pour excès de pouvoir du refus opposé à une demande tendant à prendre des mesures complémentaires de nature à réduire au minimum les captures accidentelles de petits cétacés à l’occasion des activités de pêche menées dans le golfe de Gascogne réside dans l’obligation, que le juge peut prescrire d’office en vertu de l’article L. 911-1 du code de justice administrative, pour l’autorité compétente, de prendre les mesures jugées nécessaires. La légalité de ce refus doit, dès lors, être appréciée par ce juge au regard des règles applicables et des circonstances prévalant à la date de sa décision. »

Source :

CE, 20 mars 2023, n°449788, 449849, 453700, 459153

dauphin

 

III. L’arrêté Ministériel adopté ensuite

 

Puis fut adopté :

  • l’arrêté du 24 octobre 2023 établissant des mesures spatio-temporelles visant la réduction des captures accidentelles de petits cétacés dans le golfe de Gascogne pour les années 2024, 2025 et 2026 (NOR : PRMM2328560A), que voici :

Ce texte prévoyait 4 semaines de fermeture de la pêche en janvier-février 2024 mais également de très nombreuses dérogations à cette fermeture. 

Le Conseil d’Etat, dans son communiqué résumant son ordonnance, ce jour, résume ainsi ce texte :

« le secrétaire d’Etat chargé de la mer a interdit aux navires de 8 mètres ou plus équipés de certains filets (chalut pélagique, chalut bœuf de fond, filet trémail, filet maillant calé) de pêcher dans le Golfe de Gascogne du 22 janvier au 20 février 2024, 2025 et 2026. Pour l’année 2024, des dérogations sont prévues pour les navires équipés de dispositifs de dissuasion acoustique ou de caméras embarquées, ainsi que des assouplissements en cas de défaillance de ces dispositifs ou pour les armateurs qui se sont engagés à s’en équiper. »

Au final, « seuls quelques dizaines de bateaux devaient être concernés par cette fermeture, la rendant totalement inefficace », selon les requérants. 

 

 

IV. La décision du juge des référés ce jour : suspension de la plupart des dérogations et inclusion des sennes pélagiques (filets utilisés en surface pour encercler les bancs de poissons) dans les techniques frappées de fermeture.

Le Conseil d’Etat, « prenant en compte à la fois l’urgence liée à la conservation des petits cétacés, dont la capture accidentelle ne peut se poursuivre à un niveau qui n’est pas soutenable pendant un hiver supplémentaire, et l’impact de sa décision sur l’activité économique de nombreuses entreprises de pêche »  donne largement raison requérants en suspendant la plupart des dérogations et en incluant les sennes pélagiques (filets utilisés en surface pour encercler les bancs de poissons) dans les techniques frappées de fermeture.

 

Le juge des référés du Conseil d’État au total :

  • constate qu’en effet les dérogations devenaient la généralité en l’espèce vu le caractère très vaste des dérogations
  • rappelle que les évaluations scientifiques indiquent qu’une fermeture de quatre semaines ne permet de se rapprocher d’un niveau de mortalité soutenable des petits cétacés que si elle est appliquée à l’ensemble des activités à risque.
  • relève également que ces dérogations prévues à titre transitoire pour 2024 ne se justifient ni par leur caractère incitatif ni par des contraintes de mise en œuvre.
  • observe par ailleurs que l’arrêté contesté n’inclut pas les sennes pélagiques parmi les engins à risque dont l’utilisation est interdite pendant cette période, alors que ces filets ont été à l’origine d’un nombre important de captures accidentelles de dauphins dans le Golfe de Gascogne entre 2019 et 2021 selon un rapport du conseil international pour l’exploration de la mer (CIEM).
  • note que l’arrêté met fin, sans la compenser par d’autres mesures, à l’expérimentation de dispositifs de dissuasion acoustique accompagnés de caméras embarquées sur des fileyeurs (navires utilisant des filets maillants et emmêlants).

Dès lors, Prenant en compte à la fois l’urgence liée à la conservation des petits cétacés, dont la capture accidentelle ne peut se poursuivre à un niveau qui n’est pas soutenable pendant un hiver supplémentaire, et l’impact de sa décision sur l’activité économique de nombreuses entreprises de pêche, le juge des référés du Conseil d’Etat suspend :

  1. les dérogations prévues pour l’année 2024 à l’interdiction de la pêche dans le Golfe de Gascogne entre le 22 janvier et le 20 février avec filets à risque,
  2. l’exclusion des sennes pélagiques du champ de cette interdiction et
  3. l’abrogation de l’expérimentation concernant les fileyeurs.

En revanche, il maintient l’exonération prévue par l’arrêté pour les navires de moins de 8 mètres et pour l’utilisation des sennes danoises

Voici cette décision :

CE, ord., 22 décembre 2023, n°489926-489932-489949

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Légende : ce que vous voyez en cliquant ci-dessus… est la vidéo d’un dauphin dans les eaux du port de commerce de Brest (29) filmé par mes soins en avril 2023… Ce n’est pas pas (ou plus ?) un animal domestique mais bien… un animal vivant dans le monde sauvage, qui s’amusait à aller voir les humains