Autisme et responsabilité des personnes publiques : comparons quelques décisions du juge administratif, dont une rendue vendredi dernier

Aux termes de l’article L.114-1-1 du code de l’action sociale et des familles :

 

« La personne handicapée a droit à la compensation des conséquences de son handicap quels que soient l’origine et la nature de sa déficience, son âge ou son mode de vie.

« Cette compensation consiste à répondre à ses besoins, qu’il s’agisse de l’accueil de la petite enfance, de la scolarité, de l’enseignement, de l’éducation, de l’insertion professionnelle, des aménagements du domicile ou du cadre de travail nécessaires au plein exercice de sa citoyenneté et de sa capacité d’autonomie, du développement ou de l’aménagement de l’offre de service, permettant notamment à l’entourage de la personne handicapée de bénéficier de temps de répit, du développement de groupes d’entraide mutuelle ou de places en établissements spécialisés, des aides de toute nature à la personne ou aux institutions pour vivre en milieu ordinaire ou adapté, ou encore en matière d’accès aux procédures et aux institutions spécifiques au handicap ou aux moyens et prestations accompagnant la mise en œuvre de la protection juridique régie par le titre XI du livre Ier du code civil. (…) » ;

 

Et ce même code de poursuivre en son article L. 246- 1 :

« Toute personne atteinte du handicap résultant du syndrome autistique et des troubles qui lui sont apparentés bénéficie, quel que soit son âge, d’une prise en charge pluridisciplinaire qui tient compte de ses besoins et difficultés spécifiques […] Adaptée à l’état et à l’âge de la personne et eu égard aux moyens disponibles, cette prise en charge peut être d’ordre éducatif, pédagogique, thérapeutique et social. » ;

 

Ces phrases, évoquant notamment les moyens disponibles, permettent-elles à l’Etat de se dégager de ses obligations ?

NON répondent les juridictions administratives avec une certaine constance, mais non sans nuances. Comparons quelques jugements et arrêts en ce domaine.

 

I. Décision du Conseil d’Etat en 2011 : une obligation de résultat

 

Le Conseil d’Etat a bien précisé que le principe de cette prise en charge n’était pas une simple obligation de moyens mais bien une obligation de résultat (à comparer, s’agissant du droit à l’éducation des enfants souffrant de handicap, CE, 8 avril 2009, n° 311434, rec. p. 136).

Voir CE, 16 mai 2011, n° 318501.

https://www.legifrance.gouv.fr/affichJuriAdmin.do?oldAction=rechJuriAdmin&idTexte=CETATEXT000025822118&fastReqId=880233042&fastPos=1

 

II. des jurisprudences, ensuite, sur la base d’une responsabilité pour faute (mais où l’obligation de résultat est un peu en trompe-l’oeil, en fait, puisque l’on apprécie in concreto les pouvoirs et moyens dont disposent les autorités publiques)

 

Il y a donc obligation de résultat, et donc responsabilité pour faute à ne pas atteindre ce résultat. Voir par exemple pour l’énoncé de ce principe, mais immédiatement avec des exonérations de responsabilité qui conduisent en réalité assez vite à une simple obligation de moyens derrière l’affichage d’une obligation de résultats puisque cette obligation de résultat cède face à une analyse in concreto « si elle est caractérisée, au regard notamment des pouvoirs et des moyens dont disposent ces autorités ».

Citons à ce stade un premier arrêt, important :

  • CE, Ord. 27 novembre 2013,  n° 373300 dont  voici le résumé au rec. :
    • « Les articles L. 114-1 et L. 246-1 du code de l’action sociale et des familles imposent à l’Etat et aux autres personnes publiques chargées de l’action sociale en faveur des personnes handicapées d’assurer, dans le cadre de leurs compétences respectives, une prise en charge effective dans la durée, pluridisciplinaire et adaptée à l’état comme à l’âge des personnes atteintes du syndrome autistique.
    • « Si une carence dans l’accomplissement de cette mission est de nature à engager la responsabilité de ces autorités, elle n’est susceptible de constituer une atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale, au sens de l’article L. 521-2 du code de justice administrative, que si elle est caractérisée, au regard notamment des pouvoirs et des moyens dont disposent ces autorités, et si elle entraîne des conséquences graves pour la personne atteinte de ce syndrome, compte tenu notamment de son âge et de son état.
    • « Référé liberté formé par les parents d’un enfant autiste, dont la prise en charge en semi-internat à temps plein dans un institut médico-éducatif (IME) a été autorisée par la commission départementale des droits et de l’autonomie des personnes handicapées, mais qui, faute de place en institut, ne bénéficie que d’une prise en charge par un service d’éducation spéciale et de soins à domicile et d’une possibilité limitée d’hébergement de nuit en cas d’urgence.
    • « En l’espèce, l’agence régionale de santé (ARS) s’est engagée à mettre en place, à très brève échéance, un dispositif d’accueil de jour dont pourra bénéficier le jeune enfant et a demandé la mise en oeuvre sans délai de la procédure d’admission en institut.
    • « Eu égard aux compétences de l’ARS à l’égard des IME en application du b du 2° de l’article L. 1431-2 du code de la santé publique, lesquelles se limitent à autoriser la création de ces établissements, à contrôler leur fonctionnement et à leur allouer des ressources, sans l’habiliter à imposer la prise en charge d’une personne, et aux moyens, notamment budgétaires, dont elle dispose, ces mesures ne révèlent aucune carence caractérisée dans l’accomplissement des obligations mises à la charge de l’Etat par l’article L. 246-1 du code de l’action sociale et des familles. »

 

Dans le même sens, mais en référé provision et non plus en référé liberté, citons la décision de la CAA Bordeaux (Ord., 9 juin 2016, n° 16BX00659) qui traduit quant à elle une marge de manoeuvre quant aux circonstances exonératoires de responsabilité notamment en cas de refus par les établissements de type IME d’accueillir l’enfant

« d’admettre l’enfant pour un autre motif que le manque de place disponible ou lorsque les parents estiment que la prise en charge effectivement assurée par un établissement désigné par la commission n’est pas adaptée aux troubles de leur enfant »

Citons un extrait de cet arrêt :

« Mme C…expose que la responsabilité de l’Etat est manifestement engagée dès lors qu’il n’a pas respecté l’obligation de scolarisation qui est une obligation de résultat qui lui incombe, son fils atteint d’un syndrome autistique ayant été déscolarisé pendant une longue période. Il est vrai qu’en vertu de l’article L. 241-6 du code de l’action sociale et des familles, lorsqu’un enfant autiste ne peut être pris en charge par l’une des structures désignées par la commission des droits et de l’autonomie des personnes handicapées, à la demande des parents, en raison d’un manque de place disponible, l’absence de prise en charge pluridisciplinaire qui en résulte est, en principe, de nature à révéler une carence de l’Etat dans la mise en oeuvre des moyens nécessaires pour que cet enfant bénéficie effectivement d’une telle prise en charge dans une structure adaptée. Toutefois, il n’en est pas ainsi notamment lorsque les établissements désignés refusent d’admettre l’enfant pour un autre motif que le manque de place disponible ou lorsque les parents estiment que la prise en charge effectivement assurée par un établissement désigné par la commission n’est pas adaptée aux troubles de leur enfant. Ainsi la circonstance alléguée que l’enfant de Mme C…aurait été déscolarisé sur une longue période ne révèle pas à elle seule l’absence de mise en oeuvre par l’Etat des moyens nécessaires à sa prise en charge pluridisciplinaire. De plus, les autres circonstances invoquées par Mme C…ne sont pas de nature à établir avec une degré suffisant de certitude les causes du préjudice allégué et l’existence d’une carence de l’Etat dans la mise en oeuvre des moyens nécessaires à la prise en charge pluridisciplinaire de son enfant. Dans ces conditions, ainsi que l’a relevé le premier juge, l’obligation de l’Etat à l’égard de Mme C… et de son fils ne présente pas en l’état de l’instruction un caractère non sérieusement contestable au sens de l’article R. 541-1 du code de justice administrative. »

 

NB se pose aussi la question de l’autisme en tant que possible résultante d’une erreur médicale. Mais en pareil cas, en général, la preuve d’un lien d’imputabilité vient à manquer. Voir :

 

III. D’ailleurs, plus largement, le juge n’exerce en réalité qu’un contrôle assez limité, largement fondé sur les déclarations de l’administration, quant à la responsabilité propre à un choix à opérer entre scolarisation en milieu ouvert et placement en IME

 

Tout d’abord, il importe de rappeler que la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH ; institution siégeant à Strasbourg et dépendant du Conseil de l’Europe) a posé que le placement d’un enfant autiste en institut médico-éducatif (IME), avec un temps de scolarisation, et ce plutôt qu’en milieu scolaire ordinaire ne viole pas son droit à l’éducation.

CEDH, 5e section, 18 décembre 2018, Bettina D. contre la France, n°2282/17. Voir :

 

Au delà de cette question de principe, on notera que le juge reste en réalité assez souple quant à son contrôle, léger donc, quant aux choix entre placement en IME ou scolarisation en milieu ouvert, quand en réalité ce qui est à gérer est le manque de place en IME. Voir

CE, ord. (référé liberté),  1er aout 2018, n°422614. Voir :

 

 

IV. Un premier exemple concret détaillé : le jugement du TA de Cergy-Pontoise du 12 octobre 2017 (avec un retour aux exigences de la jurisprudence de 2011 et une responsabilité de l’Etat)

 

le TA de Cergy Pontoise dans un jugement a, en 2017, ainsi soulevé que :

« le droit à une prise en charge pluridisciplinaire est garanti à toute personne atteinte du handicap résultant du syndrome autistique, quelles que soient les différences de situation ; […], si, eu égard à la variété des formes du syndrome autistique, le législateur a voulu que la prise en charge, afin d’être adaptée aux besoins et difficultés spécifiques de la personne handicapée, puisse être mise en œuvre selon des modalités diversifiées, notamment par l’accueil dans un établissement spécialisé ou par l’intervention d’un service à domicile, c’est sous réserve que la prise en charge soit effective dans la durée, pluridisciplinaire, et adaptée à l’état et à l’âge de la personne atteinte de ce syndrome ;»

 

Sur cette base, ce TA a apporté une réponse logiquement nuancée :

 

  1. tout d’abord, il incombe à la Commission des Droits et de l’Autonomie des Personnes Handicapées (CDAPH), à la demande des parents, de se prononcer sur l’orientation des enfants atteints du syndrome autistique et de désigner les établissements ou les services correspondant aux besoins de ceux-ci et étant en mesure de les accueillir, ces structures étant tenues de se conformer à la décision de la commission ;
  2. puis s’ouvre une série d’alternatives
    1. soit l’enfant est pris en charge dans des conditions suffisantes
    2. soit tel n’est pas le cas et, alors, le juge a distingué plusieurs sous-hypothèses :
      1. sous-hypothèse 1 : l’enfant autiste ne peut être pris en charge par l’une des structures désignées par la CDAPH en raison d’un manque de place disponible, l’absence de prise en charge pluridisciplinaire qui en résulte est, en principe, de nature à révéler une carence de l’Etat dans la mise en œuvre des moyens nécessaires pour que cet enfant bénéficie effectivement d’une telle prise en charge dans une structure adaptée… Il y a alors responsabilité de l’Etat 
      2. sous-hypothèse 2 : les établissements désignés refusent d’admettre l’enfant pour un autre motif, et c’est la responsabilité de ces établissements qui sera à rechercher au cas par cas. 
      3. sous-hypothèse 3 : les parents estiment que la prise en charge effectivement assurée par un établissement désigné par la commission n’est pas adaptée aux troubles de leur enfant. Cette dernière sous-hypothèses peut elle-même conduire à diverses sous-sous hypothèses.

 

Dans cette dernière sous-hypothèse,  le TA pose que l’Etat peut être responsable, mais pas obligatoirement, pas par principe :

« l’Etat ne saurait, en principe, être tenu pour responsable de l’absence ou du caractère insuffisant de la prise en charge, lesquelles ne révèlent pas nécessairement, alors, l’absence de mise en œuvre par l’Etat des moyens nécessaires »

 

En pareil cas :

« il appartient alors aux parents, soit, s’ils estiment que l’orientation préconisée par la commission n’est en effet pas adaptée aux troubles de leur enfant, de contester la décision de cette commission, qui rend ses décisions au nom de la maison départementale des personnes handicapées (MDPH), laquelle a le statut de groupement d’intérêt public, devant la juridiction du contentieux technique de la sécurité sociale en application de l’article L. 241-9 du code de l’action sociale et des familles, soit, dans le cas contraire, de mettre en cause la responsabilité des établissements désignés n’ayant pas respecté cette décision en refusant l’admission ou n’assurant pas une prise en charge conforme aux dispositions de l’article L. 241-6 du code de l’action sociale et des familles ; qu’enfin, en l’absence de toute démarche engagée par les parents auprès de la CDAPH, la responsabilité de l’Etat ne saurait être engagée du fait de l’absence ou du caractère insatisfaisant de la prise en charge de leur enfant ; »

 

SOIT :

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Le jugement rendu en 2017 par le TA de Cergy Pontoise  reprend cette grille antérieurement déjà bâtie par le juge administratif, mais affinée de manière intéressante par cette décision.  

N.B. : en l’espèce le juge a retenu une faute de l’Etat. 

 

Voir le jugement TA Cergy Pontoise, 12 octobre 2017, n° 1511031 :

 

 

Et voir les conclusions, brèves mais intéressantes, de la rapporteure publique, Madame Collet :

 

 

V. Un second exemple concret détaillé : le jugement du TA de Nîmes du 21 juin 2019 (plutôt dans le même sens)

 

On le voit, la jurisprudence commentée précédemment va dans le sens d’une sorte de retour à la pureté, dureté, originelle de l’arrêt du CE en date du 16 mai 2011 (n°318501), précité.

Par un jugement du 21 juin 2019, le Tribunal administratif de Nîmes a lui aussi précisé la portée de cette jurisprudence, par un jugement dans le même sens que celui du TA de Cergy-Pontoise.
Saisi par la mère d’un enfant souffrant d’autisme et de troubles envahissant du développement, mère confrontée durant plus de deux ans et demi à une vingtaine de refus de prise en charge, la juridiction a décidé de distinguer entre les motifs des refus opposés par les instituts médico-éducatifs vers lesquels la famille avait été orientée.
Lorsque les refus étaient justifiés non par un manque de places, mais pour un motif autre tel que la distance géographique du domicile familial au regard des contraintes de tournées d’acheminement, le tribunal a considéré que cette situation n’était pas susceptible de révéler en elle-même une carence de l’Etat, mais, le cas échéant, d’engager la responsabilité de l’établissement ayant refusé d’accueillir l’enfant.
En revanche, lorsque, suite au déménagement de la famille dans une autre région, l’enfant n’a pu être admis en institut médico-éducatif pendant plus d’un an, puis admis seulement deux jours par semaine, le tribunal a estimé que le retard et l’insuffisance de la prise en charge de l’enfant révélaient une faute de l’Etat dans la mise en œuvre de l’article L. 246-1 du code de l’action sociale et des familles.
Il a, en conséquence, condamné l’Etat à réparer le préjudice moral subi par l’enfant et sa famille, ainsi que l’ensemble des dépenses qui n’auraient pas été exposées si l’enfant avait pu être pris en charge dans une structure adaptée à son état.

 

Voir TA Nîmes, 21 juin 2019, n°1701563 :

1701563_RPC indemnitaire prise en charge autiste_anonymisé