Quand est-il possible d’user de ses pouvoirs de police générale plutôt que du régime des édifices menaçant ruine ?

Edifice menaçant ruine : le Conseil d’Etat restreint l’usage des pouvoirs de police générale en lieu et place des polices sur les édifices menaçant ruine à des cas d’extrême urgence… Ce qui selon nous (mais d’ultérieures jurisprudences seront indispensables pour se rassurer sur ce point) n’interdit pas totalement les pouvoirs de police générale en ce domaine. Mais avant tout, distinguons les situations…

 

Le présent blog a souvent présenté ce qu’il faut ou ne faut pas faire quand s’écroulent les immeubles dans la commune. Voir :

 

Il y a des choses qui sont simples et claires. Tel par exemple le fait que les deux polices spéciales des EMR  (édifices menaçant ruine) ne s’appliquent pas si le dommage ne vient pas de l’immeuble lui-même (non application si un balcon menace de s’écrouler à la suite d’un accident de la route, ou non application en cas de glissement de terrain ou d’éboulements successifs d’une falaise menaçant une maison autrefois suffisamment éloignées de l’à-pic).

Pour en savoir plus voir Petits rappels sur les pouvoirs de police en matière d’édifices menaçant ruine 

Dans ces cas là, ceux où le droit des EMR ne s’applique pas, nul doute que le maire dispose de son pouvoir de police générale (ainsi parfois que d’autres pouvoirs de police spéciaux, dont un méconnu en matière de cavités par exemple).

 

Mais si le droit des EMR s’applique ? Le maire peut-il aussi, en sus ou alternativement, utiliser ses pouvoirs de police générale ?

Le cas n’est pas rare. Si un EMR peut risquer de donner lieu à chute de pierre ou d’autres fragments de l’immeuble sur la chaussée, les maires font partout des périmètres de sécurité sur voirie, qui ont techniquement des mesures de police administrative… ce qui ne les empêche pas de lancer une procédure de péril ordinaire ou imminent.

Mais le Conseil d’Etat vient de poser que :

Les pouvoirs de police générale reconnus au maire par les dispositions citées au point 2 ci-dessus des articles L. 2212-2 et L. 2212-4 du code général des collectivités territoriales, qui s’exercent dans l’hypothèse où le danger menaçant un immeuble résulte d’une cause qui lui est extérieure, sont distincts des pouvoirs qui lui sont conférés dans le cadre des procédures de péril ou de péril imminent régies par les articles L. 511-1 à L. 511-4 du code de la construction et de l’habitation, auxquels renvoie l’article L. 2213-24 du code général des collectivités territoriales, qui doivent être mis en oeuvre lorsque le danger provoqué par un immeuble provient à titre prépondérant de causes qui lui sont propres. Toutefois, en présence d’une situation d’extrême urgence créant un péril particulièrement grave et imminent, le maire ou, à Paris avant le 1er juillet 2017 le préfet de police, peut, quelle que soit la cause du danger, faire légalement usage de ses pouvoirs de police générale, et notamment prescrire l’exécution des mesures de sécurité qui sont nécessaires et appropriées, y compris la démolition de l’immeuble.

 

Bref la formulation un peu impérieuse des magistrats du Palais-Royal (qui savent de quoi il s’agit… plusieurs immeubles de la rue Montpensier ayant connu une telle procédure !) semble limiter le retour  à des mesures de police administrative générale à des situations de «péril particulièrement grave et imminent », ce qui se révèle fort sévère.

 

Gageons que le CE n’ira pas jusqu’à exiger une telle qualification de péril particulièrement grave et imminent pour entraver des maires de bonne foi et précautionneux qui iraient juste imposer un périmètre de sécurité avant que de mettre en oeuvre une procédure d’EMR… et qu’il visait surtout les cas où l’usage de ces pouvoirs visait à se substituer aux polices des EMR.

 

Voici cet arrêt, donc :

 

 

 

Conseil d’État

N° 417305
ECLI:FR:CECHR:2019:417305.20190605
Inédit au recueil Lebon
5ème et 6ème chambres réunies
M. Alain Seban, rapporteur
M. Nicolas Polge, rapporteur public
SCP BORE, SALVE DE BRUNETON, MEGRET ; SCP FOUSSARD, FROGER, avocats
lecture du mercredi 5 juin 2019
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
Texte intégral

Vu la procédure suivante :

M. B…A…, la SCI La Pommardière de Paris et le syndicat des copropriétaires du 12 rue Emile Level à Paris (75017) ont demandé au tribunal administratif de Paris d’annuler l’arrêté du 19 décembre 2013 par lequel le préfet de police a interdit l’accès et l’habitation de l’immeuble situé au 12 rue Emile Level à Paris (75017) et a enjoint aux occupants de quitter les lieux. Par un jugement n os 1402655, 1408333/3-3 du 30 juin 2015, le tribunal administratif a fait droit à ces demandes.

Par un arrêt n° 15PA03465 du 14 novembre 2017, la cour administrative d’appel de Paris, sur appel du préfet de police, a annulé ce jugement et rejeté les demandes de première instance.

Par un pourvoi sommaire, un mémoire complémentaire et un mémoire en réplique, enregistrés au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat les 15 janvier et 16 avril 2018 et 13 mai 2019, M.A…, la SCI La Pommardière de Paris et le syndicat des copropriétaires du 12 rue Emile Level à Paris (75017) demandent au Conseil d’Etat :

1°) d’annuler cet arrêt ;

2°) réglant l’affaire au fond, de rejeter l’appel du préfet de police ;

3°) de mettre à la charge de l’Etat et de la ville de Paris une somme de 4 000 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
– le code de la construction et de l’habitation ;
– le code général des collectivités territoriales ;
– la loi n° 2017-257 du 28 février 2017 ;
– l’arrêté des consuls du 12 messidor an VIII ;
– le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :

– le rapport de M. Alain Seban, conseiller d’Etat,

– les conclusions de M. Nicolas Polge, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Boré, Salve de Bruneton, Mégret, avocat de M. B…A…, de la SCI La Pommardière de Paris et du syndicat des copropriétaires du 12 Rue Emile Level 75017 Paris et à la SCP Foussard, Froger, avocat de la ville de Paris ;
Considérant ce qui suit :

1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que, par un arrêté du 19 décembre 2013 pris sur le fondement des articles L. 2212-2 et L. 2212-4 du code général des collectivités territoriales, le préfet de police a interdit l’accès et l’habitation de l’immeuble situé au 12 rue Emile Level à Paris, qui avait fait l’objet le 24 octobre 2012, sur le fondement de l’article L. 511-2 du code de la construction et de l’habitation, d’un arrêté de péril ordonnant des travaux qui n’avaient pas été réalisés. M. B…A…, la SCI La Pommardière de Paris et le syndicat des copropriétaires de l’immeuble ont demandé au tribunal administratif de Paris d’annuler cet arrêté pour excès de pouvoir. Par un jugement du 30 juin 2015, le tribunal administratif a fait droit à leurs demandes et annulé l’arrêté attaqué. Sur appel du préfet de police, la cour administrative d’appel de Paris, par l’arrêt attaqué du 14 novembre 2017, a annulé ce jugement et rejeté les demandes de première instance.

2. Aux termes, d’une part, de l’article L. 2212-2 du code général des collectivités territoriales :  » La police municipale a pour objet d’assurer le bon ordre, la sûreté, la sécurité et la salubrité publiques. Elle comprend notamment : (…) 5° Le soin de prévenir, par des précautions convenables, et de faire cesser, par la distribution des secours nécessaires, les accidents et les fléaux calamiteux (…), de pourvoir d’urgence à toutes les mesures d’assistance et de secours et, s’il y a lieu, de provoquer l’intervention de l’administration supérieure « . L’article L. 2212-4 du même code dispose que :  » En cas de danger grave ou imminent, tel que les accidents naturels prévus au 5° de l’article L. 2212-2, le maire prescrit l’exécution des mesures de sûreté exigées par les circonstances (…) « .

3. Aux termes, d’autre part, de l’article L. 2213-24 du code général des collectivités territoriales :  » Le maire prescrit la réparation ou la démolition des murs, bâtiments, édifices ou monuments funéraires menaçant ruine dans les conditions prévues aux articles L. 511-1 à L. 511-4-1 du code de la construction et de l’habitation « . Aux termes du premier alinéa de l’article L. 511-1 du code de la construction et de l’habitation :  » Le maire peut prescrire la réparation ou la démolition des murs, bâtiments ou édifices quelconques lorsqu’ils menacent ruine et qu’ils pourraient, par leur effondrement, compromettre la sécurité ou lorsque, d’une façon générale, ils n’offrent pas les garanties de solidité nécessaires au maintien de la sécurité publique « . Aux termes de l’article L. 511-2 du même code, dans sa rédaction en vigueur à la date de l’arrêté litigieux :  » I.- Le maire, à l’issue d’une procédure contradictoire dont les modalités sont définies par décret en Conseil d’Etat, met le propriétaire de l’immeuble menaçant ruine (…) en demeure de faire dans un délai déterminé, selon le cas, les réparations nécessaires pour mettre fin durablement au péril ou les travaux de démolition, ainsi que, s’il y a lieu, de prendre les mesures indispensables pour préserver les bâtiments contigus. / Si l’état du bâtiment, ou d’une de ses parties, ne permet pas de garantir la sécurité des occupants, le maire peut assortir l’arrêté de péril d’une interdiction d’habiter et d’utiliser les lieux qui peut être temporaire ou définitive. (…) / IV.- Lorsque l’arrêté de péril n’a pas été exécuté dans le délai fixé, le maire met en demeure le propriétaire d’y procéder dans un délai qu’il fixe et qui ne peut être inférieur à un mois. / A défaut de réalisation des travaux dans le délai imparti, le maire, par décision motivée, fait procéder d’office à leur exécution. Il peut également faire procéder à la démolition prescrite, sur ordonnance du juge statuant en la forme des référés, rendue à sa demande. / (…) « . Aux termes de l’article L. 511-3 de ce code :  » En cas de péril imminent, le maire, après avertissement adressé au propriétaire, demande à la juridiction administrative compétente la nomination d’un expert qui, dans les vingt-quatre heures qui suivent sa nomination, examine les bâtiments, dresse constat de l’état des bâtiments mitoyens et propose des mesures de nature à mettre fin à l’imminence du péril s’il la constate. / Si le rapport de l’expert conclut à l’existence d’un péril grave et imminent, le maire ordonne les mesures provisoires nécessaires pour garantir la sécurité, notamment, l’évacuation de l’immeuble. / Dans le cas où ces mesures n’auraient pas été exécutées dans le délai imparti, le maire les fait exécuter d’office. (…) / Si les mesures ont à la fois conjuré l’imminence du danger et mis fin durablement au péril, le maire, sur le rapport d’un homme de l’art, prend acte de leur réalisation et de leur date d’achèvement. / Si elles n’ont pas mis fin durablement au péril, le maire poursuit la procédure dans les conditions prévues à l’article L. 511-2 « .

4. Les pouvoirs dévolus au maire par les dispositions citées aux points 2 et 3 ci-dessus ont été exercés à Paris par le préfet de police, en application des dispositions alors en vigueur de l’article L. 2512-13 du code général des collectivités territoriales et de l’arrêté des consuls du 12 messidor an VIII, jusqu’à l’entrée en vigueur, intervenue au 1er juillet 2017, des dispositions issues de l’article 25 de la loi du 28 février 2017 en vertu desquelles, lorsque des immeubles à usage principal d’habitation ou à usage total ou partiel d’hébergement menacent ruine, le maire de Paris exerce les pouvoirs de police définis, notamment, par l’article L. 2213-24 du code et prescrit les mesures de sûreté exigées par un danger grave ou imminent.

5. Les pouvoirs de police générale reconnus au maire par les dispositions citées au point 2 ci-dessus des articles L. 2212-2 et L. 2212-4 du code général des collectivités territoriales, qui s’exercent dans l’hypothèse où le danger menaçant un immeuble résulte d’une cause qui lui est extérieure, sont distincts des pouvoirs qui lui sont conférés dans le cadre des procédures de péril ou de péril imminent régies par les articles L. 511-1 à L. 511-4 du code de la construction et de l’habitation, auxquels renvoie l’article L. 2213-24 du code général des collectivités territoriales, qui doivent être mis en oeuvre lorsque le danger provoqué par un immeuble provient à titre prépondérant de causes qui lui sont propres. Toutefois, en présence d’une situation d’extrême urgence créant un péril particulièrement grave et imminent, le maire ou, à Paris avant le 1er juillet 2017 le préfet de police, peut, quelle que soit la cause du danger, faire légalement usage de ses pouvoirs de police générale, et notamment prescrire l’exécution des mesures de sécurité qui sont nécessaires et appropriées, y compris la démolition de l’immeuble.

6. L’arrêté litigieux du 19 décembre 2013, pris par le préfet de police dans le cadre de ses pouvoirs de police générale, a pour seul objet d’enjoindre aux occupants de l’immeuble d’évacuer les lieux et d’en interdire l’accès et l’occupation. Les dispositions de l’article L. 511-3 du code de la construction et de l’habitation permettent à l’autorité administrative, après désignation par le tribunal administratif d’un expert appelé à se prononcer dans un délai de 24 heures, de prendre des mesures provisoires telles que l’évacuation des lieux, qui implique nécessairement une interdiction provisoire de les occuper. En retenant que le préfet avait pu légalement, eu égard à l’état de l’immeuble, s’abstenir de mettre en oeuvre les procédures prévues par le code de la construction et de l’habitation, sans rechercher si l’urgence était telle qu’elle ne permettait pas de prendre les mesures nécessaires dans le respect de la procédure prévue par l’article L. 511-3 de ce code, la cour a commis une erreur de droit qui justifie l’annulation de son arrêt.

7. Il n’y a pas lieu, dans les circonstances de l’espèce, de mettre à la charge de la ville de Paris la somme que M. A…et autres demandent au titre des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative. Les dispositions de cet article font obstacle à ce qu’une somme soit mise, à ce titre, à la charge de M. A…et autres qui n’ont pas, dans la présente instance, la qualité de parties perdantes.
D E C I D E :
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Article 1er : L’arrêt de la cour administrative d’appel de Paris du 14 novembre 2017 est annulé.

Article 2 : L’affaire est renvoyée devant la cour administrative d’appel de Paris.

Article 3 : Le surplus des conclusions du pourvoi de M. A…et autres ainsi que les conclusions de la ville de Paris tendant à l’application de l’article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetés.

Article 4 : La présente décision sera notifiée à M. B…A…, premier requérant dénommé, à la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales et à la ville de Paris.
Copie en sera adressée au ministre de l’intérieur.

 

 

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