C’est un des grands principes qui régissent le droit des services publics : les usagers doivent être traités sur un pied d’égalité, sans discrimination, s’ils dans la mesure où ils se trouvent dans des situations comparables au regard du service. Cette égalité des usagers est en premier lieu l’égalité d’accès aux services publics locaux.
I. en règle générale, des discriminations tarifaires conditionnées à une différence de situation face au service
Inversement, un certain nombre de discriminations sont autorisées quand elles répondent à des différences de situation face au service : fixation des tarifs des tickets de restauration scolaire selon le quotient familial ou selon le lieu d’habitation et/ou de contribution… De même une commune a-t-elle pu fixer des tarifs distincts selon que les repas étaient, ou non, commandés avec une certaine avance.
Sources : CE Sect., 9 mars 1951, Soc. concerts du conservatoire, 92004 ; CE 10 mai 1974, Denoyez et Chorques, Rec. p. 274 ; CE 20 novembre 1964 Nanterre, n° 57435 ; CE 9/3/98 Marignane, 158334 ; CE 26/7/96 Narbonne Libertés 89, 130363 ; CE 10/2/93 La Rochelle, n° 95863 ; TA Versailles 10/4/98 Aussant c/ Sannois, n° 97654 ; CE 25/10/02, X c/ Orange, n° 251161 ; CE, 3ème sous-section jugeant seule 23 octobre 2009, req. n° 329076….
Avec une règle particulière : en cas de service public administratif facultatif, il est toujours possible de moduler la tarification selon le quotient familial, du moment que le tarif le plus élevé n’excède pas le prix de revient du service.
Sources : art. 147 loi n°98-657 du 29/7/98 ; CE, 20 janvier 1989, CCAS de la Rochelle, Rec. p. 8 ; CE, 18 mars 1994, Mme Dejonckeere, Rec. p. 762 et CE, 29 décembre 1997, Communes de Gennevilliers et de Nanterre, Rec. p. 499.
II. en l’espèce, pas de différence de situation de nature à justifier des tarifs au quotient familial, selon le TA
C’est dans ce cadre qu’il est très intéressant qu’un tribunal administratif, celui de Grenoble, ait annulé, il y a trois jours, la délibération du conseil municipal de Grenoble instituant des tarifs de stationnement résident fondés sur le quotient familial (TA Grenoble, 14 février 2017, Mme E… A…, n°1603667 ; ci-dessous accessible par un lien en fin d’article).
Le juge a estimé que s’il existe, entre les résidents et les non-résidents, une différence de situation de nature à justifier des tarifs de stationnement réduits pour les premiers, le quotient familial des résidents ne peut être un critère légal pour justifier une tarification différenciée.
Un jugement à suivre (sera-t-il confirmé à hauteur d’appel, à supposer qu’il y ait appel ?), car la tarification sociale dans des services publics qui n’ont pas de lien avec les dimensions sociales est une pratique qui se répand considérablement ces temps-ci.
Plus précisément, le juge estime qu’en matière d’occupation privative des voies publiques le quotient familial n’est pas un paramètre pertinent fondant une situation objectivement différente, à cette aune du stationnement donc :
« Considérant que s’il existe entre les riverains des voies publiques classées en zone de stationnement payant et les autres usagers une différence de situation de nature à justifier, sans méconnaître le principe d’égalité devant les charges publiques que des tarifs de stationnement réduits soient offerts aux résidents, en revanche les montants des quotients familiaux des résidents ne révèlent pas des situations objectivement différentes, en lien avec l’occupation privative des voies publiques justifiant des traitements particuliers ; qu’aucune nécessité d’intérêt général en rapport avec la réglementation du stationnement des véhicules le long des voies publiques ne permet de justifier la fixation des tarifs de stationnement « résidents » en fonction des ressources des familles ;
III. Un jurisprudence qui deviendra obsolète avec la bascule du droit du stationnement de surface au premier janvier 2018 ?
Mais ce jugement constate que la ville de Grenoble ne pouvait pas non plus appliquer le droit propre aux services publics administratifs facultatifs, lesquels peuvent toujours être fondés sur le quotient familial en vertu de l’article 147 de la loi n°98-657 du 29/7/98, précité.
En effet, ce jugement se fonde sur le fait que la :
« la réglementation du stationnement des véhicules le long des voies publiques classées en zone de stationnement payant ne saurait être qualifiée de service public »
… puisque c’est là l’intervention non d’un service public mais d’un pouvoir de police, comme le note ensuite le TA :
« ne s’agissant pas d’un service public, une telle tarification ne peut pas non plus être regardée comme la conséquence nécessaire des dispositions de l’article 147 de la loi du 29 juillet 1998 d’orientation relative à la lutte contre les exclusions qui permet de fixer les tarifs des services publics administratifs à caractère facultatif en fonction du niveau du revenu des usagers et du nombre de personnes vivant au foyer ;»
Historiquement, le stationnement de surface sur voirie relève en effet des pouvoirs de police du maire (au contraire des parcs de stationnement qui sont, eux, des SPIC susceptibles d’être délégués), avec quelques subtilités jurisprudentielles.
Sources : TA Lyon, 6 déc. 1999, Sté SPIE Park Bourg-en-Bresse ; CAA Bordeaux, 29 mai 2000, Sté auxiliaire parcs, req. n° 96BX01642 ; CE, 7 mai 2013, Société auxiliaire de parcs de la région parisienne, req. n°365043. Voir aussi M. Dreifuss, Service de stationnement payant et délégation de service public, AJDA 2001, p. 129 et circulaire n° 82-111 du 15 juillet 1982.
Mais cet état du droit changera au 1er janvier 2018 : à cette date le régime des redevances de stationnement changera, et ces droits seront de vraies redevances. Le maire conserve ses pouvoirs de police générale, mais le stationnement payant de surface deviendra bien une compétence du conseil municipal, intercommunalisable, susceptible de redevance, et dont les méconnaissances sont partiellement dépénalisées…
Sources : article 63 de la loi MAPTAM du 27 janvier 2014 ; art. 45 de la loi n° 2015-1785 du 29 décembre 2015 de finance pour 2016. Voir aussi CE, sous-sections réunies, 8 juin 1994, M. Audouin, req. n° 107486, ainsi que l’article L. 2331-4 du CGCT.
IV. mais une jurisprudence qui pourrait, par analogie, inspirer des décisions rigoureuses face à la tarification sociale des SPIC, qui se répand ces temps-ci ?
Cette jurisprudence, en matière de stationnement de surface, sera-t-elle destinée à n’être plus valable après le premier janvier 2018 ? il est possible, à tout le moins, de le défendre… Mais ce jugement, s’il est confirmé par d’autres décisions, sera sans doute encore transposable (par analogie) dans le domaine des SPIC où la tarification sociale connaît un essor important même dans les domaines où aucun texte ne le permet et où la différence de quotient familial risque de ne pas être toujours considérée comme une différence de situation au titre dudit SPIC…
Voici ce jugement :
1603667-anon_compl