Intercommunalité et transfert des contentieux : le droit devient clair mais communes et communautés continuent à se prendre les pieds dans le tapis

 

I. Les contentieux postérieurs au transfert de compétence : il n’y a pas débat (il y a transfert)

 

A la base, le transfert d’une compétence entraîne le transfert de la responsabilité correspondante pour les litiges intervenus après le transfert de la compétence. Il n’y a pas débat sur ce point depuis l’arrêt CE, 6 avril 1979, Société « La plage de la forêt », req. n° 98510, Rec. T. p. 661 :

« La construction et la gestion d’établissements à usage de piscine étant au nombre des attributions qui ont été transférées en 1967 et 1968 par une commune au district […], la responsabilité du district urbain peut être seule recherchée à raison du préjudice qui résulterait, pour une société exploitant une piscine de plein air en vertu d’un contrat passé avec la commune en 1946, de l’ouverture en 1972 d’une piscine couverte fonctionnant en régie directe. »

Voir aussi CE, 14 mars 1986, Communauté urbaine de Lyon, req. n° 60034, Rec. p. 71.

Il en va de ainsi alors même que le litige, lui, serait né de faits antérieurs à l’intercommunalisation (voir CAA Marseille, 3e chambre, formation à 3, 9 juin 2011, n° 08MA03059, inédit au Recueil Lebon).

Les articles L. 1321-1 et suivants du CGCT abondent d’ailleurs en ce sens, à la condition que la commune et l’EPCI aient pensé – formalité souvent oubliée – à signer un procès-verbal de transfert.

 

II. Pour les transferts des contentieux (et pré-contentieux ?) engagés avant le transfert de compétence, il n’y a pas transfert

 

Plus délicate est la question du transfert de la responsabilité lorsque le litige est antérieur à l’adhésion à un EPCI ou à un syndicat mixte. Ce point a été tranché, dans un sens défavorable à la commune membre, par la CAA de Nancy, dans un arrêt qui avait en son temps eu les honneurs des tables du rec. (CAA Nancy, 6 mars 1990, Société coopérative d’HLM « La maison familiale lorraine », req. n° 89NC00027, Rec. T. p. 626) :

« En cas d’inexécution par une commune de ses obligations contractuelles en matière d’assainissement, la responsabilité du district, auquel la commune a transféré ses attributions dans cette matière, est engagée à l’égard du cocontractant de cette dernière, dès lors que la requête introductive d’instance est postérieure au transfert d’attribution »

Cette décision a été confirmée depuis, par la même CAA, dans une affaire où l’application de cette solution aboutit à de nombreuses difficultés pratiques puisqu’une commune se trouve condamnée pour une compétence « eau » qu’elle n’a plus et pour laquelle, donc, elle devrait faire payer l’usager de l’eau, alors qu’elle n’a plus la compétence correspondante pour avoir un budget M49…

Source : CAA Nancy, 11 mai 2006, req. n° 04NC00570 et 04NC00571.

 

Surtout, le juge administratif a persisté dans la même voie (alors qu’une créance est bien une obligation… en droit) par l’arrêt, très net, CE, 3 décembre 2014, Citelum, n° 383865, publié aux Tables du Rec. (voir aussi dans le même sens et pour la question d’un appel en garantie : CE, 4 décembre 2013, CUMPM, n° 349614).

Sans doute a-t-il plu au juge administratif de se simplifier la tâche…

 

III. L’arrêt de la CAA de Lyon, du 11 janvier 2018, en matière de PLU : quelle solution en cas de recours pour excès de pouvoir engagé après le transfert contre un acte pris juste avant l’intercommunalisation ? La commune est-elle au moins partie au procès ?

 

 

C’est dans ce contexte qui semble clair en droit, au moins depuis 2014, qu’intervient un  arrêt de la CAA de Lyon, du 11 janvier 2018, en matière de PLU.

La commune adopte une modification de son PLU juste avant l’intercommunalisation de cette compétence. Le recours gracieux du Préfet est envoyé (à tort…) en mairie et non à l’EPCI à fiscalité propre (FP).

Qui est la partie défenderesse ? En application de ce qui a été susmentionné en I : la réponse est claire : c’était à l’EPCI à FP de défendre. Ou plutôt cela aurait du être…

Mais la modification de PLU est censurée  par le TA… la commune fait (seule) appel et, là, se pose la question : est-elle seulement partie au procès ? Peut-elle être appelante ? NON répond la CAA selon un raisonnement qui nous semble cohérent avec le reste.

Après, le recours du préfet était sans doute tardif faute pour lui d’avoir notifié son recours gracieux à l’EPCI à FP… mais ce point, qui aurait du être soulevé en première instance, ne peut plus être utilement brandi à hauteur d’appel… faute d’appelant (cette qualité étant déniée à la commune par la CAA et l’EPCI à fiscalité propre n’ayant pas formé appel).

C’est ballot…

 

Voici cette décision :

CAA de LYON

N° 16LY01410

1ère chambre – formation à 3
M. BOUCHER, président
M. Thierry BESSE, rapporteur
Mme VACCARO-PLANCHET, rapporteur public
CDMF-AVOCATS AFFAIRES PUBLIQUES, avocats


Lecture du jeudi 11 janvier 2018

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

 



Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure

Le préfet de l’Isère a demandé au tribunal administratif de Grenoble d’annuler la délibération du 18 décembre 2014 par laquelle le conseil municipal de Corenc a approuvé la modification n° 1 du plan local d’urbanisme de la commune, ainsi que la décision implicite de rejet de son recours gracieux du 5 mars 2015.

Par un jugement n° 1504074 du 25 février 2016, le tribunal administratif de Grenoble a annulé cette délibération.

Procédure devant la cour

Par une requête et un mémoire complémentaire enregistrés les 25 avril 2016 et 1er février 2017, la commune de Corenc, représentée par la SELARL CDMF avocats affaires publiques, demande à la cour :
1°) d’annuler ce jugement du tribunal administratif de Grenoble du 25 février 2016 ;
2°) de rejeter le déféré du préfet de l’Isère ;
3°) de mettre à la charge de l’Etat la somme de 3 000 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :
– la demande de première instance était tardive dès lors que le recours administratif formé le 5 mars 2015 par le préfet de l’Isère n’a pu proroger les délais de recours contentieux, la commune ayant perdu à cette date sa compétence en matière de plan local d’urbanisme et n’étant pas tenue de transmettre ce recours à Grenoble-Alpes Métropole ;
– le rapport de présentation, qui identifiait les évolutions réglementaires, n’avait pas à présenter de manière détaillée les modifications adoptées, lesquelles ne remettaient pas en cause les partis d’aménagement initiaux ;
– la modification n’a pas eu pour objet ou pour effet de permettre l’urbanisation du secteur du Pré Morin ;
– le vice résultant d’une éventuelle méconnaissance des dispositions de l’article L. 123-13-1 du code de l’urbanisme, qui ne saurait en tout état de cause entraîner que l’annulation partielle de la délibération, peut être régularisé, en application de l’article L. 600-9 du code de l’urbanisme ;
– les autres moyens soulevés en première instance ne sont pas fondés.

Par un mémoire en défense enregistré le 11 janvier 2017, le préfet de l’Isère conclut au rejet de la requête.

Il fait valoir que :
– le recours administratif a prorogé les délais de recours contentieux, de sorte que la demande de première instance était recevable ;
– c’est à bon droit que le tribunal a retenu les moyens tirés de l’insuffisance du rapport de présentation et de la méconnaissance des dispositions de l’article L. 123-13-1 du code de l’urbanisme ;
– la procédure de modification ne pouvait être mise en oeuvre, dès lors qu’il a été porté atteinte à l’économie générale du plan ;
– la réduction de la densité et des droits à construire, ainsi que la modification des servitudes de logement portent atteinte aux principes édictés à l’article L. 121-1 du code de l’urbanisme.

La clôture de l’instruction a été fixée au 3 février 2017 par ordonnance du 4 janvier 2017.

Par courrier du 23 novembre 2017, les parties ont été informées, en application de l’article R. 611-7 du code de justice administrative, de ce que la cour est susceptible de relever d’office l’irrecevabilité de la requête d’appel de la commune de Corenc au motif qu’elle n’avait pas la qualité de partie en première instance.

Par un mémoire enregistré le 27 novembre 2017, la commune de Corenc soutient qu’elle avait la qualité de partie en première instance alors même que sa compétence en matière de plan local d’urbanisme avait été transférée le 1er janvier 2015 à Grenoble-Alpes Métropole.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
– le code de l’urbanisme ;
– le code général des collectivités territoriales ;
– le décret n° 2014-1601 du 23 décembre 2014 portant création de la métropole dénommée Grenoble-Alpes Métropole ;
– le code de justice administrative ;

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l’audience ;

Après avoir entendu au cours de l’audience publique :
– le rapport de M. Thierry Besse, premier conseiller,
– les conclusions de Mme Véronique Vaccaro-Planchet, rapporteur public,
– et les observations de Me A… pour la commune de Corenc ;



1. Considérant que, par une délibération du 18 décembre 2014, le conseil municipal de Corenc a approuvé la modification n° 1 du plan local d’urbanisme de la commune ; que, par un recours gracieux reçu le 5 mars 2015 par la commune de Corenc, le préfet de l’Isère a sollicité en vain le retrait de cette délibération ; que le préfet de l’Isère a alors déféré la délibération du 18 décembre 2014 et le rejet implicite de son recours gracieux devant le tribunal administratif de Grenoble ; que, par le jugement du 25 février 2016 dont la commune de Corenc relève appel, il a été fait droit à cette demande ;

2. Considérant, d’une part, qu’aux termes de l’article R. 811-1 du code de justice administrative : ” Toute partie présente dans une instance devant le tribunal administratif ou qui y a été régulièrement appelée, alors même qu’elle n’aurait produit aucune défense, peut interjeter appel contre toute décision juridictionnelle rendue dans cette instance. ” ;

3. Considérant, d’autre part, qu’aux termes de l’article L. 5217-2 du code général des collectivités territoriales, dans sa rédaction alors applicable : ” I.- La métropole exerce de plein droit, en lieu et place des communes membres, les compétences suivantes : / (…) 2° En matière d’aménagement de l’espace métropolitain : / a) (…) plan local d’urbanisme et documents d’urbanisme en tenant lieu. (…) ” ; qu’aux termes de l’article 1er du décret du 23 décembre 2014 portant création de la métropole dénommée Grenoble-Alpes Métropole : ” Il est créé un établissement public de coopération intercommunale à fiscalité propre relevant de la catégorie des métropoles, par transformation de la communauté d’agglomération de Grenoble. ” ; qu’aux termes de l’article 8 de ce décret : ” Les dispositions du présent décret entrent en vigueur le 1er janvier 2015. ” ; qu’enfin, aux termes du III de l’article L. 5211-5 du code général des collectivités territoriales : ” (…) L’établissement public de coopération intercommunale est substitué de plein droit, à la date du transfert des compétences, aux communes qui le créent dans toutes leurs délibérations et tous leurs actes. (…) ” ; qu’il résulte de ces dispositions qu’à compter du 1er janvier 2015, Grenoble-Alpes Métropole s’est trouvée substituée de plein droit à la commune de Corenc pour ce qui concerne, notamment, les modifications du plan local d’urbanisme (PLU) ;

4. Considérant qu’à la date d’introduction du déféré du préfet de l’Isère devant le tribunal administratif de Grenoble, le 2 juillet 2015, la commune de Corenc n’était plus compétente en matière de PLU ; qu’alors même que le tribunal administratif de Grenoble lui a communiqué le déféré présenté par le préfet de l’Isère, cette communication n’a pas eu pour effet de lui conférer la qualité de partie en première instance, Grenoble-Alpes Métropole ayant seule la qualité de défendeur devant le tribunal administratif depuis le transfert de compétence en matière de PLU ; que, dans ces conditions, la commune de Corenc, qui n’aurait pas eu par ailleurs qualité pour former tierce opposition à l’encontre du jugement qu’elle attaque, n’est pas recevable à relever appel de ce jugement ;

5. Considérant qu’il résulte de ce qui précède que la requête de la commune de Corenc doit être rejetée ; que les conclusions qu’elle présente au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative doivent être rejetées par voie de conséquence ;


DECIDE :

Article 1er : La requête de la commune de Corenc est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à la commune de Corenc et au préfet de l’Isère.
Copie en sera adressée à Grenoble-Alpes Métropole.
Délibéré après l’audience du 12 décembre 2017 à laquelle siégeaient :
M. Yves Boucher, président de chambre,
M. Antoine Gille, président-assesseur,
M. Thierry Besse, premier conseiller.
Lu en audience publique, le 11 janvier 2018.

La République mande et ordonne au préfet de l’Isère en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l’exécution de la présente décision.
Pour expédition,
Le greffier,
N° fg