Transferts de compétences et obligations nées d’événements antérieurs : une nouvelle et importante jurisprudence

ARTICLE ÉCRIT PAR ME Salah SMIMITE,
AVOCAT AU SEIN DU PÔLE TEI DE NOTRE CABINET 

 

Résumé : le transfert par une commune de compétences à un établissement public de coopération intercommunale implique la substitution de plein droit de cet établissement à la commune dans l’ensemble de ses droits et obligations attachées à cette compétence, y compris lorsque ces obligations trouvent leur origine dans un événement antérieur au transfert (CE, 2 novembre, 28 novembre 2023, communauté d’agglomération de la Provence Verte, n°471274)

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Nos billets rabâchent l’évidence selon laquelle le transfert de compétence entraîne le transfert automatique de l’ensemble des droits et obligations liées à l’exercice de la compétence (art. L.5211-5 du CGCT).

Devant la généralité de ces dispositions, la jurisprudence s’est attachée à déterminer l’étendue et les conditions de ces transferts. En ce qui concerne le «  droit commun » des transferts, le Conseil d’Etat avait ainsi jugé que la collectivité compétente avant le transfert continuait à assumer la responsabilité des actes pris antérieurement au transfert et pouvait ainsi demander réparation d’un préjudice propre subi avant le transfert (CE, 8 juillet 1996, Cne de la Bresse, n° 128579). En revanche, tous les droits et obligations sont transférés lorsqu’ils s’attachent à un contrat qui continue à produire ses effets postérieurement au transfert (CE, 26 février 2014, Sté Véolia, n° 365151 ; CE, 3 décembre 2014, Sté Citelum, n° 383865, T.).

S’agissant plus particulièrement du transferts des obligations, il était généralement admis qu’il n’existait pas de principe général du droit qui voudrait que, même sans texte, le  transfert d’une  compétence entre deux personnes publiques implique systématiquement le transfert des obligations nées de l’exercice antérieur de cette  compétence  (v. not. ccl de Mme Cortot-Boucher sur CE, 25 mars 2016,  Cne la Motte-Ternant , n° 386623, ; M. Pellissier sur CE, 19 décembre 2014,  Cne de Propriano , n° 368294, voir aussi CE, 4 mai 2011, Communauté de communes du Queyras, n° 340089, rec. p. 200).

Mais alors, qui est donc responsable de dommages causés avant un transfert de compétence ? Les faits suivants ont permis de fixer la réponse : une habitation a subi des dommages à la suite d’inondations dues à des épisodes pluvieux. Une expertise a estimé que les préjudices étaient liées à une détérioration et au sous-dimensionnement du réseau de canalisation et d’évacuation des eaux de pluie. A l’époque des dommages, c’était la commune qui gérait les équipements. Mais depuis le 1er janvier 2020, et en application de la loi NOTRE, la compétence gestion des eaux pluviales (et donc les équipements liées à cette compétence) a été transférée aux communautés d’agglomération.

Si l’on se fondait sur de précédents arrêts (v. not.CAA Marseille, 7  décembre 2021, n° 20MA03079 ; CAA Paris, 26 septembre 2022, n° 21PA00869), seule la responsabilité de la communauté d’agglomération était susceptible d’être engagée dès lors que c’est à elle seule d’assumer l’intégralité des droits et obligations liées à l’exercice de la compétence. Et ce, même si les dommages étaient antérieurs au transfert.

Pour trancher le litige, la CAA de de Marseille (7 décembre 2022, n°20MA04077) a suivi le même raisonnement mais cette fois-ci en se fondant sur l’article 133 de la loi NOTRE qui dispose que

: « XII. – Sauf dispositions contraires, pour tout transfert de compétence ou délégation de compétence prévu par le code général des collectivités territoriales, la collectivité territoriale ou l’établissement public est substitué de plein droit à l’Etat, à la collectivité ou à l’établissement public dans l’ensemble de ses droits et obligations, dans toutes ses délibérations et tous ses actes. ».

Selon le rapporteur public du Conseil d’Etat, cette interprétation était cependant entachée d’une erreur de droit. D’après M. Nicolas Labrune, la cour se serait en effet «

« [mépris] sur la portée du XII de l’article 133 de la  loi NOTRE »

Se fondant sur les travaux parlementaires, il estimait au contraire que cette règle de  substitution de plein droit ne trouvait à s’appliquer qu’aux seules obligations contractuelles des  collectivités, et

« n’avait ni pour objet ni pour effet de procéder à un transfert général de la  responsabilité extracontractuelle. » 

Mais c’est pourtant bel et bien la solution de la cour qu’a finalement décidé de retenir le Conseil d’Etat.  Ne suivant pas les conclusions du rapporteur public, les juges du Palais-Royal ont en effet jugé qu’il résultait de l‘article 133 de la loi NOTRE que :

 «  (…) sauf dispositions législatives contraires, le transfert de compétences par une collectivité territoriale à un établissement public de coopération intercommunale, effectué sur le fondement des dispositions du code général des collectivités territoriales, implique la substitution de plein droit de cet établissement à la collectivité dans l’ensemble de ses droits et obligations attachés à cette compétence, y compris lorsque ces obligations trouvent leur origine dans un événement antérieur au transfert. Par suite, en jugeant que la communauté d’agglomération de la Provence Verte a été substituée à la commune de Pourrières dans les obligations attachées à la compétence du service public de gestion des eaux pluviales en raison du transfert de cette compétence, et en condamnant, par suite, la communauté d’agglomération à verser à M. A… la somme de 15 745,19 euros en réparation de ses préjudices au titre de la responsabilité sans faute du maître de l’ouvrage public, la cour, qui a suffisamment motivé son arrêt, n’a pas commis d’erreur de droit. » 

D’où le futur résumé des tables du rec. ainsi formulé :

« Il résulte du premier alinéa du XII de l’article 133 de la loi n° 2015-991 du 7 août 2015 que, sauf dispositions législatives contraires, le transfert de compétences par une collectivité territoriale à un établissement public de coopération intercommunale, effectué sur le fondement des dispositions du code général des collectivités territoriales (CGCT), notamment de son article L. 5211-5, implique la substitution de plein droit de cet établissement à la collectivité dans l’ensemble de ses droits et obligations attachés à cette compétence, y compris lorsque ces obligations trouvent leur origine dans un événement antérieur au transfert. Une communauté d’agglomération substituée à l’une de ses communes dans les obligations attachées à la compétence de gestion des eaux pluviales urbaines en raison de son transfert peut donc être condamnée à réparer des préjudices subis antérieurement au transfert de compétence au titre de la responsabilité sans faute du maître d’un ouvrage public de gestion de ces eaux.»

 

La solution, bien que parfaitement logique en droit, pourrait sembler assez inique aux yeux des EPCI. Ces derniers pourraient alors être tentés d’engager une action visant à obtenir la contribution des communes à la charge de la réparation (action en garantie ou action récursoire)

. A notre connaissance, aucune décision ne tranche explicitement le point de savoir si de tels recours pourraient être accueillis. On peut toutefois rappeler qu’en matière de droit de la fonction publique le Conseil d’Etat avait jugé que :

«  La collectivité au service de laquelle se trouvait l’agent lors de l’accident de service doit supporter les conséquences financières de la rechute consécutive à cet accident, alors même que cette rechute est survenue alors qu’il était au service d’une nouvelle collectivité ; que la collectivité qui employait l’agent à la date de l’accident doit ainsi prendre en charge non seulement les honoraires médicaux et les frais exposés par celui-ci qui sont directement entraînés par la rechute mais aussi le remboursement des traitements qui lui ont été versés par la collectivité qui l’emploie à raison de son placement en congé de longue maladie, dès lors que ce placement a pour seule cause la survenue de la rechute consécutive à l’accident de service ; que si la collectivité qui l’emploie est tenue de verser à son agent les traitements qui lui sont dus, elle est cependant fondée à demander à la collectivité qui l’employait à la date de l’accident, par une action récursoire et non une action subrogatoire dès lors que la collectivité au service de laquelle se trouvait l’agent lors de son accident de service ne saurait être regardée comme le tiers ayant provoqué l’accident au sens des dispositions précitées du 2° de l’article 57 de la loi du 26 janvier 1984, le remboursement des traitements qu’elle lui a versés consécutivement à sa rechute, ce jusqu’à la reprise de son service par l’agent ou jusqu’à sa mise à la retraite ; »

La doctrine administrative (v. QE n° 49125, JOAN, 22/07/2014 page : 6206) a pu – un peu rapidement – estimer que cette solution était transposable à un transfert de compétence entre une commune et un EPCI :

 » En vertu de l’article L. 5211-4-1 du code général des collectivités territoriales, le transfert des compétences de la commune vers l’établissement public de coopération intercommunale (EPCI) s’accompagne du transfert des agents concourant à leur exercice. Les agents transférés n’ont plus de lien avec la commune ayant prononcé l’imputabilité mais relèvent de l’EPCI. Même si la procédure de mutation diffère de celle du transfert, l’issue est identique puisqu’elles se concluent toutes les deux par un changement d’employeur. Dans la mesure où ce n’est pas l’autorité ayant prononcé l’imputabilité qui est transférée mais une partie de ses compétences, elle reste responsable de l’accident et de la rechute en découlant. En conséquence, une distinction entre le transfert et la mutation ne peut se justifier en matière d’action récursoire que l’EPCI est fondé à engager envers la commune auprès de laquelle s’est produit l’accident de service. »

Nous serons toutefois plus mesurés dans nos conjectures. Les textes prévoient en effet la « substitution » des EPCI aux communes, ce qui implique à notre sens que les communautés doivent seuls répondre des conséquences dommageables liées à l’exercice des compétence. Et c’est d’ailleurs le sens d’un arrêt rendu par la CAA de Lyon (18/07/2019, n°17LY02770 ; v. ég. dans le même sens, CAA Marseille, 7  décembre 2021, n° 20MA03079, précité) qui a jugé que :

« 4. Il résulte de ces dispositions que le transfert par une commune de compétences à un établissement public de coopération intercommunale implique le transfert des biens, équipements et services nécessaires à l’exercice de ces compétences, ainsi que les droits et obligations qui leur sont attachés y compris lorsque ces obligations trouvent leur origine dans un événement antérieur au transfert. La communauté de communes des Monts-du-Lyonnais a indiqué à la cour, à la suite d’une mesure d’instruction, que, par délibération du 18 décembre 2018, elle exerçait au lieu et place des communes, pour la conduite d’actions d’intérêt communautaire, la compétence  » création, aménagement et entretien de la voirie d’intérêt communautaire  » et a précisé que  » relèvent de l’intérêt communautaire l’ensemble des voies communales pour les communes de la communauté de communes des Monts du Lyonnais  » et qu’à ce titre, l’impasse des roches est une voirie d’intérêt communautaire. Il s’ensuit que depuis le transfert de compétences et de biens, seule la responsabilité de la communauté de communes des Monts-du-Lyonnais, substituée à la commune de Saint-Laurent-de-Chamousset, est susceptible d’être engagée à raison de dommages de travaux publics résultant des travaux de voirie entrepris dans l’impasse des Roches alors même que tout ou partie du dommage allégué résultant de l’exercice de cette compétence aurait été occasionné antérieurement au transfert. En conséquence, la commune de Saint-Laurent-de-Chamousset devant être mise hors de cause, c’est à tort que les premiers juges ont estimé qu’elle devait être condamnée in solidum avec la communauté de communes des Monts du Lyonnais à réparer, sur le fondement des dommages de travaux publics, les préjudices subis par Mme A…du fait des travaux publics entrepris impasse des Roches. »

Cette décision nous conduit donc à réitérer nos habituelles recommandations : veillez, dans la mesure du possible, à bien lister l’ensemble des conséquences induites par un transfert de compétence (contrats, personnels, biens…), y compris donc les événements antérieurs au transfert qui seraient susceptibles d’engager la responsabilité extracontractuelle de la collectivité nouvellement compétente.

Source :

Conseil d’État,28 novembre 2023, Communauté d’agglomération de la Provence Verte, n° 471274, aux tables du recueil Lebon

Voir aussi les conclusions de M. Nicolas LABRUNE, Rapporteur public :