Ne nous prononçons pas sur le recrutement de personnel par les députés ou les sénateurs au titre de leurs fonctions parlementaires. La presse, et bientôt le Parquet, nous éclaireront sur ce sujet.
Mais la question se pose aussi, de manière moins connectée à l’actualité immédiate, au titre des fonctions en mairie.
Et la réponse est simple, claire, directe, abrupte même : C’EST NON. C’est illégal d’une part et c’est du pénal d’autre part… et si le droit permet parfois de s’en sortir (le maire se faisant remplacer par un autre élu désigné par l’assemblée délibérante), c’est au prix ensuite d’un suivi acrobatique, en droit, de la gestion de la carrière et du service de cet agent ayant des liens familiaux avec l’élu.
Ce blog a souvent traité des prises illégales d’intérêts :
https://blog.landot-avocats.net/?s=prise+illégale+d%27intérêt
Et l’auteur de ces lignes se permet même sur ce point de renvoyer à sa propre thèse de doctorat en droit consacrée à ce sujet :
- L’interet personnel des elus locaux en droit administratif francais
- L’interet personnel des elus locaux en droit … – Librairie Dalloz
- Amazon.fr – L »intérêt personnel des élus locaux en droit administratif …
- these Eric LANDOT : L’interet personnel des elus locaux en droit …
Rappelons deux ou trois bases en ce domaine : ce délit sanctionné par l’article 432-12 du Code pénal vise à écarter, aux termes de Portalis (un des grands juristes des codes napoléoniens), « jusqu’au soupçon de mêler des vues d’intérêt privé avec les grands intérêts publics confiés à leur sollicitude ».
Tout agent public, au sens très large de l’expression, sera coupable dès qu’il aura ait pris, reçu ou conservé un intérêt quelconque (même moral) « dans une entreprise ou dans une opération dont [il avait], au moment de l’acte, en tout ou partie, la charge d’assurer la surveillance, l’administration, la liquidation ou le paiement ».
En ce domaine, il faut donc se référer à cet article 432-12 du Code pénal (prise illégale d’intérêts) combiné (et, même, additionné) avec les règles des articles L. 2131-11 et L. 2122‑26 du Code général des collectivités territoriales (CGCT). D’autres règles comparables se retrouvent avec des champs d’application plus particuliers (telle les règles de l’article L. L214-9 du Code forestier, celles relative aux avocats au titres des articles 117 à 122-2 du décret 91‑1197 du 27 novembre 1991, ou celle de l’article 1596 du Code civil ; l’article L. 422-7 du Code de l’urbanisme, etc.).
La prise illégale d’intérêts ne sanctionne pas que des cas manifestes de fraude : c’est une redoutable arme contre les élus honnêtes et les cadres territoriaux irréprochables. En effet, le juge a une vision extrêmement extensive de cette infraction :
- une personne sera supposée avoir l’administration ou la surveillance d’une affaire publique, au sens de l’article 432-12 du Code pénal, dès lors qu’il a en charge un domaine en pratique, même par simple bonne volonté en dehors de toute délégation de signature ou de compétence à cet effet ;
- l’intérêt personnel sanctionnable pourra être, selon le juge, « moral », c’est-à-dire qu’on peut être intéressé non pour son patrimoine matériel, mais pour l’intérêt que l’on porte à autrui, membre de sa famille ou autre. Dès lors ont été sanctionnés des édiles qui auraient du se déporter parce qu’un de leurs familiers se présentait à un poste à pourvoir, ou parce que la commune omettait de percevoir une redevance d’un beau-frère du maire garagiste dont les voitures occupaient la chaussée alors même que ladite redevance n’avait jamais été payée sous aucune municipalité précédente, nul n’ayant envisagé que cette occupation du domaine pût donner lieu à perception d’une redevance dans le village. Etc.
Restent quelques dérogations atténuant la rigueur de cette infractions dans les communes de moins de 3 500 habitants.
En termes de légalité administrative, pour les exécutifs locaux : il ne suffit donc pas de « sortir de la salle » en suivant à la lettre les articles L. 2131-11, L. 2541-17 L. 2122-26 du CGCT (ainsi que les art. L. 421‑2‑5 et L. 315‑1‑1 du Code de l’urbanisme ou les dispositions comparables du code forestier).
En effet, toute délibération ou décision susceptible de constituer cette infraction de l’article 432-12 du Code pénal est illégale de plein droit.
ATTENTION car ce qui sera appréhendé par le juge, c’est la possibilité qu’il y ait conflit d’intérêts… même si l’élu « y perd ».
Sources : Cass. crim., 15 décembre 1905, Lanoix :D., 1907‑1‑195. Pour un autre cas, concernant un agent : CA Rennes, 13 décembre 1994, Dép. du Finistère : D. 1997, Jurisp. p. 361, note J. Bénoit. Cass. crim., 23 février 1988,Petit (cité par A. Vitu, Jurisclasseur pénal, art. 432‑12, 1999, n. 19. Voir aussi p. ex. Trib. corr. Poitiers, 19 mars 1980, X. : J.C.P., 1980, II, n. 19409, note R. de Lestang ou Trib. corr. Valence, 30 juin 1987, Faiella : G.P., n. 296‑297, 23, 24 octobre 1987, p. 12. Voir aussi Cass. crim., 25 juin 1996 : Bull. crim. 273.
Or, dans ce cadre, cela fait belle lurette que le juge pénal sanctionne l’élu qui recrute des membres de sa famille au titre de l’article 432-12 du Code pénal (voir par exemple Tbl. corr. Meaux, 19 octobre 2006, C., CM-4011).
L’arrêt de référence sur ce point sera : Cass. crim., 22 sept. 1998, Tepa Taratiera : Droit pénal, 1999 n° 21 (intérêt pour la signature d’un contrat d’embauche d’une sœur).
N.B. : dans certains cas, il est possible de sécuriser ces recrutement si l’élu n’est pas directement le décideur en ce domaine… mais c’est à manier avec précaution et cela rend très difficile tout suivi ou tout déroulement de carrière nonobstant les possibilités de se faire remplacer prévues par le CGCT…
Autre exemple : le TA de la Guadeloupe a censuré, comme nous l’avions évoqué alors dans le présent blog (mais force est d’y revenir, l’actualité ayant conduit à de nombreuses saisines de notre cabinet…) le recrutement par un maire de son enfant en tant que directeur de cabinet (nonobstant la liberté de recrutement sur de tels emplois), d’autant que cette personne a, à cette occasion, eu une carrière éclair, doublant son traitement.
Voici ce jugement :
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Voici des années (au moins depuis une série d’arrêts de 1996 et de 1999…) que le droit est devenu clair sur ces sujets (et, en réalité, il l’est à peu près depuis… 1905). D’aucuns pourraient donc penser que chacun, plus ou moins informé désormais, allait se plier à ces règles nonobstant leur rigueur peut-être excessive.
Mais que nenni.. car l’histoire nous prouve que n’ont pas fini d’être alimentés blogs, chroniques, et prétoires en ces domaines.
La preuve ? Au niveau national nous invitons nos lecteurs qui seraient distraits à s’informer du point de savoir si par hasard l’actualité ne serait pas féconde ces temps ci sur ce point.
Au niveau local, l’ennui est également à bannir. En effet, le plus jeune maire de France, par ailleurs étudiant en droit, semble avoir contracté, au nom de la commune, et sans délibération, avec l’agence immobilière de sa mère :
http://www.lexpress.fr/actualite/politique/le-plus-jeune-maire-de-france-mis-en-examen_1876237.html
La relève est assurée…
Mais bon regardons confiants l’avenir, car l’immense majorité des élus applique à la lettre cette exhortation du cardinal de Richelieu :
« Les intérêts publics doivent être l’unique fin du Prince et de ses conseillers ou du moins les uns et les autres sont obligés de les avoir en si singulières recommandations qu’ils les préfèrent à tous les particuliers » (Testament politique, première phrase du chapitre III).
En ces temps troublés, il est bon de le rappeler.