Création d’une nouvelle commune (à ne pas confondre avec la notion de « commune nouvelle »): il faut, d’une part, consulter le CT et, d’autre part, recommencer l’enquête publique en cas de changement important de circonstances, vient de poser, en un intéressant jugement, le TA de La Réunion, par lequel a été censuré l’arrêté de création de la 25e commune de l’Ile. Une affaire où nous étions l’avocat de la requérante.
Cette commune, « La Rivière », créée par scission de la commune de St Louis, devra donc, si le processus d’érection d’une nouvelle commune doit être repris, recommencer au stade de l’enquête publique et ce, cette fois, sans omettre de consulter le comité technique. Si le conseil municipal de St Louis et le Préfet veulent reprendre la procédure, l’échéance de 2018 est impossible, celle de 2019 très très difficile, l’échéance de 2020 semble faisable.
C’est un intéressant jugement que vient de rendre le TA de La Réunion. D’ailleurs, départissant de sa traditionnelle politique d’économie des moyens, ce jugement censure l’arrêté préfectoral de création d’une nouvelle commune non pas sur un des moyens de la requête, mais sur deux d’entre eux. Ce qui permet de donner à l’administration un vrai mode d’emploi de cette procédure si la commune de Saint-Louis et la Préfecture le souhaitent.
I. Pas de création d’une nouvelle commune sans consultation du comité technique et ce vice de procédure n’est pas « Danthonysable »
Le présent blog a déjà souligné qu’en cas de création d’une « commune nouvelle » (une forme fusion de communes donc, instaurée par la loi du 16 décembre 2010), le TA de Rennes a imposé, au nom de l’article 33 de la loi du 26 janvier 1984 modifiée, que le comité technique (CT ; anciennement « CTP ») , soit consulté (TA Rennes, 15 juin 2017, Assoc. Mariage Forcé et Terroir de Bretagne, n°160139 – voir Pas de commune nouvelle sans consultation des Comités techniques).
Une nouvelle commune n’est pas une commune nouvelle. Une nouvelle commune est la création d’une commune par séparation d’une commune existante, une scission, et non une fusion.
Mais ceci posé, la parenté de raisonnement entre la scission de communes (érection d’une nouvelle commune) ou la fusion de communes (une commune nouvelle), quant à l’obligation de demander leur avis aux agents, s’impose. Nous serions même tenté d’ajouter qu’à ce stade, la consultation ne nous semble légale que si l’on présente aux agents un plan précis de scission des équipes, alors que dans ce dossier de scission de la commune de Saint Louis, à La Réunion, un tel plan n’était même pas prévu à la date de l’audience…
Précisons aussi que, s’agissant d’un vice de procédure, s’applique la grille de lecture donnée en ce domaine par le célèbre arrêt Danthony (CE Ass., 23 décembre 2011, n°335033). En application de cette jurisprudence, un vice de procédure n’entraîne l’illégalité d’une décision que s’il a privé les intéressés d’une garantie ou a été susceptible d’influencer le sens de la décision… mais l’omission de la consultation d’un CT consiste justement en une privation d’une garantie au sens de cet arrêt Danthony lui-même (qui portait précisément sur un tel vice).
Sur ce point, grâces soient rendues à ce TA qui a rendu un jugement précis indiquant à quel stade (avant la délibération du conseil municipal ou avant l’arrêté préfectoral ?) ce CT devait être consulté :
Considérant, en second lieu, que la légalité de l’arrêté du préfet autorisant, en application des dispositions du code général des collectivités territoriales citées au point 3, la création d’une commune nouvelle par détachement d’une portion du territoire d’une commune existante est subordonnée, notamment, à la régularité de la délibération préalable par laquelle le conseil municipal a donné son avis sur le projet en cause en application de l’article L. 2112-4 de ce code ; qu’aux termes de l’article 33 de la loi du 26 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique territoriale, dans sa rédaction en vigueur à la date de l’arrêté attaqué : « Les comités techniques sont consultés pour avis sur les questions relatives : 1° A l’organisation et au fonctionnement des services ; 2° Aux évolutions des administrations ayant un impact sur les personnels ; 3° Aux grandes orientations relatives aux effectifs, emplois et compétences ; 4° Aux grandes orientations en matière de politique indemnitaire et de critères de répartition y afférents ; (…) 6° Aux sujets d’ordre général intéressant l’hygiène, la sécurité et les conditions de travail. / (…) Les incidences des principales décisions à caractère budgétaire sur la gestion des emplois font l’objet d’une information des comités techniques (…) » ; qu’il résulte de ces dispositions que cette délibération du conseil municipal doit être précédée d’un avis du comité technique attaché à la commune ;
Considérant qu’il ressort des pièces du dossier que ni la délibération du conseil municipal de Saint-Louis du 2 décembre 2009 approuvant le principe de la création de la commune de La Rivière, ni aucune des autres délibérations par lesquelles le conseil municipal a statué sur les modalités de ce projet n’ont été précédées de la consultation du comité technique de la commune, alors même que ce projet est susceptible d’affecter les conditions de travail de plusieurs centaines d’agents ; que le préfet de La Réunion ne saurait utilement se prévaloir de la circonstance qu’il appartenait à la commune de Saint-Louis d’organiser une telle consultation dès lors qu’il lui était loisible, au vu de cette irrégularité, de refuser de prendre l’arrêté attaqué ; que la consultation obligatoire du comité technique préalablement à l’adoption par le conseil municipal d’une délibération concernant la création d’une commune nouvelle par détachement d’une portion du territoire de la commune, qui a pour objet d’éclairer le conseil municipal sur la position des représentants du personnel de la collectivité, constitue pour ces derniers une garantie qui découle du principe de participation des travailleurs à la détermination collective des conditions de travail consacré par le huitième alinéa du Préambule de la Constitution de 1946 ; que l’omission de consultation préalable du comité technique, qui a privé les représentants du personnel d’une garantie, a constitué une irrégularité de nature à entacher la légalité de l’arrêté attaqué ;
Donc on le voit, la consultation du CT s’impose avant la délibération du conseil municipal de la commune qu’il s’agit de couper en deux.
II. Une application intéressante de la jurisprudence sur les changements de circonstances
En cas de création d’une nouvelle commune, les dispositions de l’alinéa 1er de l’article L. 2112-2 du code général des collectivités territoriales prévoient que :
« Les modifications aux limites territoriales des communes et le transfert de leurs chefs-lieux sont décidés après enquête publique, réalisée conformément au code des relations entre le public et l’administration, dans les communes intéressées sur le projet lui-même et sur ses conditions ».
D’autre part, l’article L. 2112-3 du même code dispose que :
« Si le projet concerne le détachement d’une section de commune ou d’une portion du territoire d’une commune, soit pour la rattacher à une autre commune, soit pour l’ériger en commune séparée, un arrêté du représentant de l’Etat dans le département institue, pour cette section ou cette portion de territoire, une commission qui donne son avis sur le projet (…) ».
En l’espèce, l’arrêté attaqué, en date du 16 mars 2017, se fondait sur des rapports d’enquête et de consultation établis au cours de l’année 2013.
Or, entre temps, la commune de Saint-Louis, qui semblait en bonne santé financière en 2013, avait été mise sous tutelle budgétaire (associant Préfet et CRC, donc). La situation de cette commune s’avère à tout le moins fort préoccupante… Et les travaux de scission de la commune étaient fondés sur des études techniques et financières qui, en sus d’être fort légères initialement, en 2013, n’étaient tout simplement plus pertinentes ni le moins du monde réalistes en 2017.
Rappelons ce qu’est la théorie du changement des circonstances :
Ce dispositif textuel est subordonné à la jurisprudence selon laquelle, en toute hypothèse, la validité d’une enquête est remise en cause dès lors que postérieurement à la clôture de cette dernière – et avant, par conséquent, qu’intervienne la décision prise sur le fondement de celle-ci – sont intervenus des changements notables dans les circonstances de droit ou de fait, de nature à altérer la perception que le public avait pu avoir dudit projet, à remettre en question les conclusions du commissaire enquêteur ainsi que les enseignements que l’Administration a pu tirer des résultats de cette enquête (B. Pacteau, La péremption d’une enquête d’utilité publique pour cause de changement de circonstances, note ss CE, 20 juin 1984, Épx Demolon : RFDA 1985, n° 2, p. 224 ; Dr. adm. 1984, comm. 319 ; Lebon T., p. 646).
(Source : Professeur René Hostiou – Agrégé des facultés de droit – Professeur émérite à l’université de Nantes, in Fasc. 1020 : Enquêtes publiques ; JurisClasseur Collectivités territoriales )
Voir par exemple : CE, 3 décembre 1993, Commune de Fauillet, n° 112438, publié au rec.
Le changement de circonstances étant net, en l’espèce, au point de pouvoir changer le résultat de la procédure administrative (toujours la jurisprudence Danthony, précitée, mais en son autre branche cette fois, celui du résultat), une nouvelle enquête publique s’impose si la procédure doit reprendre, comme le constate le TA en ce considérant fort clair :
Considérant que la dégradation de la situation financière de la commune de Saint-Louis depuis la consultation des électeurs et la réalisation de l’enquête publique, que le préfet de La Réunion ne pouvait ignorer, constitue une modification substantielle des circonstances de fait affectant l’économie générale du projet de création de la commune de La Rivière ; que, dès lors, Mme S… est fondée à soutenir qu’à la date du 16 mars 2017, le préfet de La Réunion ne pouvait prendre l’arrêté portant création de la commune de La Rivière sans qu’ait été mise en oeuvre une nouvelle procédure comportant la réalisation d’une nouvelle enquête publique ; que ce vice de procédure a été de nature à porter atteinte aux garanties dont disposent les populations ayant été invitées à s’exprimer dans le cadre de l’enquête publique dès lors que leur consultation doit satisfaire à l’exigence constitutionnelle de clarté ;
Précisons que le côté précipité de la fin de la procédure administrative, ici censurée, n’est pas à mettre au débit de la préfecture… mais aux pressions ministérielles dont celle-ci fut l’objet en toute fin de la mandature présidentielle précédente. Sic.
Voici ce jugement :
TA La Réunion, 7 décembre 2017, n°1700424, 1700611 :
ta974_1700424_20171207_jugement_25eme commune