Par un arrêt M. B… c/ ministre de l’éducation nationale en date du 18 octobre 2024 (req. n° 470016), le Conseil d’État a considéré que lorsqu’un agent fait l’objet d’une mesure de contrôle judiciaire l’empêchant d’exercer ses fonctions, l’administration peut légalement interrompre le versement de son traitement pour absence de service fait. Elle n’est en effet, dans une telle situation, obligée ni de suspendre l’agent en cas de faute grave dans l’attente d’une mesure disciplinaire, ni de lui attribuer provisoirement une autre affectation ou de le détacher dans un autre corps ou cadre d’emplois compatible avec les prescriptions du contrôle judiciaire.
Ce faisant, cet arrêt étend au contrôle judiciaire ce qui était déjà consacré pour l’agent incarcéré (voir CE, 25 octobre 2002, Ministre de l’intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales, req. n° 247175, Rec. tables, p. 796).
Par une ordonnance du 9 septembre 2014 de la vice-présidente du tribunal de grande instance de Brest, M. B…, professeur agrégé d’histoire et de géographie au collège de l’Harteloire dans cette même ville, a été placé sous contrôle judiciaire avec interdiction, notamment, de se livrer à toute activité d’enseignement à l’égard de mineurs ou le mettant en relation avec des mineurs. M. B…, qui était en congé de maladie du 2 au 15 septembre 2014, a été informé par l’administration que sa rémunération serait suspendue à compter de cette dernière date. Par un jugement du tribunal correctionnel de Brest du 15 février 2018, il a été condamné à une peine d’un an d’emprisonnement avec sursis et à une peine complémentaire d’interdiction d’exercer une activité professionnelle ou bénévole impliquant un contact habituel avec des mineurs, pour une durée de trois ans. Par un arrêté du 13 juillet 2018, non contesté, le ministre de l’éducation nationale a prononcé sa révocation.
Par un jugement du 15 septembre 2021, le tribunal administratif de Rennes a rejeté la demande de M. B… tendant à la condamnation de l’État à lui verser une indemnité d’un montant total de 220 000 euros en réparation des préjudices qu’il soutenait avoir subis du fait de fautes commises par l’administration entre le 15 septembre 2014 et la date de sa révocation. Par un arrêt litigieux du 25 octobre 2022, la cour administrative d’appel de Nantes a annulé ce jugement, condamné l’État à verser à M. B… une indemnité de 5 000 euros au titre de son préjudice moral et rejeté le surplus des conclusions de sa demande.
Saisi d’un pourvoi en cassation, le Conseil d’État a refusé de faire droit aux conclusions de M. B….
Pour ce faire, il a considéré qu’il résulte des dispositions de l’article 30 de la loi du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires, désormais codifié aux articles L. 531-1 et suivants du code général de la fonction publique, dans sa version applicable jusqu’à l’entrée en vigueur de la loi du 20 avril 2016 « que l’autorité ayant le pouvoir disciplinaire peut suspendre un fonctionnaire ayant commis une faute grave mais doit, à l’expiration d’un délai de quatre mois, le rétablir dans ses fonctions si aucune décision n’a été prise par elle à son encontre, sauf s’il fait l’objet de poursuites pénales. Lorsque tel est le cas, l’autorité administrative peut le rétablir dans ses fonctions si les mesures décidées par l’autorité judicaire ou l’intérêt du service n’y font pas obstacle, ou, depuis la modification issue de la loi du 20 avril 2016, lui attribuer provisoirement une autre affectation ou procéder à son détachement, ou encore prolonger la mesure de suspension en l’assortissant, le cas échéant, d’une retenue sur traitement. Ces mêmes dispositions ne font cependant pas obligation à l’administration de prononcer la suspension qu’elles prévoient à l’encontre d’un agent empêché de poursuivre ses fonctions du fait de mesures prises dans le cadre d’une enquête ou procédure pénales, ni de lui attribuer provisoirement une autre affectation ou de le détacher dans un autre corps ou cadre d’emploi, et ne l’empêchent pas d’interrompre, indépendamment de toute action disciplinaire, le versement de son traitement pour absence de service fait, notamment dans le cas où il fait l’objet d’une incarcération ou d’une mesure de contrôle judiciaire lui interdisant d’exercer ses fonctions. »
Or, poursuit le Conseil d’État, « il ressort des énonciations de l’arrêt attaqué que, après avoir relevé que M. B… avait fait l’objet, pendant trois ans et demi, d’une mesure de contrôle judiciaire lui interdisant notamment de se livrer à toute activité d’enseignement à l’égard de mineurs, et donc d’accomplir le service de professeur en lycée auquel il était régulièrement affecté et de recevoir la rémunération correspondante, la cour a jugé que l’absence de service fait était imputable à l’administration, dès lors que celle-ci n’avait pas recherché puis proposé à ce fonctionnaire une autre affectation, compatible avec les prescriptions de son contrôle judiciaire, ni pris une mesure de suspension, ainsi qu’elle pouvait choisir de le faire. Il résulte cependant de ce qui a été dit au point 3 que l’administration n’était tenue, ni de lui confier d’autres fonctions ou missions compatibles avec le contrôle judiciaire auquel il était soumis, ni de prendre à son égard une mesure de suspension. Dès lors, en jugeant que l’Etat avait, par son abstention, commis une illégalité fautive, la cour a commis une erreur de droit. »
Jugeant le litige au fond, le Conseil d’État conclut de ce qui précède que « l’État a pu, sans commettre de faute, constater l’absence de service fait par M. B… en s’abstenant de lui proposer une autre affectation compatible avec son contrôle judiciaire et en ne prononçant pas sa suspension. Dès lors, M. B… n’est pas fondé à soutenir que c’est à tort que, par le jugement du 15 septembre 2021, le tribunal administratif de Rennes a rejeté sa demande tendant à la réparation des préjudices financier et moral qu’il estime avoir subis en conséquence. »
Cet arrêt peut être consulté à partir du lien suivant :
https://www.conseil-etat.fr/fr/arianeweb/CE/decision/2024-10-18/470016
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