Prisons et centres de rétention… face au poison de la contagion : une litanie de décisions sans rime ni raison ?

prison covid

Du crime, les prisons
sont déjà des lieux d’expansion
Des maisons de mauvaise rééducation
pour les « mauvais garçons ».
Les voici lieux de contamination,
sans guérison ni rémission. 

Le Conseil d’Etat, en guise de triste oraison,
pose fermement, décision après décision,
qu’il faudrait, sans beaucoup de protection,
laisser se répandre le poison en prison.

Certes quelques TA ont-ils osé quelques injonctions.
Il faut bien que ce juge sache garder raison,
et puisse préserver, un minimum, sa réputation. 
Cela dit, il semble qu’il faille reconnaître à cette administration
d’avoir su prendre des mesures rapides et efficaces de protection.
Au total, passons en revue avec fort peu de délectation,

cette litanie, au cas par cas, de décisions.
Certes peut-on avec beaucoup d’obstination
trouver quelque semblant de cohésion 
à cette fort étrange série de décisions :
au total le juge pose au fil de ces positions

qu’a assez fait cette administration contre la contagion
sous réserve de quelques utiles admonestations
Il reste cependant qu’un requérant n’obtiendra raison 
qu’en première instance, en des cas extrêmes de déraison
et à la condition d’avoir, des dieux du hasard, la bénédiction. 

 

I. L’ordonnance du CE en date du 3 avril 2020 : pas de fermeture de principe des centres de rétention

Le bal s’est ouvert avec une ordonnance portant moins sur Le Conseil d’Etat rejette la demande de fermeture temporaire des centres de rétention administrative (CRA) le temps de la crise du Covid-19 :

CE, ord., 27 mars 2020, n° 439720:

 

II. CE, ord., 3 avril 2020, n°439894 : non censure des adaptations de délais en matière de détention provisoire

Puis vint une autre ordonnance portant moins sur les questions sanitaires que de procédure pénale versus les libertés individuelles et la présomption d’innocence (délais de détention provisoire).

Le Conseil d’État a rejeté, par simple ordonnance de tri, sans audience donc (ce qui est possible dans diverses hypothèses), le 3 avril 2020, un recours du Syndicat des Avocats de France (avec intervention du Syndicat de la Magistrature), ainsi apparemment que quelques autres recours parallèles (ADAP, UJA, LDH et CNB semble-t-il ?).

Ce ou ces recours avaient(en)t été intenté(s) contre l’ordonnance 2020-303 du 25 mars 2020 (voir ici et ) et la circulaire (voir ici) prolongeant les délais de détention provisoire sans juge, et ce pour cause d’état d’urgence sanitaire.

Voir CE, ord., 3 avril 2020, n°439894 :

NB : voir en sens contraire T. corr. Epinal, 7 avril 2020, n° inconnu, diffusé par Dalloz ici

 

III. TA de la Martinique, ord., 4 avril 2020, n° 2000200 : injonction de mesures de protection dans une prison

Cela dit, dès le lendemain, le tribunal administratif de la Martinique, statuant collégialement en référé liberté, a rendu une ordonnance vigoureuse de protection.

Il a en effet ordonné la mise à disposition de masques et gants aux détenus et aux auxiliaires de vies lors de la distribution des repas, et enjoint la mise en oeuvre de tests de dépistage.

 

Source : TA de la Martinique, ord., 4 avril 2020, n° 2000200 :

 

IV. CE, ord., 8 avril, n°439821 et n°439827 [2 ordonnances différentes] : pas de censure de l’administration par le Conseil d’Etat… mais au nom de promesses faites en cours d’audience (indiquant une censure ensuite probable si ces promesses ne sont pas suivies d’effet).

Ensuite, par deux décisions, le Conseil d’Etat a rendu deux ordonnances revenant à la rigueur première du juge, mais cela s’est fait notamment en raison des promesses de l’administration formalisées durant l’audience (augurant d’une censure ensuite si ces promesses venaient à ne pas être suivies d’effet pour peu qu’un nouveau recours soit ensuite engagé… le juge recourt beaucoup à cette astuce ces temps ci ; voir par exemple ici et ).

CE, ord., 8 avril, n°439821 et n°439827 [2 ordonnances différentes]

 

V. CE, ord., 14 avril 2020, n°439924 et n° 439899 [2 esp.]

Puis le Conseil d’Etat a refusé d’enjoindre à l’Etat quelques mesures de protection des surveillants et surveillés en prison. Voir :

 

VI. TA de Paris, ord., 15 avril 2020, n° 2006287-2006288-2006289 (injonction de prendre des mesures concernant un centre de rétention)

 

Le TA de Paris a posé, dès le lendemain, en référé liberté, que maintien en fonctionnement, dans ces conditions, du centre de rétention de Vincennes portait une atteinte grave et manifestement illégale au droit à la vie et au droit à l’accès aux soins des personnes placées dans ce centre.

Source : TA de Paris, ord., 15 avril 2020, n° 2006287-2006288-2006289 (centre de rétention). Voir aussi TA Paris, ord., 21 avril 2020, n° 2006359/9 :

 

VII. TA Cergy-Pontoise, ord., 21 avril 2020, n°2003952 : nul besoin d’en faire plus, à l’aune de ce qu’est un référé liberté, à la maison d’arrêt de Nanterre

 

Le juge des référés du tribunal administratif de Cergy-Pontoise a rejeté le recours de détenus de la maison d’arrêt de Nanterre qui sollicitaient le renforcement des mesures sanitaires. Le juge des référés a estimé que les mesures prises pour assurer le maintien des liens personnels et familiaux des détenus et pour sécuriser les échanges avec leurs avocats étaient suffisantes.

TA Cergy-Pontoise, ord., 21 avril 2020, n°2003952 :

 

 

VIII. CE, 21 avril 2020, ord., n° 440007 : à Grasse, nul besoin, non plus, d’en faire plus selon le TA de Nice puis selon la Haute Assemblée 

 

Par cette nouvelle décision, le Conseil d’Etat avait de nouveau à faire face à des accusations de  carence de l’administration pénitentiaire en ce qui concerne la fourniture de produits d’hygiène et d’entretien, de savon et de gel hydro-alcoolique, de masques de protection ainsi que de tests de dépistage.

Le TA de Nice avait rejeté les recours des requérants et le Conseil d’Etat a validé ce rejet.

De fait, il se trouvait qu’à la date du 17 avril 2020, on ne recensait, parmi les personnes détenues à la maison d’arrêt en cause, à savoir celle de Grasse, ni cas confirmé de contamination au virus du covid-19 ni cas symptomatique. L’administration avait localement mis en place un confinement sanitaire pour les nouveaux arrivants et avait, globalement, pris en compte un certain nombre de mesures.

Donc le Conseil d’Etat a rejeté les requêtes. De fait, du côté des requérants, ce n’était sans doute pas le bon cas à brandir… à en lire, en tous cas, l’ordonnance ainsi rendue.

CE, ord., 21 avril 2020, n° 440007 :

http://www.conseil-etat.fr/fr/arianeweb/CE/decision/2020-04-21/440007

 

IX. TA de Nice, ord., 22 avril 2020, n°2001749 : Le tribunal donne partiellement raison à la demande formée par l’Ordre des avocats au Barreau de Nice en matière de masques pour les détenus et les avocats… mais pour les avocats seulement (et encore…)

L’Ordre des avocats au Barreau de Nice avait formé un référé liberté, soutenant que les carences de l’administration concernant notamment l’usage des masques à la maison d’arrêt de Nice, qui ne permettrait pas selon lui de prévenir efficacement les risques de contamination au covid-19 tant de la population carcérale que des personnels de l’administration pénitentiaire et des avocats intervenant au sein de la maison d’arrêt, méconnaissent gravement et manifestement les libertés fondamentales que sont le droit au respect de la vie, le droit de ne pas être soumis à des traitements inhumains ou dégradants ainsi que les droits de la défense.

Le juge des référés lui a donné partiellement raison, se fondant sur l’ordonnance rendue par le juge des référés du Conseil d’Etat le 20 avril 2020, saisi par les avocats parisiens et marseillais, selon laquelle, face à un contexte de pénurie persistante de masques disponibles, il appartient à l’Etat d’en doter d’abord ses agents, à l’égard desquels il a, en sa qualité d’employeur, une obligation spécifique de prévention et de sécurité pour garantir leur santé mais aussi, tant que persiste cette situation de pénurie, d’aider les avocats qui, en leur qualité d’auxiliaires de justice, concourent au service public de la justice, à s’en procurer lorsqu’ils n’en disposent pas par eux-mêmes, le cas échéant en facilitant l’accès des barreaux et des institutions représentatives de la profession aux circuits d’approvisionnement.

Ainsi, si le juge considère qu’il n’y a pas lieu pour l’administration de mettre des masques de protection à disposition des avocats se rendant à la maison d’arrêt de Nice et qui n’en sont pas pourvus, il y a lieu en revanche lieu pour elle d’aider les avocats à s’en procurer, compte tenu de la spécificité de la mission exercée par les avocats, de la situation de pénurie persistante de masques et eu égard à l’atteinte au droit au respect de la vie créée par un risque accru de contamination au covid-19.

TA Nice, ord., 22 avril 2020, n°2001749 :

2001749

 

X. TA de Versailles, ord., 23 avril 2020, n°2002650 : Le tribunal rejette, là encore, un recours demandant dépistage et mesures de protection :