Berges sur Seine : 4 décisions de Justice ; 4 enseignements en droit

Berges de la Seine : la procédure de fermeture, réitérée et — cette fois —  validée par le juge administratif (TA puis CAA, vendredi dernier)… donne l’occasion d’en tirer 4 leçons de droit sur :

  • les pièges lors d’une étude d’impact en ce domaine (sur les effets de la mesure projetée notamment)
  • les pièges à s’engager dans des études d’impact pourtant facultatives en droit… puis à tenter d’en optimiser le résultat 
  • l’intérêt de repartir à 0 sur de bonnes bases en cas de difficulté juridique sur une première procédure 
  • l’utilité tout de même de faire des études techniques solides à l’appui des démarches contentieuses… 

 


 

 

L’affaire des fermetures des berges de la Seine a beaucoup fait parler le monde politique et parisien. Mais il est aussi intéressant pour les juristes de collectivités territoriales et le contraste entre ce qui censuré, puis maintenant validé, est intéressant.

 

Revenons sur ce feuilleton, étape par étape.

 

Etape 1 : la première censure devant le TA de Paris, illustrative des pièges lors d’une étude d’impact en ce domaine (sur les effets de la mesure projetée notamment)

 

Le 21 février 2018, le tribunal administratif de Paris a annulé :

  • d’une part la délibération du 26 septembre 2016 du Conseil de Paris déclarant l’intérêt général de l’opération d’aménagement des berges de la rive droite de la Seine.
  • d’autre part l’arrêté du 18 octobre 2016 de la maire de Paris créant une promenade publique sur l’emplacement de la voie Georges Pompidou.

Lors de sa séance des 14, 15 et 16 décembre 2015, le Conseil de Paris avait arrêté les caractéristiques d’un projet d’aménagement des berges de Seine comportant la fermeture à la circulation automobile de la voie Georges Pompidou, de l’entrée du tunnel des Tuileries à la sortie du tunnel Henri IV, et la création d’une promenade publique sur le même emplacement.

Après enquête publique, le Conseil de Paris avait, par une délibération du 26 septembre 2016, déclaré l’intérêt général de cette opération.

La maire de Paris avait alors, par un arrêté du 18 octobre 2016, décidé la fermeture à la circulation automobile de la voie Georges Pompidou et la création de la promenade publique prévue par ce projet.

La délibération du 26 septembre 2016 avait été adoptée après une enquête publique réalisée sur le fondement d’une étude d’impact du projet, conformément aux dispositions du code de l’environnement.

Le tribunal a estimé que cette étude d’impact comportait des inexactitudes, des omissions et des insuffisances concernant les effets du projet sur la circulation automobile, les émissions de polluants atmosphériques et les nuisances sonores, éléments majeurs d’appréciation de l’intérêt général du projet.

Ces imprécisions avaient d’ailleurs été relevées par l’autorité environnementale dans son avis du 10 mai 2016 et la commission d’enquête publique avait émis un avis défavorable au projet le 8 août 2016, estimant ne pouvoir se prononcer sur l’intérêt général du projet.

Le tribunal a, dès lors, considéré que le public n’avait pu apprécier les effets de la piétonisation des voies sur berge au regard de son importance et de ses enjeux.

Il a, par conséquent, annulé la délibération du 26 septembre 2016 adoptée sur le fondement d’une procédure irrégulière.

L’annulation de cette délibération entraîne celle de l’arrêté du 18 octobre 2016 :

  • d’une part en ce que cet arrêté portait application de cette délibération (exception d’illégalité).
  • mais d’autre part le tribunal a relevé que l’arrêté du 18 octobre 2016 a été pris sur le fondement de l’article L. 2213-2 de ce code (ou de l’article L. 2213-4 de ce code, ce point fut discuté via un moyen d’ordre public ; il s’agit de toute manière du pouvoir de police de la circulation) qui ne permet pas au maire de prononcer une interdiction permanente d’accès des voitures à une voie mais uniquement d’interdire cet accès, à certaines heures, pour des nécessités liées à la circulation et à l’environnement.

 

Voici ce jugement : TA Paris, 21 février 2018, M. A. M. B. REGION ILE-DE-FRANCE et autres ETABLISSEMENT PUBLIC TERRITORIAL PARIS EST MARNE ET BOIS et autres, n°1619463, 1620386, 1620420, 1620619, 1622047/4-2 en cliquant ci-dessous :

Etape 2 : la confirmation de la censure par la CAA sur la première procédure, illustrative des pièges à s’engager dans des études d’impact pourtant facultatives en droit… puis à tenter d’en optimiser le résultat

 

La ville de Paris a ensuite formé appel de ce jugement devant la Cour administrative d’appel de Paris.

Mais la CAA avait confirmé l’annulation de la délibération du conseil de Paris du 26 septembre 2016 prononcée par le tribunal.

La Cour avait alors jugé qu’aucune disposition législative ni réglementaire, pas plus que le droit européen, n’imposait en réalité l’élaboration d’une étude d’impact pour un projet de cette nature. Toutefois, elle considère, conformément à une jurisprudence bien établie, que, dès lors que la ville de Paris a décidé, alors même qu’elle n’y était pas légalement tenue, de procéder à la réalisation d’une telle évaluation environnementale avant d’arrêter sa décision, elle devait le faire dans des conditions régulières.

La Cour jugea que tel n’avait pas été le cas en l’espèce. Elle estima que l’étude d’impact avait délibérément occulté une partie notable des incidences du projet sur les émissions de polluants atmosphériques et les nuisances sonores, notamment en limitant l’analyse de ses effets sur la pollution atmosphérique à une bande étroite autour des berges, sans en étudier l’impact sur les principaux axes de report de trafic, en ne prenant pas suffisamment en compte les effets négatifs dus au phénomène prévisible de congestion du trafic et en s’abstenant d’évaluer les nuisances sonores nocturnes.

La Cour a considéré alors qu’en raison de ces inexactitudes, omissions et insuffisances, cette étude d’impact n’avait pas permis d’assurer l’information complète de la population sur des éléments d’appréciation de l’intérêt du projet qui étaient pourtant essentiels, dès lors que celui-ci avait précisément pour objectif, notamment, d’améliorer la tranquillité et la qualité de l’air à Paris. La Cour en a conclu que la délibération du conseil de Paris du 26 septembre 2016 avait été prise à l’issue d’une procédure irrégulière et qu’elle est donc entachée d’illégalité pour ce motif.

 

Voici cet arrêt CAA Paris, 22 octobre 2018, n° 18PA01325, 18PA01326 et 18PA01649 ; voir l’article que nous avions alors commis :

Etape 3 : le nouveau jugement rendu par le TA de Paris, illustratif de l’intérêt de repartir à 0 sur de bonnes bases en cas de difficulté juridique sur une première procédure

 

A la suite de ces annulations, la maire de Paris avait fait usage des pouvoirs de police qu’elle tient du code général des collectivités territoriales et pris, le 6 mars 2018, un autre arrêté interdisant la circulation sur les berges de Seine rive droite, entre le quai des Tuileries et le tunnel Henri IV.

Cet arrêté a fait l’objet d’un recours en annulation devant le tribunal, à la demande d’un groupement de collectivités territoriales d’Ile de France, d’un élu, de plusieurs associations et de particuliers.

Par un jugement lu le  25 octobre 2018, le TA de Paris a confirmé la légalité de l’arrêté de la maire de Paris du 6 mars 2018.

Le tribunal a jugé que l’arrêté du 6 mars 2018, qui prescrit seulement une interdiction de circulation et ne prévoit aucun aménagement de la voie, n’a pas le même objet que le précédent arrêté du 18 octobre 2016. Il avait été pris sur un fondement et des motifs différents de sorte qu’il ne méconnaît pas le jugement du 21 février 2018.

Le tribunal a estimé que

  • l’arrêté répond à des buts prévus par la loi, à savoir la protection d’un site classé au patrimoine mondial de l’humanité et la mise en valeur du site à des fins esthétiques ou touristiques ;
  • les désagréments que l’arrêté cause en termes d’allongement de temps de transport, de qualité de l’air et de nuisances sonores sur les quais hauts sont limités ;
  • l’arrêté est compatible avec le plan de déplacements urbains d’Ile-de-France ;
  • l’arrêté n’est entaché d’aucun détournement de pouvoir ou de procédure dès lors que son but correspond aux buts des mesures de police qui peuvent légalement être prises par la maire.

Voir  TA Paris, 25 octobre 2018, n° 1805424, 1806856, 1807163,1807165, 1807173, 1807387/3-2 ; voir l’article que nous avions alors rédigé :

 

 

4e étape : la confirmation de la légalité de la nouvelle procédure par la CAA de Paris, illustrative de l’intérêt tout de même de faire des études techniques solides à l’appui des démarches contentieuses…

 

La Cour administrative d’appel de Paris a confirmé en appel la légalité de l’arrêté de la maire de Paris du 6 mars 2018.

Ce qui suit reprend le communiqué de la CAA car nous n’y voyons rien à y ajouter.

La Cour a confirmé la solution retenue par le tribunal administratif, en rejetant les recours en annulation introduits à l’encontre de l’arrêté de la maire de Paris du 6 mars 2018 interdisant la circulation automobile sur les berges de la rive droite de la Seine.

La Cour a écarté tous les arguments de procédure et de fond invoqués contre cet arrêté.

Sur la procédure :

La Cour a notamment jugé que la maire de Paris n’était pas tenue, avant de prendre son arrêté, d’organiser une procédure de participation du public. Cette procédure, prévue par l’article L. 123-19-1 du code de l’environnement, ne s’applique en effet à une mesure envisagée que si celle-ci a « un effet direct et significatif sur l’environnement ». Or, en l’espèce, s’il ressort de plusieurs rapports que la fermeture des voies sur berges à la circulation automobile a engendré une augmentation de la pollution atmosphérique en particules fines sur les axes de report, celle-ci n’est estimée que de 5 % à 10 % au niveau du quai Henri IV et de 1 à 5 % sur les carrefours des quais hauts, et est négligeable sur les autres voies de report plus éloignées des berges. En conséquence, la Cour a jugé que ni cette augmentation de pollution atmosphérique, de niveau relativement faible et limitée à une zone très circonscrite, ni l’accroissement des nuisances sonores nocturnes, évalué à seulement 2 décibels sur les quais hauts en façade, ne permettaient de considérer l’incidence de l’arrêté attaqué sur l’environnement comme significative.

Sur le fond :

La Cour a jugé que la maire de Paris avait pu légalement interdire la circulation automobile sur les berges de la rive droite de la Seine pour des motifs tenant à la protection et à la mise en valeur à des fins esthétiques ou touristiques de ce site, classé au patrimoine mondial de l’UNESCO, dès lors que cette circulation portait une atteinte visuelle à son intégrité et aux nombreux monuments d’exception qui s’y trouvent, et faisait obstacle au libre accès aux berges des piétons et des cyclistes.

La Cour a, en outre, jugé que cette mesure de police n’était pas disproportionnée. Celle-ci n’était pas incompatible avec les prescriptions du plan de déplacements urbains de la région Ile-de-France dès lors notamment que l’interdiction de circulation sur la voie Georges Pompidou n’a pas eu pour effet de supprimer l’axe de circulation est-ouest dans Paris, puisque les quais hauts longeant la rive droite de la Seine demeurent ouverts à la circulation. Compte tenu de l’existence d’itinéraires alternatifs à proximité des voies sur berges et du maintien de la circulation sur les quais hauts, cette interdiction de circuler n’a pas eu pour effet de rendre impossible la traversée de Paris d’ouest en est, mais seulement de rallonger le temps de ce parcours.

Enfin, bien que l’arrêté du 6 mars 2018 ait été édicté peu après l’annulation de celui du 18 octobre 2016 et que la maire de Paris ait, à la suite de cette annulation, fait publiquement connaître son intention de poursuivre la mise en œuvre de son projet de suppression de la circulation automobile sur les voies sur berges, la Cour a jugé qu’il n’y avait pas eu de détournement de pouvoir, car l’usage fait par cette autorité de ses pouvoirs de police répondait à des buts d’intérêt général tenant à la protection et à la mise en valeur du site en cause.

 

 

Voici cet arrêt CAA Paris, 21 juin 2019, UNION POUR LA DEFENSE ET LIBERTE DE CIRCULER MOTORISE ET AUTRES ETABLISSEMENT PUBLIC TERRITORIAL DE PARIS EST MARNE-ET-BOIS ; FEDERATION FRANÇAISE DES AUTOMOBILISTES CITOYENS ; ASSOCIATION « COMMERÇANTS ETRIVERAINS DU CŒUR DE PARIS » ET AUTRES M. B. ; n° 18PA03774,18PA03888,18PA03889,18PA03987, 18PA04046 :

 

 

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