Le décret n° 2016-1481 du 2 novembre 2016 a rendu obligatoire, à compter du 1er janvier 2017, la transmission par voie électronique, via l’application « Télérecours », des requêtes soumises aux tribunaux administratifs, aux cours administratives d’appel et au Conseil d’Etat par les avocats, les personnes morales de droit public (autres que les communes de moins de 3 500 habitants) et les organismes de droit privé chargés de la gestion permanente d’un service public.
Dans ce cadre, l’article R. 414-3 du code de justice administrative dispose que :
« Les pièces jointes sont présentées conformément à l’inventaire qui en est dressé. / Lorsque le requérant transmet, à l’appui de sa requête, un fichier unique comprenant plusieurs pièces, chacune d’entre elles doit être répertoriée par un signet la désignant conformément à l’inventaire mentionné ci-dessus. S’il transmet un fichier par pièce, l’intitulé de chacun d’entre eux doit être conforme à cet inventaire. Le respect de ces obligations est prescrit à peine d’irrecevabilité de la requête »
C’est peu de dire que l’usage de cette application a fait, légitimement, couler beaucoup d’encre et plus encore de sueurs froides. Voir :
- Télérecours : confirmation de la rigidité du juge administratif sur le libellé des pièces jointes
- Télérecours : des ordonnances fort inquiétantes
- Hors Télérecours, point de secours
- Les parties éligibles à Télérecours peuvent adresser leur demande d’exécution de jugement par Télérecours
- etc.
Voir aussi : Cour EDH, 26 juillet 2007, c/ France, n° 35787/03, point 29 ; Cour EDH, 5 avril 2018, Croatie, n° 40160/12, point 78 ; Cour EDH, 27 juin 2017, Luxembourg, n° 55291/15, points 31-41 ; articles R. 412-2, R. 414-1, R. 414-3 et R. 611-8-2 du code de justice administrative (dans leur rédaction antérieure au décret n° 2018-251 du 6 avril 2018) ; Article R. 611-5 du code de justice administrative (sur la notion d’« inventaire détaillé »).
Le Conseil d’Etat a voulu mettre un point final à certains questionnements par un arrêt de Section appelé à être publié au recueil Lebon.
Il s’agissait, aux termes mêmes du Conseil d’Etat, de répondre à ces questions :
Que les pièces jointes soient présentées dans un fichier contenant plusieurs pièces ou qu’elles soient présentées dans plusieurs fichiers ne contenant chacun qu’une seule pièce, quelles conséquences faut-il tirer, au regard de ce texte, de l’intitulé d’un signet (dans la première hypothèse) ou d’un fichier (dans la seconde) qui se borne à reprendre le numéro d’ordre affecté à la pièce par l’inventaire (« pièce 1 », « pièce 2 », « pièce 3 »…), sans le faire suivre du libellé décrivant brièvement la pièce, tel qu’il figure dans cet inventaire ?
Un tel intitulé ne reprenant que le numéro d’ordre de la pièce caractérise-t-il un défaut de conformité de la présentation des pièces à l’inventaire, susceptible d’entraîner l’irrecevabilité de la requête ?
Les réponses du CE sont importantes et exigeantes.
Le CE rappelle la finalité du dispositif au point 4 de sa démonstration :
« Les dispositions citées au point 3 relatives à la transmission de la requête et des pièces qui y sont jointes par voie électronique définissent un instrument et les conditions de son utilisation qui concourent à la qualité du service public de la justice rendu par les juridictions administratives et à la bonne administration de la justice. Elles ont pour finalité de permettre un accès uniformisé et rationalisé à chacun des éléments du dossier de la procédure, selon des modalités communes aux parties, aux auxiliaires de justice et aux juridictions. »
Il en résulte que l’inventaire des pièces jointes doit être détaillé, avec un numéro d’ordre continu et croissant et un libellé explicite :
« 5. Ces dispositions organisent la transmission par voie électronique des pièces jointes à la requête à partir de leur inventaire détaillé. Cet inventaire doit s’entendre comme une présentation exhaustive des pièces par un intitulé comprenant, pour chacune d’elles, un numéro dans un ordre continu et croissant ainsi qu’un libellé suffisamment explicite. »
Ce qui est plus détaillé encore au point 6 :
« 6. Ces dispositions imposent également, eu égard à la finalité mentionnée au point 4, de désigner chaque pièce dans l’application Télérecours au moins par le numéro d’ordre qui lui est attribué par l’inventaire détaillé, que ce soit dans l’intitulé du signet la répertoriant dans le cas de son intégration dans un fichier unique global comprenant plusieurs pièces ou dans l’intitulé du fichier qui lui est consacré dans le cas où celui-ci ne comprend qu’une seule pièce. Dès lors, la présentation des pièces jointes est conforme à leur inventaire détaillé lorsque l’intitulé de chaque signet au sein d’un fichier unique global ou de chaque fichier comprenant une seule pièce comporte au moins le même numéro d’ordre que celui affecté à la pièce par l’inventaire détaillé. En cas de méconnaissance de ces prescriptions, la requête est irrecevable si le requérant n’a pas donné suite à l’invitation à régulariser que la juridiction doit, en ce cas, lui adresser par un document indiquant précisément les modalités de régularisation de la requête. »
Avec in fine une application moins stricte que le standard qui commençait à s’imposer dans les juridictions administratives (mais prudence tout de même au quotidien…) :
« 7. Il ressort des pièces du dossier soumis au juge du fond que M. et Mme F… et le GAEC F…ont adressé au tribunal administratif de Versailles, le 18 juillet 2017, en utilisant l’application Télérecours, une demande accompagnée d’un inventaire mentionnant vingt-deux pièces qui y étaient numérotées par ordre croissant continu et désignées par des libellés suffisamment explicites ainsi que d’un fichier unique global dans lequel ces pièces étaient réparties en étant toutes répertoriées par des signets reprenant les numéros des pièces figurant à l’inventaire mais sans comporter aucun libellé. Le même jour, l’avocat des requérants a reçu une invitation à régulariser cette demande dans le délai d’un mois. Cette demande de régularisation précisait, notamment, qu’en cas de transmission des pièces regroupées en un seul fichier informatique, ce fichier devait comporter des signets identifiant les pièces telles qu’elles étaient nommées dans l’inventaire. Toutefois, dès lors que chacun des signets figurant au sein du fichier unique global transmis le 18 juillet 2017 était intitulé d’après le numéro d’ordre affecté par l’inventaire détaillé à la pièce qu’il répertoriait, le président de la 3ème chambre de la cour a commis une erreur de droit en jugeant, pour rejeter l’appel des requérants, que leur avocat était tenu de régulariser la demande en produisant les pièces assorties des signets les désignant conformément à leur inventaire. Par suite, sans qu’il soit besoin d’examiner les autres moyens du pourvoi, les requérants sont fondés à demander l’annulation de l’ordonnance qu’ils attaquent. »
Voir CE, S., 5 octobre 2018, n°418233, à publier au rec. :
418233