Voici, commentée, la toute nouvelle circulaire Castaner sur les « nuançages » politiques

 

Quelques jours à peine après la suspension de sa circulaire relative aux nuances politiques (le « nuançage ») attribuées (de tous temps et contre le souhait des maires ruraux) par les préfets aux élections, le Ministre le l’Intérieur a corrigé le tir.

 

Voici une présentation de cette circulaire en date du 3 février 2020 (I) suivie par un rappel du dispositif et des raisons pour lesquelles les maires et les maires ruraux demandaient cette fin du « nuançage » politique en dessous d’un certain seuil tout en demandant des correctifs à « cette circulaire Castaner » (II) avant que de rappeler ce que fut l’ordonnance de suspension par le Conseil d’Etat le 31 janvier 2020 (III). En annexe, se trouve l’ancienne circulaire. 

 

I. La nouvelle circulaire du 3 février 2020 (nouvelles nuances et seuil à 3500 hab.)

VOICI LE TEXTE DE LA NOUVELLE CIRCULAIRE AVEC UN NOUVEAU SEUIL DE 3500 HABITANTS (AU LIEU DE 9000 DANS LA MOUTURE SUSPENDUE… OU DE 1000 ANTERIEUREMENT [le seuil de 1 000 étant quant à lui contesté par l’AMF et l’AMRF]… et avec surtout des nuances politiques selon les cas un peu moins contestables) :

circulaire du 3 février 2020 relative à l’attribution des nuances politiques aux candidats aux élections municipales et communautaires des 15 et 22 mars 2020 (INTA1931378J)

 

Voici quelques extraits de cette circulaire :

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II. Explications complémentaires : rappel du dispositif et des raisons pour lesquelles les maires et les maires ruraux demandaient cette fin du « nuançage » politique en dessous d’un certain seuil tout en demandant des correctifs à « cette circulaire Castaner »

A ce jour, les maires qui ne revendiquent aucune étiquette politique… s’en font attribuer une par les préfets.

Or, les partis politiques traditionnels, notamment à droite (ou à gauche dans certains départements comme l’Aude par exemple) sont fortement implantés dans les petites communes où souvent on se présente sans étiquette… mais ce nuançage fait par les préfets agace beaucoup de maires ruraux qui, et on les comprend, tiennent à leur image de « sans étiquette » (écornée cependant lors des parrainages par exemple).

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En réponse à une question du sénateur Dany Wattebled (Les Indépendants, Nord), à ce sujet  le Ministre de l’Intérieur Christophe Castaner a, en octobre dernier, et c’est une première, accepté le principe de mettre fin à ce régime et à permettre à des maires de communes de rester en quelque sorte non inscrits , à ne pas se faire attribuer plus ou moins aléatoirement une « nuance politique ». Bref à accepter en deçà d’un seuil à fixer (le Ministre avait alors évoqué le seuil de 3 000 hab. ; le parlementaire Wattebled voulait un seuil de 9 000 habitants) la fin de ce que l’on appelle le « nuançage ».

Le véhicule pour cette évolution législative devait initialement être le projet de loi engagement et proximité en cours de débats en plénière au Sénat et qui doit être adopté pour la fin de l’année.

Or, selon nos informations, il ne s’agissait pas à l’époque de faire un coup politique mais de concéder aux sénateurs une demande récurrente des maires ruraux (et de l’AMF depuis 2014). Mais il n’est évidemment pas impossible que le Gouvernement ait voulu relativiser les futurs résultats des municipales et que le Conseil d’Etat, ce jour, ait pris cela en compte.

Voir en vidéo  :

Voir un amendement déjà déposé au Sénat sur ce même projet de loi, en ce sens :

Voir deux articles à ce sujet dans la presse spécialisée :

 

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A l’Assemblée Nationale, sur le projet de loi engagement et proximité, le Gouvernement a fait mine de s’opposer début novembre à cette fin du nuançage pourtant voté par le Sénat.

Ce qui a entraîné l’ire des sénateurs et de l’AMF qui demande la fin de ce nuançage depuis 2014 ou en tous cas son retour à un seuil plus élevé que celui de mille habitants :

https://www.maire-info.com/parlement/engagement-et-proximite-à-l%27assemblee-nationale-quelques-avancees-beaucoup-de-reculs-article-23576

 

D’où la surprise de voir certains élus s’indigner de voir accorder ce qu’ils demandaient.

 

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De fait, en acceptant la demande initiale d’une fin du nuançage en dessous de 9 000 habitants, le Gouvernement pouvait se flatter de répondre aux demandes des élus ruraux… et du Sénat… tout en excluant des calculs les communes où LREM risque d’être moins performante que les grandes villes.

Mais mettre ce seuil à 9 000 habitants était trop, trop gros. D’où la censure du Conseil d’Etat du 31 janvier 2020 (en suspension partielle) sur ce point en sus d’autres motifs de suspension sur les nuances prévues.

 

Vendredi 17 janvier, on apprenait que l’AMF (comme l’AMRF d’ailleurs) :

  • se félicitait de la fin de ce nuançage (nonobstant donc les expressions individuelles d’élus exerçant d’augustes fonctions au sein de cette association)
  • rappelait l’importance de bien faire la différence entre le nuançage et l’étiquetage

 

Dans l’organe Maire-info, lié à l’AMF, ces positions étaient rappelées mais avec une nuance au demeurant tout à fait raisonnable et que l’on retrouve dans la suspension de ce jour du Conseil d’Etat.

Il était écrit dans Maire-info que :

Trois lignes de la circulaire, en revanche, sont susceptibles de faire débat : la nouvelle nuance « LDVC » (liste divers centre) doit être attribuée, d’une part, aux listes « qui auront obtenu l’investiture de la République en marche ou du MoDem »… mais également (et c’est là où le bât blesse), « aux listes de candidats qui, sans être officiellement investies par LaREM ni par le MoDem ni par l’UDI, seront soutenues par ces mouvements ». Cette disposition permettra qu’un maire LR ou PS soutenu mais non investi par LaREM soit comptabilisé au titre de la majorité présidentielle. Il y a lieu de s’étonner du fait qu’une nouvelle catégorie ait été créée, « soutenu par »… mais pour une seule tendance. 

Cela dit, reconnaissons aussi que les soutiens politiques, aujourd’hui, aux candidats s’avèrent parfois brouillés (élus soutenus par LREM, LR et PS…).

Voir l’article complet de Maire info de vendredi après-midi à ce sujet :

 

Puis était diffusé un autre communiqué de l’AMF. L’AMF notamment y demande, de nouveau (et ce n’est pas déraisonnable), la création d’une catégorie « non inscrit ou sans étiquette ».

Le Ministre aurait du corriger le tir (écouter l’AMF et baisser ce nuançage à 3500 hab. comme il a fini par le faire). Pour ne pas l’avoir fait, il aura à gérer l’ordonnance rendue ce jour par le Conseil d’Etat…

 

III. Voici cette ordonnance rendue par le Conseil d’Etat

 

Le juge des référés du Conseil d’État a été saisi de plusieurs requêtes contestant la légalité de la circulaire du 10 décembre 2019 du ministre de l’intérieur fixant les règles d’attribution des nuances politiques aux candidats aux élections municipales de mars 2020. Une telle attribution vise à permettre aux pouvoirs publics et aux citoyens de disposer de résultats électoraux faisant apparaître les tendances politiques locales et nationales.

Le juge des référés a prononcé la suspension de trois séries de dispositions de cette circulaire :

L’attribution des nuances aux listes dans les seules communes de 9 000 habitants ou plus

Le juges des référés a relevé qu’une telle limitation conduit, dans plus de 95% des communes, à ne pas attribuer de nuance politique et exclut ainsi de la présentation nationale des résultats les suffrages exprimés par près de la moitié des électeurs. En outre, si, pour plus de 80% des listes présentées dans ces communes, les nuances attribuées lors des précédentes élections municipales ne correspondaient pas à celles d’un parti politique, il avait été possible dans le passé d’attribuer des nuances intitulées « divers droite » et « divers gauche » pour trois quarts d’entre elles, reflétant ainsi les choix politiques des électeurs. Le seuil retenu par la circulaire a, en conséquence, pour effet potentiel de ne pas prendre en considération l’expression politique manifestée par plus de 40% du corps électoral pour les prochaines élections.
Le juges des référés du Conseil d’État en a déduit qu’une telle limitation ne pouvait être appliquée, au regard de l’objectif d’information des citoyens poursuivi par la circulaire.

L’attribution de la nuance « Liste divers Centre » aux listes soutenues par LREM, le MODEM, l’UDI ou la « majorité présidentielle »

La circulaire prévoit qu’en principe seule l’investiture par un parti politique, et non son simple soutien, permet d’attribuer une nuance politique à une liste. Elle fait toutefois exception à cette règle pour les seules listes qui seront soutenues par les partis LREM, le MODEM, l’UDI ou par « la majorité présidentielle », dont les résultats seront comptabilisés dans la nuance « divers centre », alors que le soutien d’un parti de gauche ou d’un parti de droite à une liste ne permet pas de prendre en compte ses résultats au titre respectivement des nuances « divers gauche » et « divers droite ».
Le juges des référés du Conseil d’État a estimé que la circulaire instituait ainsi une différence de traitement entre les partis politiques, et méconnaissait dès lors le principe d’égalité.

Le classement de la nuance « Liste Debout la France » (LDLF) dans le bloc de clivage « extrême droite »

Le juges des référés a relevé qu’un tel classement ne s’expliquait que par le soutien apporté par le président de « Debout la France », à l’issue du premier tour des élections présidentielles de 2017, en faveur de la présidente du Rassemblement national, et n’avait pas pris en compte, notamment, le programme de ce parti et l’absence d’accord électoral conclu avec le Rassemblement national.
Dans ces conditions, le juges des référés du Conseil d’État a estimé que le classement de la nuance « Liste Debout la France » (LDLF) dans le bloc de clivage « extrême droite » ne s’appuyait pas sur des indices objectifs.

 

CONSEIL D’ETAT
statuant au contentieux    

N°s 437675, 437795, 437805, 437824, 437910, 437933
__________

Mme LAROCHE ET AUTRES
__________

Ordonnance du 31 janvier 2020

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

LE JUGE DES RÉFÉRÉS
STATUANT DANS LES CONDITIONS PRÉVUES AU
TROISIEME ALINEA DE L’ARTICLE L. 511-2 DU CODE DE JUSTICE ADMINISTRATIVE

Vu la procédure suivante :

Sous le n° 437675, par une requête, un mémoire complémentaire et un mémoire en réplique, enregistrés les 15, 24 et 29 janvier 2020 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, Mme Elisabeth Laroche et M. Alexandre Nanchi demandent au juge des référés du Conseil d’Etat, statuant sur le fondement de l’article L. 521-1 du code de justice administrative :

1°) d’ordonner la suspension de l’exécution de la circulaire INTA1931378J du 10 décembre 2019 du ministre de l’intérieur relative à l’attribution des nuances politiques aux candidats aux élections municipales et communautaires des 15 et 22 mars 2020 jusqu’à ce qu’il soit statué au fond sur sa légalité ;

2°) de mettre à la charge de l’Etat la somme de 3 000 euros à leur verser à chacun au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Ils soutiennent que :

        • la circulaire litigieuse fait grief ;
        • la condition d’urgence est remplie en raison de l’atteinte grave que cette circulaire porte à un intérêt public, à leur situation et aux intérêts qu’ils entendent défendre ainsi qu’en raison de la proximité des échéances électorales ;
        • il existe un doute sérieux quant à la légalité de la circulaire litigieuse ;
        • cette circulaire est entachée d’incompétence ;
        • la Commission nationale de l’informatique et des libertés et le Conseil d’Etat auraient dû être préalablement consultés ;
        • la limitation de l’attribution des nuances aux candidatures présentées dans les seules communes de 9 000 habitants ou plus et chefs-lieux d’arrondissement méconnaît les dispositions des articles 2 et 5 du décret n° 2014-1479 du 9 décembre 2014, contredit l’objectif poursuivi par ce décret en faisant obstacle à l’information effective des citoyens sur l’état politique du pays et méconnaît le principe d’égalité entre les formations politiques ;
        • l’établissement des grilles de nuances, en particulier le mode d’attribution de la nuance « Liste divers centre » (LDVC), ne présente pas de garantie d’objectivité, méconnaît le principe d’égalité entre les formations politiques et porte atteinte à la lisibilité et à la sécurité du scrutin.

Par un mémoire en défense, enregistré le 27 janvier 2020, le ministre de l’intérieur conclut au rejet de la requête. Il soutient que la condition d’urgence n’est pas remplie et que les moyens invoqués ne sont pas propres à créer, en l’état de l’instruction, un doute sérieux quant à la légalité de la circulaire attaquée.

Sous le n° 437795, par une requête et un mémoire enregistrés les 20 et 28 janvier 2020 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, M. Olivier Marleix demande au juge des référés du Conseil d’Etat, statuant sur le fondement de l’article L. 521-2 du code de justice administrative, d’ordonner la suspension de l’exécution de la circulaire INTA1931378J du 10 décembre 2019 du ministre de l’intérieur relative à l’attribution des nuances politiques aux candidats aux élections municipales et communautaires des 15 et 22 mars 2020 jusqu’à ce qu’il soit statué au fond sur sa légalité.

Il soutient que :

        • il justifie d’un intérêt lui donnant qualité pour agir ;
        • la circulaire litigieuse fait grief ;
        • la condition d’urgence est remplie en raison de la proximité du dépôt des candidatures en préfecture et des élections municipales et communautaires ;
        • la limitation de l’attribution des nuances aux candidatures présentées dans les seules communes de 9 000 habitants ou plus et chefs-lieux d’arrondissement porte une atteinte grave et manifestement illégale au principe du pluralisme des courants d’idées et d’opinions et au principe de liberté d’action des partis politiques garantis par l’article 4 de la Constitution, au principe d’égalité entre les communes, devant le suffrage et entre les partis politiques, à la clarté et à la sincérité des scrutins, enfin à l’article 4 du décret n° 2014-1479 du 9 décembre 2014 ;
        • l’établissement des grilles de nuances, en particulier le mode d’attribution de la nuance « Liste divers centre » (LDVC), porte une atteinte grave et manifestement illégale au principe de sincérité du suffrage, au principe du pluralisme des courants d’idées et d’opinions et au principe de liberté d’action des partis politiques garantis par l’article 4 de la Constitution, enfin, au deuxième alinéa de l’article 9 du décret n° 2014-1479 du 9 décembre 2014.

Par un mémoire en défense, enregistré le 27 janvier 2020, le ministre de l’intérieur conclut au rejet de la requête. Il soutient que les conclusions présentées contre la circulaire attaquée sont irrecevables, que la condition d’urgence prévue par l’article L. 521-2 du code de justice administrative n’est pas remplie et que la circulaire attaquée ne porte aucune atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale.

Sous le n° 437805, par une requête et un mémoire en réplique, enregistrés les 21 et 28 janvier 2020 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, le parti Les Républicains demande au juge des référés du Conseil d’Etat, statuant sur le fondement de l’article L. 521-1 du code de justice administrative :

1°) de suspendre l’exécution de la circulaire INTA1931378J du 10 décembre 2019 du ministre de l’intérieur relative à l’attribution des nuances politiques aux candidats aux élections municipales et communautaires des 15 et 22 mars 2020 ;

2°) de mettre à la charge de l’Etat la somme de 2 000 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

        • la circulaire litigieuse fait grief ;
        • il justifie d’un intérêt lui donnant qualité pour agir ;
        • la condition d’urgence est remplie dès lors que la circulaire litigieuse n’ayant pas été publiée ou diffusée, il ne peut lui être reproché d’avoir tardé à présenter sa requête, que les candidatures aux élections municipales et communautaires des 15 et 22 mars 2020 doivent être enregistrées à compter du 11 février 2020, que l’application de la circulaire aurait des conséquences irréversibles et que la présentation des nuances politiques résultant de la circulaire avant la tenue des opérations électorales et après le premier tour du scrutin sera susceptible de porter atteinte à la sincérité du suffrage, enfin que la suspension de la circulaire ne porterait, pour sa part, atteinte à aucun intérêt public ;
        • il existe un doute sérieux quant à la légalité de la circulaire litigieuse ;
        • cette circulaire est entachée d’incompétence ;
        • elle aurait dû faire l’objet de la fiche d’impact préalable prévue par l’article 8 du décret du 7 mai 2015 portant charte de la déconcentration ;
        • l’absence de sa publication méconnaît le principe de sécurité juridique ;
        • la limitation de l’attribution des nuances aux candidatures présentées dans les seules communes de 9 000 habitants ou plus et chefs-lieux d’arrondissement ne correspond à aucune règle applicable en matière de mode de scrutin, n’est pas pertinente, porte atteinte à la libre expression du suffrage et à la sincérité du scrutin, enfin, est entachée d’un détournement de pouvoir ;
        • l’établissement des grilles de nuances, en particulier le mode d’attribution de la nuance « Liste divers centre » (LDVC), méconnaît le principe du pluralisme des courants d’idées et d’opinions et le principe de la participation équitable des partis à la vie démocratique de la Nation garantis par l’article 4 de la Constitution, la liberté d’association, le principe d’égalité entre les formations politiques, porte atteinte à la libre expression du suffrage et à la sincérité du scrutin garanties par l’article 3 de la Constitution, enfin, est entachée d’un détournement de pouvoir.

Par un mémoire en défense, enregistré le 27 janvier 2020, le ministre de l’intérieur conclut au rejet de la requête. Il soutient que la condition d’urgence n’est pas remplie et que les moyens invoqués ne sont pas propres à créer, en l’état de l’instruction, un doute sérieux quant à la légalité de la circulaire attaquée.

Sous le n° 437824, par une requête et un mémoire en réplique, enregistrés les 21 et 28 janvier 2020 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, M. Francis Tujague et M. Thierry Angles demandent au juge des référés du Conseil d’Etat, statuant sur le fondement de l’article L. 521-1 du code de justice administrative :

1°) de suspendre l’exécution de la circulaire INTA1931378J du 10 décembre 2019 du ministre de l’intérieur relative à l’attribution des nuances politiques aux candidats aux élections municipales et communautaires des 15 et 22 mars 2020 ;

2°) de mettre à la charge de l’Etat la somme de 3 000 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Ils soutiennent que :

        • le Conseil d’Etat est compétent ;
        • la circulaire litigieuse fait grief ;
        • la condition d’urgence est remplie dès lors, d’une part, que le dépôt des candidatures ne peut se faire que jusqu’au 27 février prochain, d’autre part, qu’étant candidats dans des communes de moins de 9 000 habitants, les résultats du scrutin les concernant ne seront pas pris en compte et, enfin, que la circulaire litigieuse porte atteinte à divers intérêts publics ;
        • il existe un doute sérieux quant à la légalité de la circulaire litigieuse ;
        • le ministre de l’intérieur n’était pas compétent pour limiter l’attribution des nuances aux candidatures présentées dans les seules communes de 9 000 habitants ou plus et chefs-lieux d’arrondissement ;
        • cette limitation méconnaît les principes du pluralisme des courants d’idées et d’opinions, de la libre expression du suffrage et du droit à une information objective, porte atteinte à la sincérité des résultats du scrutin et à l’information des électeurs ;
        • les critères fixés pour l’attribution des nuances politiques sont imprécis ;
        • l’établissement des grilles de nuances, en particulier le mode d’attribution de la nuance « Liste divers centre » (LDVC), méconnaît le principe d’égalité et est entaché d’une erreur manifeste d’appréciation.

Par un mémoire en défense, enregistré le 27 janvier 2020, le ministre de l’intérieur conclut au rejet de la requête. Il soutient que la condition d’urgence n’est pas remplie et que les moyens invoqués ne sont pas propres à créer, en l’état de l’instruction, un doute sérieux quant à la légalité de la circulaire attaquée.

Sous le n° 437910, par une requête, enregistrée le 23 janvier 2020 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, le Parti socialiste demande au juge des référés du Conseil d’Etat, statuant sur le fondement de l’article L. 521-1 du code de justice administrative :

1°) de suspendre l’exécution de la circulaire INTA1931378J du 10 décembre 2019 du ministre de l’intérieur relative à l’attribution des nuances politiques aux candidats aux élections municipales et communautaires des 15 et 22 mars 2020 ;

2°) de mettre à la charge de l’Etat la somme de 4 000 euros chacun au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

        • la condition d’urgence est remplie dès lors que la circulaire litigieuse préjudicie de manière grave et immédiate au Parti socialiste et à l’intérêt public ;
        • il existe un doute sérieux quant à la légalité de la circulaire litigieuse ;
        • le ministre de l’intérieur n’était pas compétent pour limiter l’attribution des nuances aux candidatures présentées dans les seules communes de 9 000 habitants ou plus et chefs-lieux d’arrondissement ;
        • cette limitation est entachée d’erreur manifeste d’appréciation et de détournement de pouvoir ;
        • l’établissement des grilles de nuances, en particulier le mode d’attribution de la nuance « Liste divers centre » (LDVC), méconnaît le principe d’égalité devant la loi et est entaché d’un détournement de pouvoir.

Par un mémoire en défense, enregistré le 27 janvier 2020, le ministre de l’intérieur conclut au rejet de la requête. Il soutient que la condition d’urgence n’est pas remplie et que les moyens invoqués ne sont pas propres à créer, en l’état de l’instruction, un doute sérieux quant à la légalité de la circulaire attaquée.

Sous le n° 437933, par une requête, enregistrée le 24 janvier 2020 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, le parti Debout la France, M. Philippe Torre, M. Benjamin Cauchy et M. Jean-Claude Lhommeau demandent au juge des référés du Conseil d’Etat, statuant sur le fondement de l’article L. 521-1 du code de justice administrative :

1°) de suspendre l’exécution de la circulaire INTA1931378J du 10 décembre 2019 du ministre de l’intérieur relative à l’attribution des nuances politiques aux candidats aux élections municipales et communautaires des 15 et 22 mars 2020 ;

2°) de mettre à la charge de l’Etat la somme de 5 000 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Ils soutiennent que :

        • la circulaire litigieuse fait grief ;
        • la condition d’urgence est remplie en raison de la proximité des élections municipales, qu’elle risque de fausser, portant ainsi atteinte de manière grave et immédiate à un intérêt public, à leur situation et aux intérêts qu’ils entendent défendre ;
        • il existe un doute sérieux quant à la légalité de la circulaire litigieuse ;
        • le ministre de l’intérieur n’est pas compétent pour attribuer une nuance à un parti politique ;
        • en tant que cette circulaire attribue au parti Debout la France la nuance politique « extrême-droite », elle méconnaît le principe d’impartialité et est entachée de détournement de pouvoir et d’une erreur manifeste d’appréciation ;
        • la circulaire litigieuse méconnaît le règlement général de protection des données du Parlement européen et du Conseil ;
        • la limitation de l’attribution des nuances aux candidatures présentées dans les seules communes de 9 000 habitants ou plus et chefs-lieux d’arrondissement est entachée de détournement de pouvoir, méconnaît l’article 5 du décret n° 2014-1479 du 9 décembre 2014 et porte atteinte aux principes de la libre expression du suffrage, de la sincérité du scrutin, de la libre information des citoyens et au droit d’être pris en compte dans les projections nationales des tendances politiques.

Par un mémoire en défense, enregistré le 27 janvier 2020, le ministre de l’intérieur conclut au rejet de la requête. Il soutient que la condition d’urgence n’est pas remplie et que les moyens invoqués ne sont pas propres à créer, en l’état de l’instruction, un doute sérieux quant à la légalité de la circulaire attaquée.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
– la Constitution, notamment ses articles 3 et 4 ;
– le règlement (UE) 2016/679 du Parlement européen et du Conseil du 27 avril 2016 ;
– le code des relations entre le public et l’administration ;
– la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 ;
– le décret n° 2014-1479 du 9 décembre 2014 ;
– le décret n° 2015-510 du 7 mai 2015 ;
– le code de justice administrative ;

Après avoir convoqué à une audience publique, d’une part, Mme Laroche et M. Nanchi, M. Marleix, le parti Les Républicains, M. Tujague et M. Angles, le Parti socialiste, le parti Debout la France, M. Torre, M. Cauchy et M. Lhommeau et, d’autre part, le ministre de l’intérieur ;

Vu l’audience publique du 29 janvier 2020 à 11 heures au cours de laquelle ont été entendus :

– Me Le Guerer, avocat au Conseil d’Etat et à la Cour de cassation, avocat du parti Les Républicains ;

– le représentant du parti Les Républicains ;

– Me Froger, avocat au Conseil d’Etat et à la Cour de cassation, avocat de M. Tujague et de M. Angles ;

– la représentante de M. Tujague et de M. Angles ;

– Me Lyon-Caen, avocat au Conseil d’Etat et à la Cour de cassation, avocat du Parti socialiste ;

– les représentants du Parti socialiste ;

– Mme Laroche, M. Nanchi et leur représentant ;

– M. Marleix ;

– M. Torre et le représentant du parti Debout la France et autres ;

– les représentants du ministre de l’intérieur ;

et à l’issue de laquelle l’instruction a été close ;

Considérant ce qui suit :

1. Les requêtes visées ci-dessus, qui sont présentées, pour l’une d’entre elle, sur le fondement de l’article L. 521-2 du code de justice administrative et, pour les cinq autres, sur le fondement de l’article L. 521-1 du même code, sont dirigées contre la circulaire du 10 décembre 2019 du ministre de l’intérieur relative à l’attribution des nuances politiques aux candidats aux élections municipales et communautaires des 15 et 22 mars 2020. Il y a lieu de les joindre pour y statuer par une seule ordonnance.

2. Aux termes de l’article 1er du décret du 9 décembre 2014 relatif à la mise en œuvre de deux traitements automatisés de données à caractère personnel dénommés « Application élection » et « Répertoire national des élus » : « Dans les services du ministère de l’intérieur (secrétariat général) et ceux des représentants de l’Etat dans les départements de métropole et d’outre-mer, dans les collectivités d’outre-mer et en Nouvelle-Calédonie, sont mis en œuvre deux traitements automatisés de données à caractère personnel concernant les candidats aux élections au suffrage universel et les mandats électoraux et fonctions électives que ces élections ont vocation à pourvoir. / Le premier traitement, appelé « Application élection », comprend les données relatives aux candidatures enregistrées ainsi que les résultats obtenus par les candidats. / Le second traitement, appelé « Répertoire national des élus », comprend les données relatives aux candidats proclamés élus ». En vertu de l’article 2 de ce décret, l’Application élection et le Répertoire national des élus enregistrent les données relatives, respectivement, aux candidats aux scrutins organisés pour l’élection, notamment, des conseillers municipaux et aux titulaires d’un mandat de maire ou d’adjoint au maire, de maire ou d’adjoint au maire d’arrondissement. Aux termes de l’article 3 de ce décret : « Conformément aux dispositions du IV de l’article 8 de la loi du 6 janvier 1978 susvisée, pour mettre en œuvre les traitements automatisés mentionnés à l’article 1er, le ministre de l’intérieur et les représentants de l’Etat mentionnés au même article 1er peuvent collecter, conserver et traiter sur supports informatiques ou électroniques des données faisant apparaître les appartenances politiques : / 1° Des candidats à l’un des scrutins mentionnés au I de l’article 2 et des listes ou binômes de candidats sur lesquels ils ont figuré ; / 2° Des personnes détentrices de l’un des mandats ou de l’une des fonctions énumérés au II de l’article 2 ». Aux termes de l’article 4 de ce décret : « Les traitements automatisés mentionnés à l’article 1er ont pour finalités : / 1° Le suivi des candidatures enregistrées et des mandats et fonctions exercés par les élus en vue de l’information du Parlement, du Gouvernement, des représentants de l’Etat mentionnés à l’article 1er et des citoyens ; / 2° La centralisation des résultats de chaque tour de scrutin, leur conservation et leur diffusion sous forme électronique ; / (…)10° Le suivi des titulaires successifs des mandats électoraux et des fonctions exécutives locales en vue de l’information des pouvoirs publics et des citoyens ». Aux termes de l’article 5 de ce décret : « I. – Les données à caractère personnel et informations enregistrées portant sur les personnes mentionnées à l’article 2 sont les suivantes : / (…) /6° Nuance politique attribuée au candidat par l’administration ; / 7° Nuance politique attribuée à la liste ou au binôme de candidats par l’administration ; / (…) / II.   Les données et informations mentionnées aux 3°, 4°, 5° et 6° du I portant sur les candidats aux élections municipales dans les communes de moins de 1 000 habitants et sur les conseillers municipaux des mêmes communes, à l’exception des maires et des conseillers communautaires, ne peuvent être enregistrées. ». Aux termes de l’article 8 de ce décret : « Il peut être donné communication à toute personne, sur simple demande, des données et informations mentionnées à l’article 5, à l’exception de celles qui sont prévues au 2° du I du même article. / La communication de ces données et informations s’exerce dans les conditions prévues à l’article 4 de la loi du 17 juillet 1978 susvisée ». Et aux termes de l’article 9 du décret : « Les droits d’accès et de rectification prévus par les articles 39 et 40 de la loi du 6 janvier 1978 susvisée s’exercent auprès de l’autorité administrative qui a enregistré la candidature./ Au moment du dépôt de candidature, chaque candidat, ou candidat tête de liste, est informé : / 1° De la grille des nuances politiques retenue pour l’enregistrement des résultats de l’élection ; / 2° Du fait qu’il peut avoir accès au classement qui lui est affecté et en demander la rectification, conformément à l’article 39 de la loi du 6 janvier 1978 susvisée. / Aucune demande de rectification ne peut être prise en considération pour la diffusion des résultats lorsqu’elle est présentée dans les trois jours précédant le tour de scrutin concerné ».

3. Il résulte des dispositions précitées qu’elles habilitent, pour assurer la mise en œuvre de deux traitements automatisés de données à caractère personnel dénommés « Application élection» et « Répertoire national des élus », le ministre de l’intérieur à établir une « grille des nuances politiques » destinée à permettre l’agrégation des résultats des élections en vue de l’information des pouvoirs publics et des citoyens. Ainsi que l’a relevé la Commission nationale de l’informatique et des libertés, dans la délibération n° 2013-406 du 19 décembre 2013 rendue à propos des traitements automatisés précités, la nuance politique, qui est attribuée par l’administration, vise à placer tout candidat ou élu ainsi que toute liste sur une grille politique représentant les courants politiques et se distingue ainsi des étiquettes et des groupements politiques. Elle permet aux pouvoirs publics et aux citoyens de disposer de résultats électoraux faisant apparaître les tendances politiques locales et nationales et de suivre ces tendances dans le temps.

4. A ce titre, la circulaire contestée du 10 décembre 2019 du ministre de l’intérieur relative à l’attribution des nuances politiques aux candidats aux élections municipales et communautaires des 15 et 22 mars 2020 prévoit que, dans les communes de 9 000 habitants et plus, ainsi que dans les communes chefs-lieux d’arrondissement quelle que soit leur population, les préfets et hauts-commissaires attribuent une nuance, lors de l’enregistrement des candidatures, à chaque liste ainsi qu’à chaque candidat, sur la base de deux grilles de nuances politiques qui figurent en annexes 1 et 2, une grille de 24 nuances politiques pour les candidats et une grille de 22 nuances pour les listes. Leur champ d’application, leur composition ainsi que les éléments à prendre en compte pour les appliquer sont précisés. Elles sont complétées par une grille de recoupement des nuances politiques par six blocs de clivages, lesquels sont destinés à agréger les résultats des différentes nuances (extrême gauche, gauche, autre, centre, droite, extrême droite). L’objet de cette circulaire, qui succède à des circulaires établissant des grilles de nuances politiques pour les précédentes élections municipales, est ainsi d’« agréger et présenter les résultats obtenus par les différents candidats et listes de candidats » afin de présenter les résultats les plus précis possibles, les préfets et hauts-commissaires étant invités à ne pas « altérer (…) le sens politique du scrutin en sous-estimant les principaux courants politiques ».

Sur les requêtes présentées, sous les n°s 437675, 437805, 437824, 437910 et 437933, par Mme Laroche et M. Nanchi, le parti Les Républicains, M. Tujague et M. Angles, le Parti socialiste ainsi que le parti Debout la France, M. Philippe Torre, M. Benjamin Cauchy et M. Jean-Claude Lhommeau :

5. Aux termes du premier alinéa de l’article L. 521-1 du code de justice administrative : « Quand une décision administrative, même de rejet, fait l’objet d’une requête en annulation ou en réformation, le juge des référés, saisi d’une demande en ce sens, peut ordonner la suspension de l’exécution de cette décision, ou de certains de ses effets, lorsque l’urgence le justifie et qu’il est fait état d’un moyen propre à créer, en l’état de l’instruction, un doute sérieux quant à la légalité de la décision ».

En ce qui concerne la condition d’urgence :

6. L’urgence justifie que soit prononcée la suspension d’un acte administratif lorsque l’exécution de celui-ci porte atteinte, de manière suffisamment grave et immédiate, à un intérêt public, à la situation du requérant ou aux intérêts qu’il entend défendre. Il appartient au juge des référés d’apprécier concrètement, compte tenu des justifications fournies par le requérant, si les effets de l’acte litigieux sont de nature à caractériser une urgence justifiant que, sans attendre le jugement de la requête au fond, l’exécution de la décision soit suspendue. Il lui appartient également, l’urgence s’appréciant objectivement et compte tenu de l’ensemble des circonstances de chaque espèce, de faire apparaître dans sa décision tous les éléments qui, eu égard notamment à l’argumentation des parties, l’ont conduit à considérer que la suspension demandée revêtait un caractère d’urgence.

7. S’il est constant que la circulaire litigieuse, de nature réglementaire, n’a pas fait l’objet, à ce jour, d’une publication et n’est donc pas encore juridiquement opposable, il ressort des indications données par les représentants du ministre de l’intérieur, lors de l’audience, qu’elle sera prochainement publiée pour permettre son application lors de l’enregistrement des candidatures aux élections municipales qui débute d’ici quelques jours. Eu égard à cette échéance immédiate, la condition d’urgence prévue par l’article L. 521-1 du code de justice administrative doit, dans les circonstances particulières de l’espèce, être regardée comme remplie.

En ce qui concerne la limitation de l’attribution des nuances aux seules listes dans les communes de 9 000 habitants ou plus et dans les chefs-lieux d’arrondissement :

8. Si les dispositions précitées du décret du 9 décembre 2014 autorisent le ministre de l’intérieur à collecter, conserver et traiter sur supports informatiques ou électroniques les données correspondant notamment aux nuances politiques, sous la seule réserve des dispositions prévues par le II de l’article 5 prohibant l’enregistrement des données et informations sur les candidats aux élections municipales dans les communes de moins de 1 000 habitants, elles ne sauraient, contrairement à ce qui est soutenu, être regardées comme lui imposant de mettre en œuvre cette autorisation ni, s’il la met en œuvre, de la mettre en œuvre dans sa totalité. Toutefois, un seuil plancher supérieur à celui des communes de moins de 1 000 habitants prévu par ces dispositions, limitant au regard du nombre de leurs habitants les communes dans lesquelles des nuances politiques sont attribuées, ne saurait être légalement retenu s’il est manifestement de nature à compromettre les objectifs rappelés au point 3 en ayant pour effet de dénaturer les finalités de ce traitement.

9. Il est constant que le seuil correspondant aux communes de 9 000 habitants et aux chefs-lieux d’arrondissement quelle que soit leur population, retenu par la circulaire, conduit, dans plus de 95 % des communes, à ne pas attribuer de nuance politique, et exclut, ainsi, de la présentation nationale des résultats des premier et second tours des élections municipales à venir, les suffrages exprimés par près de la moitié des électeurs. En outre, si pour plus de 80 % des listes présentes dans ces communes, les nuances attribuées lors des élections municipales de 2014 ne correspondaient pas à celles d’un parti politique, il n’est pas contesté que, pour les trois quarts d’entre elles, il avait été possible d’attribuer des nuances intitulées « divers droite » et « divers gauche », reflétant ainsi des choix politiques des électeurs. Le seuil retenu par la circulaire de 9 000 habitants a, en conséquence, pour effet potentiel de ne pas prendre en considération l’expression politique manifestée par plus de 40% du corps électoral.

10. Par suite, eu égard à l’objet même de la circulaire qui est, ainsi qu’il a été indiqué ci-dessus au points 3 et 4, d’analyser le plus précisément possible les résultats électoraux sans « altérer, même en partie, le sens politique du scrutin en sous-estimant les principaux courants politiques », afin de donner aux pouvoirs publics et aux citoyens l’information la plus complète et exacte possible, y compris sur les évolutions des résultats dans le temps, le moyen tiré de l’erreur manifeste d’appréciation dont elle est entachée, en tant qu’elle retient le seuil mentionné au point précédent, est propre à créer, en l’état de l’instruction, un doute sérieux quant à sa légalité.

En ce qui concerne le mode d’attribution de la nuance « Liste divers Centre » (LDVC) :

11. D’une part, aux termes des 2ème, 3ème et 4ème alinéas du c) du 2 de la circulaire contestée : « La nuance LUG (liste d’union des partis de gauche) sera attribuée aux listes qui auront obtenu l’investiture du Parti socialiste et celle d’au moins un autre parti de gauche (EELV, PRG, PCF, Générations.s) / La nuance LUD (Liste Union de la Droite) sera attribuée aux listes qui auront obtenu l’investiture conjointe des Républicains et d’un autre parti. / La nuance LDVC sera attribuée aux listes qui auront obtenu l’investiture de plusieurs partis dont LREM ou le MODEM. Elle a également vocation à être attribuée aux listes de candidats qui, sans être officiellement investies par LREM, ni par le MODEM, ni par l’UDI, seront soutenues par ces mouvements ».

12. D’autre part, à la 16ème ligne de la grille des nuances des listes figurant à l’annexe 2 de la circulaire, la nuance « Liste divers centre » (LDVC) correspond aux partis et formations politiques suivants : « Liste d’Union entre plusieurs parties dont au moins LREM ou le MODEM. Listes soutenues par la majorité présidentielle sans pour autant être investies par un parti du bloc du centre. Autres listes de sensibilité centriste (dont les dissidents) ».

13. Il résulte de ces dispositions qu’en principe seule l’investiture par un parti politique, et non son simple soutien, permet d’attribuer une nuance politique à une liste et d’agréger ainsi les résultats obtenus par cette liste à cette nuance. Toutefois, la circulaire fait une exception pour les seules listes qui seront simplement « soutenues » par les partis LREM, le MODEM, l’UDI ou par la « majorité présidentielle », dont les résultats seront comptabilisés dans la nuance « divers centre », alors que le soutien d’un parti de gauche ou d’un parti de droite à une liste ne permet pas, aux termes de la circulaire, de prendre en compte ses résultats au titre respectivement des nuances « divers gauche » et « divers droite ». En l’état de l’instruction, compte tenu de la différence de traitement qui en résulte entre les partis politiques, le moyen tiré de ce que les dispositions précitées du 4ème alinéa du c) du 2 de la circulaire contestée et de la 16ème ligne de l’annexe 2 sont contraires au principe d’égalité est propre à créer un doute sérieux quant à leur légalité.

En ce qui concerne la classification de la nuance « Liste Debout la France » (LDLF) dans le bloc de clivage « extrême-droite » :

14. Il résulte de l’instruction qu’entre sa création, en 2008 sous le nom « Debout la République », et son changement de nom en 2014, le parti « Debout la France » s’était vu attribuer la nuance politique « divers droite » (DVD), à l’exception des élections européennes de 2009 où il s’était vu attribuer une nuance « droite souverainiste » (DSV).  Depuis les élections sénatoriales de 2014, il s’est vu attribuer une nuance politique qui lui est propre. Si cette nuance a été classée, pour les élections législatives de 2017 dans le bloc de clivage « extrême droite » au même titre que le Rassemblement national, il résulte de l’instruction que cette classification se fonde essentiellement sur les seules déclarations publiques du président du parti « Debout la France », à l’issue du premier tour des élections présidentielles, en faveur de la présidente du Rassemblement national, sans que puissent être regardés comme ayant été pris en considération le programme du parti « Debout la France » et la circonstance que les deux partis n’ont pas conclu d’accord électoral, en vue de ces élections ni depuis lors. N’a pas plus été prise en considération la position du parti « Debout la France » à l’occasion des élections européennes selon laquelle ses élus ne siègeraient pas dans le même groupe que les élus du Rassemblement national, mais siègeraient dans le groupe des conservateurs britanniques et polonais. Par suite, et alors que l’attribution des nuances et leur classification doivent, ainsi que le mentionne la circulaire et que le soulignaient les représentants du ministre de l’intérieur à l’audience, procéder d’un faisceau d’indices objectifs, le moyen tiré de ce que la circulaire est entachée d’erreur manifeste d’appréciation en tant qu’elle classe la nuance « Liste Debout la France » (LDLF) dans le bloc de clivage « extrême-droite », est propre à créer, en l’état de l’instruction, un doute sérieux quant à sa légalité.

En ce qui concerne les autres moyens :

15. En l’état de l’instruction, aucun des moyens présentés à l’appui des conclusions tendant à la suspension de l’exécution d’autres dispositions de la circulaire ou de celle-ci prise dans son ensemble n’est de nature à créer un doute sérieux quant à sa légalité.

16. Il résulte de tout ce qui précède, sans qu’il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens présentés à l’appui des conclusions examinées aux points 8 à 14, que les requérants ne sont fondés à demander la suspension de l’exécution de la circulaire contestée qu’en tant qu’elle limite l’attribution des nuances aux listes dans les seules communes de 9 000 habitants ou plus et dans les chefs-lieux d’arrondissement, en tant qu’elle prévoit l’attribution de la nuance « Liste divers Centre » (LDVC) aux listes qui, sans être officiellement investies par LREM, le MODEM, l’UDI seront soutenues par ces partis ou par la « majorité présidentielle » et en tant qu’elle classe la nuance « Liste Debout la France » (LDLF) dans le bloc de clivage « extrême-droite ».

17. Il y a lieu, dans les circonstances de l’espèce, de mettre à la charge de l’Etat, pour chacune des requêtes présentées sous les n°s 437675, 437805, 437824, 437910 et 437933, la somme de 2 000 euros, à répartir le cas échéant entre les requérants, au titre des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Sur la requête présentée, sous le n° 437795, par M. Marleix :

18. Aux termes de l’article L. 521-2 du code de justice administrative: « Saisi d’une demande en ce sens justifiée par l’urgence, le juge des référés peut ordonner toutes mesures nécessaires à la sauvegarde d’une liberté fondamentale à laquelle une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d’un service public aurait porté, dans l’exercice d’un de ses pouvoirs, une atteinte grave et manifestement illégale. Le juge des référés se prononce dans un délai de quarante-huit heures ».

19. Dans le dernier état de ses écritures, M. Marleix conclut à ce que les effets de la circulaire soient suspendus jusqu’au jugement des recours pour excès de pouvoir introduit par les autres requérants. Dès lors que les atteintes alléguées à une liberté fondamentale se rapportent uniquement aux dispositions de la circulaire relatives à la limitation de l’attribution des nuances aux seules communes de 9 000 habitants ou plus ainsi qu’aux chefs-lieux d’arrondissement, et au mode d’attribution de la nuance « Liste divers Centre » (LDVC), dont le point 16 de la présente décision prononce la suspension de l’exécution, ces conclusions ont perdu leur objet.

O R D O N N E :
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Article 1er : L’exécution de la circulaire du 10 décembre 2019 du ministre de l’intérieur relative à l’attribution des nuances politiques aux candidats aux élections municipales et communautaires des 15 et 22 mars 2020 est suspendue en tant qu’elle limite l’attribution des nuances aux listes dans les seules communes de 9 000 habitants ou plus ainsi que dans les chefs-lieux d’arrondissement, en tant qu’elle prévoit l’attribution de la nuance « Liste divers Centre » (LDVC) aux listes qui, sans être officiellement investies par LREM, le MODEM, l’UDI, seront soutenues par ces partis ou par la « majorité présidentielle » et en tant qu’elle classe la nuance « Liste Debout la France » (LDLF) dans le bloc de clivage « extrême-droite », jusqu’à qu’il soit statué au fond sur sa légalité.

Article 2 : L’Etat versera, pour chacune des requêtes présentées sous les n°s 437675, 437805, 437824, 437910 et 437933, la somme de 2 000 euros, à répartir le cas échéant entre les requérants, au titre des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : Il n’y a pas lieu de statuer sur la requête présentée par M. Marleix sous le n° 437795.

Article 4 : Le surplus des conclusions des autres requêtes est rejeté.

Article 5: La présente ordonnance sera notifiée à Mme Elisabeth Laroche, M. Francis Tujague et au parti Debout la France, premiers dénommés sous les n°s 437675, 437824 et 437933 ainsi qu’au parti Les Républicains, au Parti socialiste, à M. Olivier Marleix et au ministre de l’intérieur.

 

 

IV. Voici le texte de la circulaire précédente, qui avait été partiellement suspendue donc le 31 janvier 2020 avant que d’être (complétée ? implicitement abrogée ?) par la circulaire du 3 février 2020

 

Source : Public Sénat :

 

 

 

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