article écrit avec l’aide précieuse de Mathilde Ifcic, élève-avocate
La promotion de l’emploi et du travail en vue de l’insertion des individus dans la société est une préoccupation ancienne des pouvoirs publics et particulièrement des collectivités territoriales. Néanmoins, cette promotion de l’insertion dans les contrats de la commande publique n’est expressément apparue dans les textes qu’avec le code des marchés publics en 2006. Cette politique publique fait l’objet, depuis 2015, d’un plan national d’action pour l’achat public durable (PNAAPD) qui fixe comme objectif, pour 2020, qu’au moins 25% des marchés passés au cours de l’année par tous les acheteurs comprennent au moins une disposition sociale.
Le nombre de marchés dont le montant est supérieur à 90 000 euros HT prévoyant des clauses d’insertion est en constante progression. Pour l’année 2017, il s’élève à 9,4% des marchés conclus, selon le dernier recensement de l’achat public effectué par l’Observatoire économique de la commande publique (OECP). Toutefois, les critères sociaux et marchés réservés n’étant pas pris en compte pour établir ce chiffre, tous les outils à la disposition des acheteurs publics ne sont pas encore comptabilisés. En conséquence, il est difficile, aujourd’hui, d’évaluer véritablement la part effective des marchés prévoyant des dispositifs d’insertion.
A cet égard, les facilitateurs– personnes ressources en charge de l’ingénierie des clauses sociales sur les territoires – dont l’accompagnement est devenu essentiel, obtiennent des résultats très encourageants, en aidant les donneurs d’ordre et notamment les acheteurs publics à la rédaction des clauses d’insertion et à leur suivi. On peut notamment citer, à titre d’exemple, les excellents résultats du pôle insertion emploi de la maison de l’emploi de Bordeaux qui a permis de réaliser sur le territoire de Bordeaux 223 700 heures d’insertion en 2017[1], ou encore ceux de Toulouse Métropole Emploi avec 700 460 heures d’insertion[2]réalisées sur cette même année.
Toutefois, force est de constater que l’intégration d’une dimension sociale dans les contrats publics, en dehors des grandes agglomérations, reste timide malgré l’implantation progressive du réseau des facilitateurs qui guident les acheteurs dans leurs démarches sociales.
Pourtant, les acheteurs publics disposent depuis l’entrée en vigueur de la réforme des marchés publics et concessions, en 2016, de divers outils leur permettant d’intégrer des dispositions sociales dans les marchés. Ces outils ont tous été repris dans le nouveau code de la commande publique (CCP). La dimension sociale est même encouragée par l’article L. 2111-1 du CCP qui prévoit que la définition du besoin doit prendre en compte « des objectifs de développement durable dans leur dimension économique, sociale et environnementale ». Les acheteurs disposent donc d’un cadre juridique clarifié, où l’équité sociale est un des trois piliers, avec le développement écologiquement soutenable et l’efficacité économique, du développement durable. Ces objectifs, selon le « Guide sur les aspects sociaux de la commande publique » de l’OECP, de juillet 2018, disponible sur le site de la Direction des affaires juridiques de Bercy, sont donc « partie intégrante, pour chaque achat, de l’expression du besoin et en cela concourent à l’efficacité et à la performance du service public ». Aussi, tous les contrats de la commande publique « ont potentiellement vocation à porter des démarches d’insertion de tous les publics éloignés de l’emploi ».
Ces outils sont les suivants : les critères d’attribution, les clauses d’insertion, les marchés publics de services sociaux et autres services spécifiques ainsi que les marchés réservés. Cependant, les contraintes qu’impliquent la mise œuvre de ces outils pour les acheteurs publics sont nombreuses.
Ainsi, si l’utilisation de critères d’attribution comprenant une dimension socialeest rendue possible par l’article R. 2152-7 du CCP, son usage est encadré par la jurisprudence. En effet, bien que ce mode d’insertion d’une dimension sociale soit très apprécié des acheteurs publics, notamment par le biais du critère « Responsabilité sociétale des entreprises » ou RSE, qui a le vent en poupe, le Conseil d’État a rappelé, dans sa décision du 25 mai 2018, l’importance du lien des critères avec l’objet du marché ou ses conditions d’exécution. Il précise « qu’à cet égard, des critères à caractère social, relatifs notamment à l’emploi, aux conditions de travail ou à l’insertion professionnelle des personnes en difficulté, peuvent concerner toutes les activités des entreprises soumissionnaires pour autant qu’elles concourent à la réalisation des prestations prévues par le marché » (CE, 25 mai 2018, Nantes Métropole, n°417580). Le contrôle de ce lien avec le marché ne peut donc s’effectuer qu’au cas par cas. Aussi, la définition de cette clause et l’analyse circonscrite aux seules conditions d’exécution du marché ou à son objet obligent l’acheteur à être très vigilant lors de l’utilisation d’un tel critère. Dans le cas contraire, un risque contentieux important pèse sur la procédure de passation du contrat.
En outre, le recours aux marchés publics de services sociaux et aux services spécifiques, prévu par l’article R. 2123-1 du CCP est également un outil intéressant pour les acheteurs. Ces marchés ont pour objet la qualification et l’insertion professionnelle de personnes en difficulté, sur lesquels peuvent se greffer, à titre de support, la réalisation de prestations de services. Ainsi, dès lors qu’un marché revêt un tel objet, il peut être passé, quel que soit le montant de la valeur estimée du besoin, avec une procédure adaptée. Le principal objectif de ces marchés n’étant, par conséquent, pas la qualité de service mais bien l’insertion, certains acheteurs peuvent être effrayés par leur emploi. Son utilisation est, toutefois, restreinte aux seuls services mentionnés dans l’avis relatif aux contrats de la commande publique ayant pour objet des services sociaux et autres services spécifiques. Celui-ci a été annexé au code de la commande publique par l’arrêté du 22 mars 2019 portant l’annexe préliminaire du code de la commande publique. Aussi, cette restriction justifie que ces marchés ne soient, en réalité, que peu utilisés par les acheteurs publics.
Par ailleurs, l’utilisation des marchés réservés prévus par les articles L. 2113-12 à L. 2113-16 du CCP est un outil extrêmement intéressant puisqu’il permet de restreindre l’accès à la procédure aux seules entreprises employant des travailleurs handicapés ou défavorisés ou à celles de l’économie sociale et solidaire.
Concernant la réservation des marchés aux entreprises employant des travailleurs handicapés ou défavorisés, l’article L. 2113-14 du CCP précise qu’elle ne peut seulement concerner, pour un même marché ou lot, que l’un ou l’autre de ces publics éloignés de l’emploi. Aussi, cela nécessite que les pouvoirs publics aient déterminés avant le lancement de la procédure quelles entreprises comme les établissement et services d’aide par le travail (ESAT), entreprises adaptées (EA) ou des structures d’insertion par l’activité économique (IAE) disposent de la capacité d’exécuter le marché. Il convient de relever que, conformément à l’article R. 2113-7 du CCP, ces établissements, pour pouvoir bénéficier de cette réservation doivent nécessairement compter plus de 50% de travailleurs handicapés ou défavorisés. Le nombre d’entreprises qui peut, donc, être titulaire de ces marchés publics réservés est très limité et nécessite la réalisation d’un « sourcing », en amont de la procédure de passation, pour être certain que le marché ne sera pas infructueux. Or, tous les acheteurs ne disposent pas nécessairement des capacités en interne pour identifier les domaines pertinents sur le territoire. A ce titre, les facilitateurs peuvent, à nouveau, jouer un rôle clé lors de la définition du besoin de l’acheteur.
En revanche, dans le cas de la réservation d’un marché ou d’un lot aux entreprises de l’économie sociale et solidaire, la difficulté principale émane, non seulement du fait que la durée de ces marchés est limitée à seulement trois ans, mais aussi de l’impossibilité d’attribuer un marché à une entreprise qui dans les 3 années qui précédent la mise en concurrence a été titulaire d’un marché de ce même acheteur public. Aussi, le renouvellement du marché étant rendu impossible par l’article L. 2113-16 du CCP cette réservation ne peut être envisagée que comme un lancement d’une activité pour une entreprise de l’économie sociale et solidaire et non une situation durable.
Cette limite restreint donc considérablement le nombre des entreprises qui peuvent bénéficier de cette réservation et le nombre de contrats qui peuvent être concernés.
Enfin, la principale difficulté à l’introduction d’une clause d’insertion(article L. 2112-2 du CCP) vient de la nécessité de connaître le tissu économique sur le territoire afin de fixer un objectif en nombre d’heures d’insertion réalisable au cours de l’exécution du marché. Il faut donc tenir compte à la fois du secteur d’activité et du public mobilisable sur le territoire. Les facilitateurs ont alors un rôle majeur pour éviter que des tensions n’apparaissent avec le titulaire du marché en cours d’exécution et que ce dernier ne puisse pas atteindre les objectifs fixés par le contrat. Cette mission d’accompagnement commence, par conséquent, dès la définition du besoin de l’acheteur et l’élaboration du cahier des charges du marché. Ils vont, non seulement accompagner l’acheteur dans l’identification des secteurs propices à l’insertion, mais aussi dans la définition et la rédaction de la clause. Le facilitateur joue également un rôle d’intermédiaire entre l’acheteur et le titulaire, en cours d’exécution du contrat, pour aider ce dernier à atteindre l’objectif du nombre d’heures d’insertion prévu, voire le dépasser, et le justifier. Cependant, comme nous l’avons vu, la réussite de leur mise en place et en œuvre dépend énormément du rôle des quelques 444 facilitateurs en France et donc de leur implantation dans un territoire. Les réussites sont donc très variables d’un territoire à un autre.
En sus, il ne faut pas oublier que le simple fait d’allotir des marchés publics peut permettre à des PME employant des publics éloignés de l’emploi d’accéder plus aisément à la commande publique, comme le rappel l’OECP dans le « guide sur les aspects sociaux de la commande publique » de juillet 2018, précité.
Par conséquent, pour atteindre les 25% de marchés conclus sur une année comprenant une dimension sociale,il reste encore bien du chemin à parcourir pour les collectivités territoriales comme pour l’État ainsi que pour leurs établissements. De plus, il convient de rappeler aux acheteurs que les marchés publics ne sont pas les seuls qui peuvent être concernés par ces mesures sociales. En effet, tous les contrats de la commande publique peuvent les intégrer. A ce titre, leurs effets peuvent être maximisés, notamment dans le cadre des contrats de concession, en raison de leur ampleur et de leur durée souvent plus longue que celle des marchés publics. Les autorités concédantes ne peuvent donc qu’être encouragées à y recourir.
Aussi, les acheteurs ne doivent pas hésiter à se servir du « Guide sur les aspects sociaux de la commande publique », bien qu’il ne soit pas encore à jour du nouveau code de la commande publique, lors de l’élaboration du cahier des charges de la consultation, pour évaluer quels sont les outils adaptés pour l’intégration d’aspects sociaux dans le futur contrat. De même, le travail conjoint avec les facilitateursque sont les maisons de l’emploi ou les Plans locaux pour l’insertion et l’emploi (PLIE), doit être favorisé, afin d’augmenter le nombre de marché comprenant des clauses d’insertion, voire de les systématiser dans certains secteurs, et faciliter leur suivi dans le but de redynamiser l’emploi et son accès dans les territoires les plus concernés par ces difficultés.
[1]D’après le site http://www.emploi-bordeaux.fr
[2]D’après le site http://www.emploi-tme.fr